Réformer le droit et la justice, un projet à la fois
Camille Laurin-desjardins
2020-09-24 15:00:00
C’est le constat qui est à la base de la création de l’Institut québécois de réforme du droit et de la justice (IQRDJ), fondé en 2018, et composé de professeurs de droit, d’anciens juges et de juristes, notamment.
Pour mieux cerner les domaines de droit où des recherches consistantes sont nécessaires, l’IQRDJ organise, en collaboration avec l’Institut du Nouveau Monde et Éducaloi, un forum citoyen sur l’avenir du droit et de la justice, cet automne, ainsi qu’une Grande assemblée de la justice, au printemps prochain.
Droit-inc a discuté avec le président de l’IQRDJ, Pierre Noreau, qui est aussi professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et chercheur au Centre de recherche en droit public, des aspirations et de la pertinence de son organisme.
Droit-inc : Qu’est-ce que c’est, l’IQRDJ?
Pierre Noreau : C’est le produit d'un long processus, puisque l'idée avait déjà développée à partir de 1992. Il y a même une loi qui avait été adoptée pour le créer, mais finalement, elle n'a jamais été mis en oeuvre.
L’idée était née dans la foulée du renouvellement du code civil, à l'époque : on s'est rendus compte qu'on ne peut peut-être pas attendre 100 ans avant de renouveler les lois... et qu'une fois de temps en temps, il faut qu'il y ait des équipes qui réfléchissent à des modifications à moyen terme de la loi.
Pas toujours pour régler les problèmes immédiats, mais des problèmes à plus long terme, du moins dans une perspective de modification de la loi, à moyen terme. Quelles sont les options qui existent, si on veut réformer la loi sur la copropriété, par exemple, ou les dispositions législatives concernant la copropriété; quelles sont les options disponibles dans la gestion des situations de crise, comme on vient de vivre ?
Est-ce qu'il n'y a pas la nécessité de modifier le régime forestier, par exemple? Est-ce qu'il n'y a pas une réflexion nécessaire pour protéger le patrimoine bâti historique?
Donc, le but est de regarder dans les secteurs de la loi et de la justice, où il y a des questions qui se posent : est-ce que ça pourrait être mieux, différent? Comment, quelles sont les options?
Cet institut, c'est sa fonction. De réfléchir à moyen terme en regroupant les moyens que les universités proposent. Nous avons des chercheurs dans toutes les universités, dans les facs de droit, mais aussi parfois d’autres départements proches, comme la criminologie, la sociologie, ou la santé publique.
Donc on recherche quelles sont les options, ce que les autres font, les avantages et inconvénients... Et de là, les options pour une nouvelle législation. Et le législateur décidera laquelle il priorise.
Et vous considérez qu’il est important d’inclure les citoyens dans ces démarches?
Lorsqu'on a proposé cette idée-là, en 2018, en quelques jours, on a eu 300 ou 400 appuis, d'anciens ministres de la Justice, d'anciens juges en chef, d’actuels juges en chef, de bâtonniers... On a été obligés de constater qu'il y avait une unanimité dans la communauté, et que donc, on pouvait aller de l'avant.
Lorsqu'on a eu à réfléchir à notre statut, il a fallu réfléchir à notre mission. Et on a considéré que la consultation du public était une dimension centrale. En général, quand on réforme la législation, on consulte les praticiens, les spécialistes de certains secteurs, mais rarement la population en général. Les priorités en matière de législations ne sont pas toujours établies sur les attentes publiques, parce qu'on ne les connaît pas toujours assez.
Nous, on s'est dit: tant qu'à développer ce projet de l'institut et de le faire vivre, essayons d'avoir aussi un lien plus permanent avec la population, ou du moins, commençons avec une première consultation qui va se faire sous diverses formes.
On va faire un sondage auprès de la population, pour leur demander à quoi ils s'attendent de la législation aujourd'hui, quelles sont leurs priorités?
Mais aussi, la loi, comment ils la voient. Est-ce que la loi doit être plus précise ou plus générale? Quel rôle les citoyens peuvent être amenés à jouer dans l'élaboration des lois? Des questions comme ça qui ne sont jamais posées, en fait, juste pour voir quelle est l'attente de la population, par rapport à la façon dont on réforme nos lois.
Et éventuellement, un avis sur certains nouveaux projets de loi qu'ils voudraient voir naître.
Vous organisez donc deux événements dans les prochains mois?
Oui, il y a la Grande assemblée de la justice qui va se tenir le 19 mars, et ce sera précédé d'un forum citoyen qui va se tenir le 30 octobre.
Lors du forum citoyen, c'est un regroupement de citoyens qui sont choisis très largement sur une base aléatoire, on invite les gens qui sont intéressés à signaler leur intérêt…
On va les regrouper, par le biais des plateformes numériques, parce qu'on ne peut pas facilement faire autrement, actuellement... et on va créer un événement intéressant, sur les questions de contenus. On ne veut pas juste le tenir pour le tenir. On est vraiment intéressé à ce que les gens disent.
L'assemblée du 19 mars, formée d'un nombre plus important de participants (entre 120 et 150) : un tiers de citoyens «ordinaires» – et on fait ça très sérieusement, on croit vraiment qu'ils ont une contributions à avoir là-dedans – un tiers de gens du milieu juridique, et un autre tiers de représentants d'organismes sociaux, dans le monde du travail, les domaines de l'éducation, de la santé, des organismes communautaires, des syndicats...
À la fin du forum, comme à la fin de la Grande assemblée, on va dresser un rapport, et ça nous orientera vers des idées, là où il faudrait qu'il y ait une plus grande réflexion pour l'avenir. Ça nous donnera un programme de recherche.
À quoi vous attendez-vous?
En ce moment, par exemple, on sait que les normes en matière de travail à distance sont complètement insuffisantes pour réguler les rapports entre les gens qui travaillent maintenant de chez eux, qui sont très majoritaires, et leurs employeurs.
On sait qu'il y a un vide juridique partiel là-dessus. Ça, il faut absolument que quelqu'un s'assoie et réfléchisse à ce cadre-là. C'est vraisemblable que ce genre d'idées pourrait ressortir d'une discussion avec des citoyens qui sont eux-mêmes confrontés à ces situations-là.
Ce qu'on espère, c'est qu'il y aura quelques idées qui sortent un peu du lot.
Il sera sûrement aussi question de violences sexuelles...
J'imagine... Ça risque de sortir à travers la discussion, parce que ça fait partie des thèmes actuels. Mais il faut dire que sur cette question-là, il y a déjà un groupe de travail qui réunit des intervenants. Nous, on ne veut pas dédoubler ce qui existe.
Nous, notre objectif, c'est plus de développer d'autres thèmes, qui sont utiles, mais qui ne feront pas nécessairement l'objet d’une réforme, parce qu’ils ont l'air moins spectaculaires. Comme le travail à distance, ce n'est pas spectaculaire... mais c'est dans la vie de tous les jours!
Souvent, les gouvernements sont obligés de répondre à la demande publique ou médiatique, sur certains thèmes, mais il y a d'autres façons de discuter et de trouver des solutions pour ça.
Pour des sujets qui sont comme latents, c'est-à-dire qu'on n'en parle jamais, mais qui sont tout le temps là, notre rôle peut être important.
Parce que dans les ministères, il y a des juristes partout, mais souvent, ils sont obligés de travailler sur des réponses à court terme à des questions à court terme. Ils n’ont pas nécessairement la disponibilité qu'il faut pour travailler aux lois dans quatre ans!
Si on regarde plus loin, on pourrait avoir des lois qui sont à la fois plus adaptées et peut-être plus ambitieuses. Souvent, quand on adapte une loi, actuellement, c'est pour l’amender... Il n’y a pas beaucoup de lois nouvelles. Alors que des fois, il y a des champs complets du droit qui sont conçus avec des petits morceaux.
Une entité comme l'institut fait ce travail-là de façon continue, au fur et à mesure qu'on pense qu'à moyen terme, quelque chose doit être ajusté dans nos lois. C'est utile.
On le voit par la façon dont on a traité d'autres questions, des fois un peu dans l'urgence, ou parce qu'on est poussé par les médias...
Ce qu'il y a dans les médias, en général, c'est ce qui fait l'objet des grandes discussions à l'Assemblée nationale, et ça, c'est souvent parce qu'il y a un problème urgent, et oui, il faut parfois le régler de façon urgente.
Mais s'il y a trop de problèmes urgents qui naissent systématiquement dans certains domaines, c'est peut-être parce qu'on a besoin d'une réforme un peu plus costaude, large.
Nous, on a l'avantage de travailler avec les universitaires, donc on peut se donner un certain temps pour faire le tour d'une question au complet.
Quels sujets ou aspects devraient absolument être réformés, selon vous, dans notre système de justice?
Nous croyons qu’il pourrait être utile de se doter d’un régime d'exception, dont on a vu l’utilité dans le contexte de la COVID…
Pendant la COVID, qui était une question de santé publique, on avait un régime d'exception qui permettait au gouvernement de prendre des décisions rapidement, pour protéger la population, et éventuellement s'assurer du bon fonctionnement de la société.
La prochaine pandémie ne sera peut-être pas du même ordre... ou peut-être que la prochaine crise ne sera pas liée à des questions de santé, mais à des questions d'environnement, ou ce sera peut-être une grande crise économique...
La COVID est très intéressante, parce qu'elle amplifie des situations de crise telles qu'elles pourraient se représenter ultérieurement, mais sous d'autres formes, peut-être avec des questions qui ne sont pas vraiment de santé publique...
Donc, on se dit: comment il faut aborder cette situation-là? Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu de réfléchir à un régime d'exception, avec des étapes, une évaluation, des niveaux, comme ça existe en santé publique…?
Le problème de la COVID n'était pas qu'un problème de santé : ç’a causé des problèmes économiques, sociaux, d'éducation, de nature culturelle… On voit qu'en fait, même si le problème a une origine socio-sanitaire, ses relents sont à peu près dans toutes les dimensions de la vie sociale.
Mettons qu’on aurait un problème environnemental, ça pourrait être la même chose. Est-ce que ça ne prendrait pas un régime plus global? Pour que le gouvernement ait un cadre dans lequel il peut agir, quel que soit le type de crise qui se présenterait...
Et vous pensez que ça pourrait se faire, un régime plus général, peu importe le type de crise?
Oui, ça existe. Il y a des pays qui se sont donnés des régimes d'exception, comme l’Allemagne... Ça permet d'avoir un cadre général, avec des processus décisionnels, et d'établir quel est le rapport qui doit exister entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire dans des contextes comme ça. Est-ce qu'il y a des pouvoirs, des contre-pouvoirs?
Quel cadre, quelle marge de manoeuvre le gouvernement peut vraiment avoir, comment il peut l’exercer, et quel rôle les juristes peuvent-ils jouer là-dedans? Est-ce que ça ne prend pas dans ces cas-là un regroupement de juristes-consuls, qui peuvent éventuellement consulter au fur et à mesure, pour obtenir les autorisations?
Quelle est la relation entre la science et la décision? Est-ce qu'on pourrait établir les modalités de ces interactions, de ces relations-là, nécessaires?
Les options possibles sont peut-être variables. Quel est le rôle de l'Assemblée nationale, dans un contexte comme ça?
On ferait d'abord un constat des avantages et des inconvénients, parce qu'il n'y a pas seulement eu des erreurs, dans la crise de la COVID, beaucoup considèrent que ç'a été pris en charge d'une façon impressionnante, vu que tout était décidé dans l'urgence...
Ça reste quand même qu'on parle du droit public, de toute la question de l'autorité de l'État, de la façon dont c'est exercé... Comment on pourrait concevoir ça par anticipation? Parce que quand tu es dans la crise, ce n'est plus le temps de se demander qui décide quoi...
J'ai l'impression que c'est un peu une image pour le rôle de votre institut... c'est-à-dire: au lieu de tout le temps décider quand on a besoin de changer une loi dans l'urgence, est-ce qu'on peut réfléchir d'avance...?
Oui. La fonction du droit, c'est ça : établir d'avance des règles pour ne pas avoir à les établir au fur et à mesure, quand on en a besoin. Parce qu'on suppose que le droit, son rôle numéro un, c'est de réguler les rapports sociaux.
Souvent, on a l'impression que le droit est là seulement quand il y a des litiges. Mais non... le droit est là pour empêcher les litiges! C'est là pour créer un cadre qui nous permet de nous ajuster, et éviter de créer des situations inattendues qui peuvent provoquer chez quelqu'un le sentiment qu'il est traité injustement, et que ça mérite réparation.
Il faut donc réfléchir le droit dans sa dimension préventive, et penser les lois à l'avance sur des situations qu'on sait difficiles à gérer, comme des cas de crise. Donner un cadre qui met la table à des situations de crise, quelle que soit la crise, en espérant qu'il soit adapté, quitte à ce qu'il ait après des déclinaisons selon le secteur qui est le plus affecté...
C’est le genre de projet que l'institut peut développer, pour lequel il y a des vrais besoins... on le sait, on est dedans!
TY
il y a 4 ansProfesseur, Noreau, je ne sais pas si vous êtes allés sur le terrain mais les justiciables du droit criminel n'ont plus accès à l'aide juridique. Les avocats ne peuvent pas rendre de service aux taux offerts en raison des contraintes financières. Vous devriez aller faire un tour au lieu d'écrire des livres sur la question. Ensuite vous aurez de quoi vous mettre sous la dent.
Anonyme
il y a 4 ansQuelqu'un qui s'affaire à réformer le droit ne peut pas le faire à partir de sa tour d'ivoire universitaire. Des gens qui n'ont aucune connaissance de ce qui se passe réellement sur le terrain sont à la base du fiasco qu'est le N.C.p.c.
Ça suffit la théorie... Allez sur le terrain!
Et cessez de consulter autant les juges, pour prendre vos décisions en matière de réforme du droit substantif ou procédural. Les juges appliquent le droit et ne le créent pas.