Lutte au blanchiment: les avocats pointés du doigt
Jean-francois Parent
2016-11-18 14:30:00
Ce troisième rapport d’« Évaluation mutuelle » faisant le point sur les forces et les faiblesses de la lutte canadienne au blanchiment d’argent et au financement des activités terroristes a été publié voici quelques semaines par le GAFI. Les enquêtes du GAFI sont réalisées tous les huit ans et sont basées sur une revue de la législation, ainsi que sur des visites et des entretiens sur le terrain.
Une cible vulnérable
« La profession juridique est une cible particulièrement vulnérable (aux activités de financement du terrorisme et de blanchiment d’argent), de par son implication dans des secteurs à haut risque, comme l’immobilier, la création de personnes morales ou de corporations, ou les transactions sur compte en fiducie (ndlr : notre traduction) », peut-on lire dans le rapport.
Le FMI, dans un sommaire du rapport du GAFI, en rajoute en estimant qu’il s’agit là d’une « faille majeure » dans la chasse aux capitaux sales et « soulève de grandes inquiétudes » quant à la capacité du Canada de lutter efficacement contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Les avocats exemptés de fouilles sans mandat
C’est un jugement de la Cour suprême rendu en février 2015 qui serait responsable de cette vulnérabilité selon le FMI et le GAFI.
C’est que les avocats partout au pays et les notaires québécois bénéficient d’une exemption : contrairement aux autres secteurs d’activités économiques, les avocats n’ont pas à se soumettre à des fouilles sans mandat de la part du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada. Le CANAFE est l’agence gouvernementale chargée de l’application de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
La manière dont le CANAFE était autorisé, par la loi, à conduire des fouilles, n'assurait pas la protection du secret professionnel des avocats, d'après la Cour suprême du Canada. « Les clients viennent nous voir pour recevoir des conseils lorsqu’ils veulent savoir s'ils commettent des activités illégales, où s’ils s‘apprêtent à en commettre », rétorque Raymond Doray, de Lavery, qui a plaidé la cause pour le compte du Barreau du Québec et de la Chambre des notaires devant la Cour suprême.
Selon le plaideur interrogé par Droit-inc, il tombe sous le sens que la confidentialité de la relation avocat-client doit être préservée. La Cour suprême a d’ailleurs déclaré que les intentions du CANAFE « allaient à l’encontre de la justice fondamentale ».
Comptes en fidéicommis
Ce qui irrite particulièrement le CANAFE, c’est le fait que les avocats canadiens concluent fréquemment des opérations financières qui transitent par des comptes en fidéicommis, pour des clients issus de secteurs à haut risque, comme l’immobilier. Autant de mailles au travers du filet que les autorités tentent de mettre en place, soutiennent en substance tant le CANAFE que le FMI.
Concédant que les autorités peuvent être certes « mécontentes » que leurs tentatives d’intervenir auprès des juristes aient été jugées inconstitutionnelles, il s’étonne néanmoins de leur approche simpliste. « Ce n’est pas comme si les transactions que nous effectuons se faisaient en dehors de la réalité ! Les sommes transitent par des institutions financières, qui elles sont soumises aux obligations imposées le CANAFE », s’indigne Me Doray.
À cet égard, tant le rapport du GAFI que le sommaire produit par le FMI relèvent que « certaines institutions financières considèrent que les comptes en fidéicommis détenus par les avocats présentent un risque plus élevé », et qu’elles surveillent donc l’activité de ces comptes de plus près.
Raymond Doray rappelle que les comptes utilisés par les avocats et les notaires sont sujets à de fréquentes inspections professionnelles. Sans compter que les juristes trouvés coupables de l’une ou l’autre des sanctions prévues à la loi sont passibles de lourdes pénalités.
Le rapport ne donne pas de cas précis
« Il n’y aucune raison de penser que les ordres professionnels ne font pas leur travail ! », poursuit Me Doray, déplorant au passage que le rapport du GAFI ne donne pas de cas précis de ce qu’il avance.
« Les représentants de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada (…) n’ont pas démontré qu’ils comprenaient vraiment les risques de (financement terroriste et de blanchiment d’argent) auxquels est exposée la profession juridique, et semblent surestimer grandement l’efficacité des mesures d’atténuation de ces risques imposées par les ordres professionnels (ndlr : notre traduction) », peut-on lire dans le rapport.
Tant le GAFI que l’organisme auquel il se rapporte, le FMI, notent enfin que les autorités canadiennes « revoient certains dispositions (de la loi) afin d’apporter des amendements applicables aux juristes qui conformes à la constitution (ndlr : notre traduction) ».