Uber : un recours collectif possible contre Québec?
Martine Turenne
2016-05-12 15:00:00
Uber s’y refuse, ce qui signifie, à terme, son départ du Québec. « Bye bye! » a d’ailleurs lancé le maire de Montréal, Denis Coderre, la semaine dernière, lorsque questionné sur le sujet.
Ce départ laisserait quelque 500 000 clients dans le néant, et 8000 chauffeurs sans revenus, la plupart d’appoint.
Peut-on imaginer un recours collectif des uns et/ou des autres?
La loi… est la loi
« Bonne question ! », lance Me Philippe H. Trudel, dont la firme, Trudel, Johnston et Lespérance, est spécialisée dans les recours collectifs. Mais la réponse n’est pas simple. Les recours collectifs contestant une loi adoptée dans nos instances législatives, dit-il, sont quasi impossibles et ce, depuis l’arrêt Guimont, en Cour Suprême (voir encadré).
« Les recours en dommages sont très difficiles. À moins de prouver que la loi est de mauvaise foi, dit Me Trudel. Et la barre est haute. » Ainsi, dit-il, le gouvernement pourrait voter demain matin une loi qui contrôle le nombre de bus pouvant circuler sur les routes. Elle serait sans doute préjudiciable pour les utilisateurs. « Mais la loi… c’est la loi. »
Pour contester juridiquement une loi, celle-ci doit avoir un problème majeur, confirme Me Vincent de l’Étoile, associé chez Langlois et spécialiste des recours collectifs. « L’État a le droit de réguler. L’encadrement d’un secteur d’activité ne pourrait être un motif de poursuites. »
Dans le cas d’Uber, la loi pourrait-elle être qualifiée « d’immorale » ou « d’abusive » ? Va-t-elle à l’encontre des libertés individuelles enchâssées dans la Charte des droits, ou de la libre-concurrence ? « Vous savez, tout se plaide! Mais ça ne serait pas facile! », dit Me Michel C. Chabot, avocat spécialisé en recours collectif et litige commercial chez GBV avocats, une firme de 25 professionnels à Québec.
Le premier pas pourrait être franchi par les quelque 8000 chauffeurs d’Uber, la plupart occasionnels, croit-il. « Ils pourraient prendre une action collective contre le gouvernement en invoquant le non-respect de la Charte des droits. La conséquence, dans leur cas, est une perte de revenus. Mais ils devront établir les dommages», poursuit Me Chabot.
Vincent de l’Étoile ne croit pas que l’enjeu de libre-concurrence pourrait être évoqué. « L’État n’est pas comme tel un acteur du marché, c’est un régulateur. » L’enjeu est ici plus social que juridique, estime-t-il. « Et c’est malheureux pour le consommateur qu’il soit privé de recours. »
Et les consommateurs ?
Montréal arrive au septième rang des villes les plus chères de la planète pour une course en taxi, selon la firme UBS, qui a calculé un trajet de cinq kilomètres. Ainsi, l’une des villes nord-américaines où le revenu par habitant est le plus faible, se classe tout juste derrière les richissimes Stockholm, Oslo, Zurich et Genève.
Au-delà du discours idéologique (est-ce de l’économie de partage ou pas), fiscal (Uber ne paye pas ses impôts) ou politique (les chauffeurs de taxi doivent avoir des permis, eux), le nerf de la guerre, c’est l’argent, dit l’éthicien René Villemure. « La popularité d’Uber n’a rien d’idéologique ou de politique. C’est une question d’intérêt. Une course en Uber coûte tout simplement moins cher. » Jusqu’à 40%, en fait.
Y aurait-il là une poigne pour un recours collectif ? « C’est possible sur la base de la privation d’une offre de service moins chère. Mais ça n’est pas facile à quantifier, dit Me Philippe Trudel. Il faudrait démontrer que les gens qui utilisent Uber dans leur déplacement vont prendre désormais des taxis. Puis faire la différence de coût entre deux courses. La preuve est difficile à faire. »
« Des consommateurs qui font usage d’Uber pourraient dire : je suis privé de ce service, et j’en subi un dommage, dit de son côté Michel Chabot. Mais quantifier ce dommage est compliqué. » Me Chabot est impliqué dans deux recours liés au cartel de l’essence, sur deux territoires différents. L’argument est que le droit du consommateur est brimé, car il y a eu fixation des prix.
La preuve est relativement aisée à démontrer, poursuit le juriste. « Tel jour, j’ai acheté tant de litres, et ça m’a coûté trois cents de plus à tel endroit plutôt qu’à tel autre. » Dans le cas d’Uber, rien n’interdit un tel calcul. « Mais une fois de plus, bonne chance pour monter la preuve. »
David contre Goliath
« Un recours collectif, ajoute Me Chabot, représente un travail colossal. Ça dure et ça perdure, et ça coûte une fortune. » Et une telle action contre le gouvernement du Québec accroît le niveau de difficulté. « L’État a les moyens de se défendre, dit-il. Il a les poches profondes. Québec soutiendra que ses lois respectent la Charte. Ça sera une question d’interprétation. Et là, c’est la Cour Suprême qui tranche. Alors c’est long, et très coûteux. Ça serait comme David contre Goliath. »
En matière de recours collectifs, conclut le juriste, « il est difficile de régler sur une base d’affaires avec Québec ». Les fonctionnaires ne sont pas forts sur la négociation. « Une entreprise pharmaceutique, par exemple, sera beaucoup plus pragmatique. »
La flotte de taxi verte et blanche d’Alexandre Taillefer est la grande gagnante de la disparition éventuelle d’UberX du Québec. Son démarrage, qui a nécessité un investissement de 250 M$, a bénéficié d’une aide importante de Québec.
La Caisse de dépôt et Investissement Québec ont en effet une participation dans XPND Croissance, une filiale de XPND Capital, lancée en novembre dernier, dont M. Taillefer est l’actionnaire principal. Ce fonds a amassé 75 millions pour déployer la flotte de voiture électrique. «Ce ne sont pas des subventions, a tenu à préciser M. Taillefer. Ils ont investi de l'argent, aux mêmes conditions que moi.»
Le 10 mars 1996, la Cour Suprême a débouté Jocelyn Guimond, selon Lexum.
L’homme avait été condamné à l’emprisonnement pour défaut de paiement d’amendes infligées pour des infractions au Code de la sécurité routière du Québec. Il avait passé 49 jours en prison.
Pendant sa libération conditionnelle, il avait demandé au tribunal de l’autoriser, en vertu de l’art. 1003 du Code de procédure civile, à intenter un recours collectif afin de réclamer des dommages‑intérêts en réparation du préjudice imputable à l’invalidité constitutionnelle dont aurait été frappée sa détention (et celle des autres membres du groupe), pour le motif que les dispositions concernant la détermination de la peine du Code de procédure pénale et de la loi antérieure, la Loi sur les poursuites sommaires, violaient la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.
L’intimé a sollicité une déclaration d’invalidité constitutionnelle fondée sur l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, ainsi que des dommages‑intérêts compensatoires et moraux en vertu de l’article 1053 du Code civil du Bas Canada et du paragraphe 24 (1) de la Charte canadienne.
Le juge de la Cour supérieure a rejeté la demande de l’intimé, notamment au motif que les faits allégués ne semblaient pas justifier, à première vue, les conclusions recherchées. La Cour d’appel, à la majorité, a infirmé cette décision.