Il se passe quoi au bureau de la grande criminalité?

Sonia Semere
2025-03-18 15:00:42

Plein de mystères, le bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales du DPCP peut soulever son lot d’interrogations. Que s’y passe-t-il concrètement? À quels types de dossiers sont confrontés les procureurs? Comment gèrent-ils l’ampleur de leurs dossiers?
Droit-inc a eu l'opportunité de découvrir les coulisses de ce bureau grâce à Me Amal Saleh, qui l'a rejoint en 2017.
La procureure traite au quotidien des dossiers de grande envergure. Une telle ampleur qui nécessite un véritable rôle de conseil et d’assistance auprès des policiers. Tout au long de l’enquête, la procureure doit s’impliquer dans l’analyse, la recherche de preuves et la révision des mandats.
On parle de dossiers spéciaux, de dossiers de grande envergure quand on évoque votre bureau… Que cela signifie-t-il concrètement ?
Pour les dossiers de fraude, par exemple, on va avoir plusieurs personnes impliquées. Ça fait en sorte que le crime ne sera pas facile à analyser dans la mesure où il y a un partage des rôles. Et puis, on ne voit pas nécessairement tout le monde sur le terrain.
Dans ce type de dossiers, on fait face à des stratagèmes qui sont méconnus, les criminels ont beaucoup d’imagination. On a aussi une preuve qui est extrêmement volumineuse avec une analyse qui se veut complexe. Ça prend des outils et une méthodologie spécifique.
À quel type de criminalité êtes-vous confronté ici au Québec?
On retrouve les crimes économiques, la cybercriminalité avec les vols de données… Ce sont des crimes où il est plus difficile d’atteindre directement les personnes responsables. Ça prend des techniques d’enquêtes qui sont plus novatrices et une compréhension des preuves techniques.
Dans les crimes organisés, on a aussi les dossiers de stupéfiants. Ce sont des dossiers où il est très difficile d’atteindre les têtes dirigeantes. Il faut nécessairement s’adapter durant l’enquête et faire des démarches qui font en sorte qu’on est capable de faire réagir les têtes dirigeantes. C’est pour ça que notre rôle en conseil et en assistance auprès des policiers est fondamental.
Quand on parle de dossiers d’envergure, on fait souvent référence à des questions de droit novatrices. Auriez-vous un exemple ?
Tout ce qui concerne la question des crypto-monnaies par exemple. De nos jours, les criminels sont plus connaisseurs que jamais sur cette façon de cacher l’argent. Pour se mettre à jour juridiquement, il faut avant tout se mettre à jour techniquement. Ça nécessite de faire des formations et d’aller lire sur le sujet.
Quel est l’un des principaux défis que vous rencontrez dans votre travail?
Je dois faire abstraction de toute la pression médiatique. Il faut que je regarde toutes les voies pour poursuivre un dossier. Si je vois après toute l’analyse que je ne peux pas aller plus loin, c’est ma responsabilité de ne pas autoriser la poursuite. Parfois, c’est difficile de prendre une telle décision compte tenu de l’argent qui a été mis dans l’enquête et le temps de travail des policiers. Il y a aussi souvent une volonté politique derrière ces dossiers.
Il faut assumer notre refus auprès de nos partenaires et de l’opinion publique. C’est difficile pour la population de comprendre que dans tel dossier, il y a eu un refus de procédure. Pour faire ce travail pédagogique, on peut compter sur l’appui du département de communication.
À quel autre challenge êtes-vous confronté?
Dans les dossiers liés au crime organisé, les avocats de la défense sont payés très chers, alors évidemment, ils sont souvent très, très bons. Ils vont aller très loin dans la contestation juridique. Ils ont beaucoup d'imagination sur les questions novatrices. C’est un vrai challenge pour nous les procureurs.
C’est différent dans les dossiers de fraude, ça va plus se jouer sur comment rendre la preuve intéressante et compréhensible à la cour. L’idée c’est de trouver comment ne pas perdre le jury. On fait appel à de la preuve circonstancielle donc il faut avoir la patience de faire des parallèles subtiles.
Finalement, qu’est-ce que toutes ces années d’expérience vous ont appris sur votre métier? Quelles compétences sont nécessaires pour assurer dans un tel bureau?
Ça prend des aptitudes plus que des années d’expérience. Il faut une certaine rigueur et une curiosité intellectuelle qui vont permettre d’être solide dans le métier.
C’est un véritable marathon, tout va très vite, il ne faut pas perdre son souffle. Et puis il faut être clair, ça prend beaucoup de courage. On traverse des moments difficiles dans nos dossiers, il faut savoir faire abstraction de tout ça.
Faites-vous parfois face à des pressions des réseaux de criminalité organisée?
Côté sécurité, si une personne se sent en danger, on a un département qui est là pour nous soutenir. Au Québec, jusqu'à maintenant le crime organisé ne fait pas de nous des victimes potentielles. Ça peut arriver que certains criminels soient agressifs, à ce moment-là on avise le département de sécurité mais sincèrement, ça n’a jamais dégénéré de mon côté.