Avocat et Militant !

Céline Gobert
2015-06-29 15:00:00

En tout, cela fait 33 ans que Me Jean-Guy Ouellet se bat pour défendre les droits des personnes vulnérables au sein du cabinet d’avocats Ouellet, Nadon et Associé-e-s dont il est membre fondateur.
Si son nom vous est familier, c’est peut-être parce qu’il vient de remporter cette année la médaille du Mérite du Barreau du Québec. Un article à ce sujet est imprimé et collé sur son mur. De la fierté ? « De l’humour de mes collègues...», répond avec un sourire Me Ouellet, ajoutant avoir été « surpris » de cette récompense. Il faut dire que ce n’est pas tous les jours qu’un avocat avec un tel profil « social » se voit ainsi salué par ses pairs.
Car Me Jean-Guy Ouellet, également chargé de cours en droit social à l’UQAM, est ce que l’on pourrait appeler un militant. Il l’assume. « Je continue mon engagement social à travers ma pratique », déclare avec calme ce Barreau 1983 que l’injustice a mis très tôt en colère.
Il se souvient ainsi d’un jour, alors qu’il était enfant et qu’il travaillait déjà dans une aluminerie du Québec, où un homme, qu’il se rappelle « baraqué», était paniqué de réclamer à la direction l’argent qu’il manquait sur son chèque de paie. « Contribuer au retour de la dignité dans les yeux de ces personnes- là me fait avancer. »
Des luttes juridiques importantes
Né d’un père camionneur et d’une mère préposée à l’entretien ménager, il a pris part à des luttes juridiques importantes : l’ajustement des barèmes d’aide juridique, le respect de l’équité en matière de réglementation de l’aide de dernier recours et la dénonciation des détournements de la Caisse d’assurance-emploi.
Deux causes plaidées l’ont particulièrement marqué : celle de Tétreault-Gadoury, « l’une des trois causes qui a déterminé que l’on pouvait plaider la charte canadienne devant un tribunal administratif », explique-t-il, et la cause Louise Gosselin surnommée « la bataille des moins de 30 ans », soit « l’une des premières décisions où, dans la dissidence de Madame Arbour, on va dire qu’éventuellement l’article 7 de la charte canadienne peut imposer des obligations à l’État », ajoute le soixantenaire.
Aujourd’hui, sa clientèle vient d’un peu partout : Montréal Nord, Parc extension, Hochelaga Maisonneuve, Brossard ainsi que de tout le Québec. Il rencontre ses clients via Skype, et reçoit des boîtes et des boîtes de dossiers ! Dès 1982, le projet du bureau était clair : développer une expertise permanente en assurance chômage.
A-t-il eu plus de travail depuis qu’il y a davantage de chômeurs ? « Pas du tout !». Au contraire.
La misère noire

Tandis que le bureau a évolué selon ces coupures, en développant du droit social et du droit du travail, Me Ouellet poursuit une mission d’information et d’éducation.
À ses clients, il explique la loi, la décision rendue, la jurisprudence, tous les paramètres qui s’appliquent à leur situation. « Les citoyens sont aussi intelligents que les avocats. La meilleure aide que je peux leur fournir est de les informer adéquatement de leurs droits quand ils rentrent dans notre bureau. »
Il indique s’occuper seulement de « l’aristocratie ouvrière », ses collègues faisant face, eux, à la « misère noire. » Ainsi, il n’est pas rare que l’un d’eux offre quelques dollars à son client venu à pied de l’autre bout de la ville pour qu’il puisse rentrer en bus. Ou pour qu’il se paye une soupe au Tim Hortons.
« Je ne pourrais pas gérer ce genre de situations, avoue-t-il, car je ne suis pas capable de gérer leur colère. Car ils ont raison d’être en colère, la société les a rejetés, ils sont exclus. Les paramètres jurisprudentiels ? Ils ne veulent pas les connaître ! » Tout ce qu’ils veulent savoir, dit-il, c’est s’ils vont avoir du cash tout de suite ou pas.
Ne pas se laisser décourager
La majorité de ses dossiers concernent des questions de révisions rétro actives. On réclame à ses clients des sommes allant de 40 000 $ à plus de 100 000 $. « Ça rend les gens très nerveux… Je peux les comprendre…», dit-il, pince-sans-rire.
En général, il charge 10 ou 15% de la somme qu’il pense pouvoir gagner pour la personne, c’est à dire ce que le client va sauver. Ce montant varie de 15 $ de l’heure jusqu’à 165 $. Certaines années, son travail d’avocat ne lui permet même pas d’atteindre les 40 000 $ de Me Hans Marotte, précise-t-il. Avec ses 600 à 800 dossiers annuels, le bureau arrive à survivre grâce aux mandats syndicaux.
Les affaires sont émotionnellement très lourdes pour nos clients, mais « pas pour nous », note-il. « Nous, on est là pour les aider. »
Comme cette dame à qui l’État réclamait le montant des 30 semaines de prestations maladie qu’elle avait perçues alors qu’elle est dépressive, et au chevet de son conjoint sur le point de mourir. Disponible au marché du travail, elle était alors considérée comme « autrement disponible ». La loi a changé en 2014 et permet maintenant 6 semaines de congé maladie dans un tel cas de figure.
Ou comme ce gaspésien de 40 ans dont le projet d’entreprise s’était effondré et à qui on réclamait 111 000 $, soit 6 ans de prestations. Au passage, Me Ouellet a réussi à faire baisser la note du monsieur à 5000 $...
« La dégradation des conditions socio- économiques de nos sociétés depuis les années 70 est catastrophique pour plein d’individus, conclut-il. Mais si on se laisse décourager, on ne peut plus faire ce métier-là. »
Il agit aussi comme conseiller et formateur pour des centrales syndicales, différentes organisations de défense des droits et de jeunes avocats désireux de s’engager comme il l’a fait à combattre les injustices.
Les deux fondateurs de la clinique Juripop furent ses élèves…