Entrevues

Saut en solo: « Plus on grossit, plus c’est difficile! »

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Céline Gobert

2016-11-17 15:00:00

Lancé en solo à 27 ans dans le monde de la construction, cet avocat entrepreneur nous parle sans langue de bois des obstacles auxquels il fait face en matière d’affaires et de gestion…
 Me Joe Morrone est à la tête du cabinet Morrone Avocats Inc. spécialisé en droit de la construction et de l'immobilier.
Me Joe Morrone est à la tête du cabinet Morrone Avocats Inc. spécialisé en droit de la construction et de l'immobilier.
Depuis 10 ans, Me Joe Morrone est à la tête du cabinet Morrone Avocats Inc. spécialisé en droit de la construction et de l'immobilier. Quand il s’est lancé en solo dans le monde de la construction, il n’avait que 27 ans. C’est à son approche de proximité avec ses clients qu’il doit, selon lui, l’expansion de son cabinet, où exercent aujourd’hui trois avocats.

Comment développe-t-on ses affaires dans ce domaine spécifique? Comment concilie-t-on le travail et la famille quand on devient un jeune papa? Quels sont les nouveaux enjeux juridiques auxquels il faut faire face ? Pour Droit-inc, Me Morrone revient sur son parcours

Droit-inc : Vous avez commencé votre pratique en droit de la construction en 2004. Qu’est-ce qui vous attiré dans le domaine?

Me Joe Morrone: Je viens d’une famille d’entrepreneurs, mon père était entrepreneur peintre, et dans la communauté italienne il y a beaucoup de monde dans le domaine de la construction, un monde que je connais assez bien. J’ai aussi fait un stage dans ce domaine chez Crochetière Pétrin.

Comment décririez-vous ce monde-là?

C’est un monde où tout va très rapidement. Les entrepreneurs y sont déterminés, ils veulent que les choses bougent, qu’on avance sur le projet qu’ils sont en train de construire, qu’on apporte des solutions concrètes. Ils ne pensent qu’aux solutions. Ce n’est pas toujours facile mais une fois qu’on les a apprivoisés et qu’on a leur confiance, ils nous donnent les rênes à 100%. Ils se moquent de la virgule ou de la prochaine lettre qu’on va envoyer, ce qu’ils veulent ce sont des résultats.

Est-ce que le fait que vous baigniez déjà dans ce monde-là a facilité votre intégration?

Non, malheureusement. Au niveau juridique, par contre, ça m’a aidé de savoir comment ces personnes pensent. J’ai aussi passé du temps à aider mon père sur des chantiers. Mais le développement clientèle, je l’ai fait moi-même. J’ai quitté Crochetière Pétrin car deux clients, des promoteurs immobiliers, m’ont approché. J’avais alors 27 ans, et je m’étais toujours dit qu’à 30 ans je serais associé ou que je me lancerais en solo. Je me suis lancé comme ça, avec deux clients, ça a fait dix ans le 5 novembre dernier.

J’imagine que se lancer en solo à 27 ans, ça n’a pas été facile non? Pourriez-vous revenir sur vos débuts?

C’était pas facile, oui et non. En fait c’était moins difficile que ça ne l’est aujourd’hui. J’étais fraîchement marié, sans enfant, j’étais plus libre, plus « free spirit », j’avais moins d’obligations financières. Les choses me pesaient moins sur les épaules. Grâce au bouche-à-oreille, je ne suis pas resté longtemps avec mes deux clients. Ils ont parlé à leurs amis et rapidement on m’a appelé pour faire des dossiers. Je me suis aussi beaucoup impliqué à l’APCHQ (ndlr: l'Association des professionnels de la construction et de l'habitation du Québec) qui est une bonne source pour trouver des clients. J’ai posé de bonnes bases, notamment au niveau de la gestion ou de la facturation. J’avais un esprit entrepreneurial, beaucoup de vigueur, de force. C’est plus difficile maintenant que l’on a grossi, notamment au niveau des RH, il faut penser deux ou trois années en avance en termes de gestion. Avant, je n’avais qu’à penser à moi. Maintenant, j’ai du personnel, une adjointe…

Et des enfants ?

Oui, j’ai une petite fille de quatre ans et demi. Ça aussi ça a été difficile, la conciliation travail-famille. Ma conjointe est technicienne juridique au Barreau du Québec, il a fallu concilier tout ça. Alors j’amenais ma fille le matin au CPE, puis c’est ma conjointe qui le faisait le soir. On se séparait les tâches.

Je suis contente de vous entendre dire cela! Souvent on associe la conciliation travail-famille aux femmes uniquement…

(Rires). Oui, vous savez, j’ai une petite fille et j’y tiens beaucoup. Je travaille en pensant à elle, des fois il m’arrive de culpabiliser car j’ai un horaire chargé, j’enseigne aussi à l’École du Barreau du Québec ainsi qu’à l’École de technologie supérieure depuis 2008.

Revenons au cabinet. Quelle était votre stratégie en termes d’affaires et de leadership?

Clients, clients, clients. Il faut toujours s’occuper des clients et leur amener des solutions. Comme je vous disais, ils ne veulent pas qu’on leur brosse un tableau complet de ce qui peut arriver. Ils veulent des solutions, un plan A, B, C, des résultats. La clé du succès pour un bureau d’avocats, c’est de rappeler ses clients. Beaucoup d’avocats négligent cet aspect-là. Le délai pour répondre à un courriel, un appel, ne doit pas dépasser 24 heures. Il faut être présent et répondre à son cellulaire le soir, le dimanche. Je suis fier quand mes clients me disent que je suis le seul professionnel qu’ils arrivent à rejoindre dès qu’ils en ont besoin.

Vous leur trouvez des solutions à quels types de problèmes par exemple?

Sur beaucoup de questions réglementaires. Par exemple, je les aide à obtenir des accréditations au plan de la GRC (Garantie de Construction Résidentielle) pour des maisons neuves. Sans cela, un entrepreneur ne peut pas construire un bâtiment résidentiel neuf. Il peut aussi s’agir de faire libérer une hypothèque légale de millions de dollars sur un projet.

Quel a été l’impact de la Commission Charbonneau sur votre pratique?

Au niveau résidentiel, on n’a pas été affecté. C’est davantage au niveau génie civil et voirie. Après, les gens y font référence car ils mettent tous les professionnels de la construction dans le même panier. Au niveau réglementaire, par contre, je ne pense pas qu’on puisse encore voir l’impact final de la Commission. Des lois vont être amendées, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions.

Quels sont les principaux défis de votre pratique?

Je dirais que c’est le service clientèle. On est bombardés de courriels, d’appels, de demandes du personnel que l’on doit gérer. Chaque matin, je définis mes priorités et ce que j’ai à faire.

Vous avez appris la gestion sur le tas?

Oui. Surtout les ressources humaines. Je suis plus à l’aise pour la gestion financière, j’en ai une bonne maîtrise. D’ailleurs, le logiciel Juris Évolution m’a beaucoup aidé. En RH, j’en apprends tous les jours. J’essaie de me mettre à la place des salariés, mais c’est difficile après 10 ans à la direction. Le plus difficile est de trouver le temps de transmettre des connaissances au personnel ou simplement de leur parler. Parfois tout va tellement vite. On va embaucher un quatrième avocat, il faut gérer cette croissance et c’est un défi. Il faut tenter de prévoir, des fois il n’y a rien d’autre à faire que d’y aller au « feeling » comme on dit.

Qu’est-ce qui vous passionne dans votre domaine?

Les clients. Quand on me remercie, c’est ma plus grande fierté. Voir un immeuble construit et me dire que j’ai été impliqué dans le projet en est une belle aussi.

Y’a-t-il de nouveaux enjeux juridiques spécifiques au droit de la construction présentement?

Au niveau résidentiel, il y a la Garantie de Construction Résidentielle (GRC). Il y a un nouveau régime mis en place depuis le 1er janvier 2015, ce fut donc deux années de transition un peu pénible. Avant, ces plans de GRC étaient gérés par des associations d’entrepreneurs. Avec les amendements, ce sont des organismes à but non lucratif qui gèrent ça, dont les membres sont pour la plupart nommés par le gouvernement. C’est un peu plus restrictif avant, les critères d’inspection sont plus serrés, les garanties demandées pour obtenir les accréditations plus nombreuses. Ce n’est pas encore rôdé, il y a beaucoup de délais. Les entrepreneurs vivent une transition difficile.

Qu’avez-vous appris des entrepreneurs que vous côtoyez?

À foncer. Il faut foncer, puis on ramasse les pots cassés plus tard. Souvent, les avocats ont tendance à ne voir que les aspects problématiques d’une situation, et ça nous freine. Les entrepreneurs foncent et règlent plus tard.

Ça, ça a modifié votre vision des affaires?

Oui, exact. Faut pas hésiter à foncer.

Quels sont vos objectifs aujourd’hui?

Trouver un quatrième avocat pour se joindre à nous ainsi qu’un ou une technicienne en droit corporatif. Nous allons également déménager nos bureaux du centre-ville vers l’est de la ville peut-être. Mes clients nous disent avoir du mal à trouver du stationnement quand ils viennent nous voir. Je leur réponds que c’est plutôt bien si c’est le seul point négatif! (rires).
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