Traquer les filous
Jean-francois Parent
2016-12-22 14:30:00
Spécialiste du litige civil, commercial, professionnel et disciplinaire, il fait son entrée à l’AMF alors que celle-ci en a plein les bras avec les gros dossiers de Norbourg, Mount Real, Norshield, dans lesquels des milliers d’investisseurs ont perdu des centaines de millions de dollars.
Avant de transporter ses pénates à l’AMF, Me Fortin, travaille justement pour l’administrateur de la faillite de Mount Real. Et c’est alors que le diplômé de l’UdeM et Barreau 1996 reçoit son baptême du feu.
Promu directeur général du contrôle des marchés en 2012, il supervise une équipe de quelque 160 personnes regroupées dans les trois piliers de la surveillance des marchés. Les enquêtes s’occupent de manipulation des marchés, des délits d’initiés et des fraudes ; l’encadrement régit la conformité des pratiques tant en placements qu’en assurance ; le contentieux, enfin, plaide contre les filous.
Sa pratique l’a-t-elle formée pour occuper ce poste ? « Quand on fait du litige, on fait de l’enquête : on cherche la preuve, on en fait l’administration, tout ça se rapproche du travail d’un enquêteur. J’avais aussi une expertise en déontologie et j’avais travaillé sur des dossiers en valeurs mobilières. »
La force d’un leader
Cela étant, la force d’un leader n’est pas tant de donner des directives que d’avoir les bonnes personnes aux bons endroits. Par exemple, « nos équipes ont des spécialistes de la manipulation de marché, qui savent reconnaître et analyser les données », capables de d’identifier les transactions douteuses parmi les quelque millions de données émises chaque jour par les parquets boursiers.
À cet égard, Me Fortin n’est pas peu fier de plusieurs réalisations auxquelles il a pris part depuis son arrivée dans la chaise du patron. A ce chapitre, on compte une équipe de cybersurveillance des marchés, qui se dédie entièrement aux filous virtuels, et un tout nouveau programme de dénonciation, permettant de recueillir les informations au sujet d’éventuels crimes financiers par des lanceurs d’alertes. « Depuis la mise ne place du programme (en septembre), nous avons reçu 36 dénonciations, dont près de la moitié a été utile pour ouvrir un dossier d’enquête ou pour alimenter une dossier en cours », dit-il.
C’est également pour la coordination des efforts de lutte au crime financier que Jean-François Fortin se félicite. Montréal est la seule place boursière canadienne qui peut se targuer d’avoir une approche fonctionnelle permettant aux policiers, aux régulateurs et aux agences gouvernementales de lutter contre les bandits à cravate. À l’origine, les corps policiers travaillaient de leur côté, les régulateurs de l’autre, et les agences telles celle du Revenu d’un autre côté encore. Cela pouvait réduire l’efficacité des poursuites ou imposer des délais aux enquêtes à cause de querelles juridictionnelles. C’est du passé maintenant.
Plusieurs fois par année, un comité composé de la SQ, la GRC, l’AMF, le DPCP et Revenu Québec, notamment, se réunit pour faire le point sur les dossiers en cours, s’échanger de l’information et coordonner les efforts de lutte aux crimes financiers. Si l’AMF identifie des activités criminelles dans un de ses dossiers, c’est la SQ, ou la GRC, qui prendra le relais. Pour les infractions à caractère fiscal, Revenu Québec s’en mêlera.
« Nous sommes un régulateur. Nos enquêtes sont par définition administratives, plaidées devant le Tribunal des marchés financiers. Du côté criminel, le poursuivant est le DPCP, par exemple pour les fraudes à la Ponzi. »
La connaissance du droit essentielle
Cette réussite est souvent citée en exemple, dans les conférences de l’Association des juricomptables et dans les colloques en valeurs mobilières. Récemment, le cas montréalais était cité en exemple lors du congrès l’Association of Certified Fraud Examiner.
Être patron, c’est bien, mais est-ce que le litige lui manque ? « C’est vrai que je ne plaide plus, mais si on veut argumenter un principe de droit en cour sous un nouvel angle, ou innover dans une approche légale, je vais nécessairement être impliqué dans les discussions », dit Me Fortin.
Il reste que s’il est davantage un gestionnaire qu’un avocat au quotidien, la connaissance du droit est essentielle. Surtout depuis le début du siècle, alors que tous les pays du G20 se dotent de politiques—et de lois—pour encadrer davantage les institutions financières, pour lutter contre les fraudes internationales ou pour juguler l’intérêt de certains de jouer aux apprentis sorciers avec des produits financiers exotiques…
« Je me réalise davantage »
Me Fortin est le premier représentant d’un régulateur nord-américain à présider des comités de premier plan à l’Organisation internationale des commissions de valeurs. Cet organe devise les grandes orientations en matière d’encadrement, d’application des lois et de réglementation financière qui seront ensuite appliquées dans les pays concernés.
Jean-François Fortin préside ainsi le Comité sur l'application des lois et l'échange d'information et le Groupe de contrôle. Sur ces comités siègent des représentants de 35 régulateurs d’envergure des Amériques, de l’Europe et de l’Asie.
Quand on lui demande pourquoi il a quitté la pratique privée pour le service public, il répond : « Si j’avais su dans quoi je m’embarquais, je serais venu bien avant ! » Concédant qu’il fait aujourd’hui « une fraction » de ce qu’il gagnerait s’il était resté dans un grand cabinet, il tire une plus grande satisfaction de son travail. « Je me réalise davantage. L’importance accordée à l’intérêt public, à la protection des investisseurs, c’est très motivant, pour moi, et pour mon équipe. »