Cinq questions à un décrocheur, soldat et avocat!
Gilles Gagné
2021-06-22 14:15:00
Question : Donnez-nous quelques détails de votre parcours un peu atypique, au sujet de vos études, de vos premières années comme avocat, puis comme procureur aux poursuites criminelles et pénales?
Réponse : Je suis né à Smooth Rock Falls, une petite communauté dans le nord de l’Ontario, d’un père gaspésien de Nouvelle et d’une mère ontarienne. J’ai été élevé à New Richmond. J’ai terminé le secondaire en 1975, avec un secondaire 3 complété, des cours de secondaire 4 et des cours de secondaire 5. Je suis entré dans les Forces armées canadiennes en 1976 et j’y suis resté jusqu’en juillet 1987. Quand j’ai quitté les Forces en 1987, je suis retourné à l’école pour compléter mon secondaire, puis je suis allé au cégep et j’ai terminé mon droit à l’Université Laval en 1993. J’ai été admis au Barreau en 1994. J’ai travaillé pendant quatre ans pour ce qui s’appelait alors l’étude légale Landry et Saint-Onge, avant de devenir procureur aux poursuites criminelles et pénales en 1998. Ça fait cliché ou niaiseux, mais j’ai toujours été impressionné par les films d’avocat. C’était un rêve de jeunesse que je n’avais pu réaliser et c’est pourquoi j’ai repris les études après les Forces armées. J’avais trois enfants quand je suis retourné aux études. Mon épouse était infirmière. Il y a eu des temps « rough » du côté budgétaire. C’est mon parcours, rien de plus, mais quand je parle de ça aux gens, ou à des décrocheurs, je dis qu’on peut toujours se prendre en mains et faire ce qu’on voulait réaliser plus jeune ».
Question : Quelles sont les qualités requises pour être avocat, puis procureur aux poursuites criminelles et pénales?
Réponse : Il faut être prêt à travailler beaucoup d’heures et il faut avoir de l’empathie, J’ai toujours dit à mes collègues procureurs que malgré la loi, la qualité première, c’est le gros bon sens. J’ai toujours pensé que les lois étaient des outils de travail, mais une fois cela dit, il faut se servir du gros bon sens. Un procureur doit montrer de l’empathie à l’endroit des victimes sans devenir propriétaire du malheur et de la détresse de la personne. On a un travail à faire (…) Un des principes de notre travail, c’est que même s’il y a une infraction, il faut se demander s’il est dans l’intérêt de la justice que cette personne soit accusée. Quand on a quelqu’un ayant volé un « baloney » à l’épicerie parce qu’il avait faim et qu’il n’avait pas d’autre moyen de se nourrir, ce n’est pas nécessairement justifié de déposer des accusations criminelles. C’est peu dire ».
Question : Y a-t-il une cause qui vous a donné du fil à retordre plus que les autres et une autre de laquelle vous êtes fier?
Réponse : La cause la plus difficile que j’ai vécue est survenue en protection de la jeunesse, en 1996. Il s’agissait d’un enfant que la DPJ (Direction de protection de la jeunesse) voulait voir placé parce que les parents étaient incapables de lui donner les soins dont il avait besoin. La DPJ a gagné la cause. Je représentais le père. Ce fut déchirant au point où je n’ai jamais repris de cause en droit de la jeunesse.
Le cas dont je suis le plus fier? J’en parle maintenant parce que quand j’ai passé mon entrevue pour devenir procureur en chef adjoint (en 2011), ça ne respectait pas à la lettre ce que nous avions à faire, au sens légal.
Avant que les mesures de rechange arrivent en délinquance juvénile, il y avait les « mesures de rechange alternatives ». En 2002, il y a eu la naissance du football scolaire dans la Baie-des-Chaleurs. On était impliqués dans la mise en place de l’équipe, le Carcajou, Richard Lavigne (avocat à l’Aide juridique) et moi. Nos fils jouaient dans l’équipe (…) Il y avait des jeunes qui commettaient des infractions et qu’on ne pouvait envoyer aux mesures de rechange. On a suggéré de les envoyer aux pratiques de football, et d’ajuster le nombre selon les infractions. L’équipe avait des exigences pour ses joueurs, comme aller à l’école, faire un effort selon la capacité de l’athlète et respecter un couvre-feu la veille des matchs. On disait aux jeunes en infraction : « si tu fais tant de pratiques, on ne portera pas d’accusations ». Le premier entraîneur du Carcajou était Luc Bernier (un policier). Tous les jeunes qu’on a envoyés là sont restés dans l’équipe. Certains autochtones de Gesgapegiag n’allaient même pas à l’école. Deux d’entre eux sont allés au Cégep de Lennoxville et les deux ont eu des bourses partielles aux États-Unis, en football. Ça, pour moi, c’est une très grande réussite. Des parents pleuraient en nous remerciant, Richard, moi et l’équipe, d’avoir sorti les jeunes de leur torpeur. Richard a consacré plus de temps à l’équipe, parce que j’ai dû m’en retirer, mais ça m’a permis de rencontrer des jeunes joueurs extraordinaires comme Alexandre Audet, malheureusement décédé dans un accident de la route.
J’ai eu le poste de procureur après cette entrevue. Par la suite, le directeur adjoint à la Direction des poursuites criminelles et pénales se demandait de quelle façon on pourrait étendre ce genre de mesures alternatives à la grandeur de la province, pas exclusivement limitées au football, mais à tous genres d’activités, le but étant de saisir le tribunal de la jeunesse d’une cause uniquement lorsqu’il est vraiment d’intérêt public de le faire. Le directeur adjoint m’a ainsi demandé comment intégrer ça à la province, mais ça dépassait pas mal mon mandat.
En ce qui concerne la fierté, je dois aussi dire que je suis excessivement fier des jeunes procureurs qu’on a formés à New Carlisle, comme Maxime (Rocheville-Paradis) et Florence (Frappier-Routhier) puis d’autres avant. Dans l’Est-du-Québec, les gens qu’on forme sont recherchés partout en province. On garde ceux qu’on a présentement parce qu’on recrute notre monde en région.
Question : Que doit-on se dire quand on perd une cause, en prévision de la suite des choses?
Réponse : La première des choses, on regarde la décision et on se demande : « ai-je fait une erreur et si oui, est-ce que l’intérêt de la justice sera servi si je vais en appel? ». On a le droit de ruminer la décision pendant 24 heures et il faut passer à autre chose parce d’autres causes attendent.
Question : Comment se préparer pour faire ce métier de procureur aux poursuites criminelles et pénales; quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes qui aimeraient suivre vos traces?
Réponse : Il faut bien sûr être avocat, puis faire les démarches pour être déclaré apte à devenir procureur, au moyen d’examens écrits et d’entrevues. On va alors déterminer si tu as les aptitudes. Il faut aussi être prêt à aller où on sera appelé. Il n’y a que trois postes à New Carlisle pour les gens de la Baie-des-Chaleurs, par exemple. Il faut donc être prêt à aller à Sept-Îles, Amos ou toute autre région du Québec. Et il faut toujours faire preuve de gros bon sens!
Cet article a été publié par le journal le Soleil; il est reproduit ici avec l’autorisation de la publication.