Ennemi public numéro 1 et manifestation masquée
Frédéric Bérard
2012-05-02 14:15:00
À défaut de présenter ses excuses à madame la ministre pour les vitres volées en éclats, graffitis inopportuns et autres gestes de vandalisme déplorables, GND s’est vu refuser par le gouvernement, l’accès à la table des négociations. Comme si le bougre portait sur ses épaules, l’ensemble des comportements des casseurs professionnels ou néophytes s’étant joints au mouvement contestataire. Comme s’il avait lui-même été coffré par les flics, de la peinture de graffiti dans les poches ou une brique à la main. Comme s’il présentait un curriculum moins honorable que certains bâtisseurs du Québec (au sens propre, figuré et sarcastique), avec qui les hommes et femmes d’État s’assoient pourtant sans gêne, ni retenue. GND eusse-t-il eu un yacht, que sa participation eut été davantage bienvenue ? L’histoire, sauf potentiellement la Commission Charbonneau, ne le dit pas encore.
Casse et diversion
Aurait-il dû condamner toute forme de violence, et ce, ipso facto ? Va de soi. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait alors ? Faudrait lui demander. Lui, était-il légitime pour jeter la balle dans la cour du gouvernement et déplorer, tout comme Amnistie internationale, les débordements policiers en l’espèce ? Arroseur arrosé ? Le pavé est dans la marre, bien qu’il me semble hasardeux de justifier la violence des uns, par celle des autres. Dans toute société de droit qui se respecte, aucun comportement comme ceux vus récemment ne peut trouver d’excuses, bavures policières incluses.
Toujours est-il que le point est tout autre. Assez évident que madame la ministre ait choisi de faire de GND son bouc émissaire, afin de créer la brèche à même la solidarité étudiante. Sauf que la stratégie fait actuellement patate. Pourquoi ? Parce que personne n’est dupe de celle-ci, justement. N’est pas Machiavel qui veut, de toute évidence.
L’interdiction du masque ou la (mauvaise) solution magique
Nonobstant ce qui précède, reste que les problèmes de casse appartiennent au domaine du sérieux. Le droit à la manifestation pacifique s’arrête évidemment, par définition, où débute quelconque forme de violence. Malheureusement, la chanson demeure la même : suffit de quelques excités au sein d’une large foule afin de dépeindre celle-ci de façon péjorative. Et il s’agit d’un euphémisme.
Mode solution ? Pas simple. Le maire Tremblay propose à nouveau l’interdiction de manifester de manière masquée (i). Ceux qui n’ont rien à se reprocher n’ont rien à cacher, tonne-t-il (ou un truc du genre).
Facile de comprendre la réalité d’un maire voyant sa ville vandalisée aux fins d’un enjeu dont la solution réside à l’autre bout de la 20. Sauf que les solutions de type clef en main, en matière de droit public, sont aussi rares qu’un dialogue sincère entre le gouvernement et ses regroupements étudiants.
La proposition du maire Tremblay ne fait pas exception à la règle. L’interdiction en question, bien que noble dans son objet, comporte sa part de risques en termes de conséquences. C’est d’ailleurs ce qu’a déterminé en 2004 la Cour supérieure quant à un règlement de la Ville de Québec (''Québec'' (Ville de) c.'' Tremblay'', 2004). Celui-ci visait à interdire à quiconque de se trouver « masqué ou déguisé, de jour ou de nuit, dans une rue ». Comme dans toute situation où un on s’en remet à la discrétion policière, ce qui devait arriver arriva : un homme fut arrêté en pleine rue pour avoir récité du Shakespeare… casque de hockey sur la tronche. De dire la Cour : non seulement le règlement brime la liberté d’expression, mais son imprécision laisse place à un dangereux arbitraire policier. Toujours selon la Cour, Bonhomme Carnaval, le père Noël et les policiers antiémeutes (ii) auraient pu être mis à l'amende en vertu du règlement maintenant invalidé.
Afin d’être considéré intra vires, la disposition aurait dû préciser qu’il est interdit de se déguiser « dans l’intention de commettre un acte criminel ». Mais à quoi bon ? En fait, l’article 351 du Code criminel prévoit essentiellement la même interdiction, laquelle peut bien sûr être invoquée par les flics lors de manifestations. Sauf que celle-ci est insuffisante, clament ces derniers, parce que trop difficile de prouver la perpétration d’un crime.
On peut les comprendre. Mais entre deux maux, on choisit d’ordinaire le moindre. C’est d’ailleurs ce que fait la Cour supérieure en l’espèce. Tout exercice purement discrétionnaire comporte en lui-même les gênes d’un dérapage, pour ne pas dire autre chose, annoncé. La Crise d’octobre et la Loi sur les mesures de guerre, par exemple. Arrestation et perquisition sans mandat, donc assujetties à un arbitraire absolu. Le wet dream de tout corps policier moyennement zélé, quoi. Résultat ? Près de 500 arrestations, la plupart sans fondement, et bon nombre de perquisitions plutôt rocambolesques.
Mes préférées ? La perquisition au domicile du ministre fédéral Gérard Pelletier, soit leur patron. Mieux encore : l’arrestation d’un malheureux détenteur d’un bouquin portant sur le cubisme. Le lien ? Facile : cubisme = Cuba = Castro = communisme. Allez hop, un autre révolutionnaire dans le panier à salades…
Notes:
(i)Il regrette ainsi d’avoir abandonné en 2008 un projet de règlement au même effet.
(ii)Et GND, probablement.