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Le « regard fou » de Gilbert Rozon... Elle s’est sauvée en courant dans la rue

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Radio-Canada Et Cbc

2024-12-20 10:15:13

Gilbert Rozon au palais de justice de Montréal pour son procès civil. Source : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Gilbert Rozon au palais de justice de Montréal pour son procès civil. Source : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Une animatrice était appelée à témoigner au sujet d'une agression qu'elle aurait subie aux mains du producteur en 1991…

« J’ai senti quelque chose en moi qui m’a tirée de mon sommeil. Quelqu’un était derrière moi. Il me donnait des coups au niveau du bassin. J’ai senti mon pyjama en moi. J’étais terrifiée. Je croyais qu’un brigand s’était introduit dans l’appartement et que j’allais mourir. Je me suis retournée et j'ai vu que c'était Gilbert Rozon. Il avait un regard fou. J’ai alors compris que je n’allais pas mourir mais que j’allais me faire violer. »

Cela se serait passé en 1991. Julie Snyder a alors 23 ans.

Les avocats en demande sont : Me Bruce Johnston, Me Anne-Julie Asselin et Me Jessica Lelièvre.

Les avocats de Gilbert Rozon sont : Me Mélanie Morin, Me Pascal Pelletier et Me Laurent Debrun.

La jeune animatrice pétillante est à l’aube d’une carrière déjà remarquable. Elle se trouve à Paris, invitée comme d’autres journalistes québécois par Juste pour rire, qui lance cette année-là un jeune humoriste chouchou du public avec ses grimaces improbables : Michel Courtemanche.

« Je me souviens d’avoir été très fière du succès de cet artiste québécois en France », a précisé Julie Snyder 33 ans plus tard dans la salle 16.3 du palais de justice de Montréal, où elle témoignait à l'occasion du procès civil intenté par neuf femmes qui réclament des dommages à l’ex-patron de Juste pour rire pour des agressions sexuelles alléguées.

Malgré les années qui séparent cette femme de 57 ans de cette sombre nuit parisienne, les souvenirs ne se sont pas effacés et les émotions sont toujours à fleur de peau. Julie Snyder ne fait pas partie des demanderesses au procès de Gilbert Rozon, mais comme quelques autres femmes, elle a accepté d’ajouter sa pierre à l’édifice de la preuve pour démontrer qu’il y a eu répétition des comportements reprochés à M. Rozon.

Lors de ce séjour à Paris, Julie Snyder apprend que le diffuseur de Sortir tire la plogue de cette émission. Afin de lui remonter le moral, des amis français de Julie Snyder qu’elle a connus lors de sa relation amoureuse avec le chanteur Patrick Bruel l’invitent à rester en Europe plutôt que de rentrer au Québec et à aller faire du ski dans les Alpes quelques jours plus tard. Elle accepte.

En attendant, une amie et collègue de Julie Snyder, Marie-Hélène Roy, qui n'est plus de ce monde, lui suggère d’aller dormir à l’appartement de Juste pour rire à Paris, où séjourne Madeleine Carreau, alors directrice des communications dans l’entreprise de Gilbert Rozon. Cependant, Mme Carreau quitte les lieux et annonce à Julie Snyder que Gilbert Rozon s’en vient. Le soir venu, Gilbert Rozon et Julie Snyder papotent gentiment et la jeune animatrice se retire dans sa chambre pour dormir.

Le réveil est brutal. Trémolos dans la voix, Julie Snyder a décrit le regard fou de son assaillant.

« Ce n’était pas la même personne, je ne le reconnaissais pas ». Julie Snyder a ensuite rendu grâce à son instinct de survie. Elle a expliqué à la juge Chantal Tremblay, de la Cour supérieure, qui entend cette cause, qu'elle a usé de ruse pour échapper à l'assaut de Gilbert Rozon. Elle a dit à celui-ci qu’elle devait aller à la salle de bains. Puis, quand elle est sortie de cette pièce, elle a attrapé son sac à main et s’est sauvée en courant dans la rue. Elle se souvient d’avoir aperçu Gilbert Rozon, nu sur le lit, « qui se masturbait, le regard en transe ».

Je lui ai dit : « Gilbert, t’es malade! »

Répondant aux questions de Me Bruce Johnston, avocat des demanderesses, la femme d’affaires accomplie, vêtue d’un impeccable tailleur-pantalon noir, a brossé à la cour un bref portrait de son enfance dans une famille où régnait la violence. « Je suis entrée au cégep avec un œil au beurre noir et j’étais première de classe. Je m’étais dit que la seule façon de m’en sortir était de réussir ».

Me Bruce Johnston, Me Anne-Julie Asselin et Me Jessica Lelièvre. Source : Trudel Johnston & Lespérance
Me Bruce Johnston, Me Anne-Julie Asselin et Me Jessica Lelièvre. Source : Trudel Johnston & Lespérance

C’est pour cette raison que Julie Snyder a attendu des années avant de parler de la présumée agression subie aux mains de l’accusé.

Julie Snyder a rappelé à la cour qu’à l’époque, Gilbert Rozon était omnipotent dans le milieu culturel, qu’il fréquentait des politiciens, qu’il était l’agent de monstres sacrés du showbiz comme Charles Trenet et que, en tant qu'animatrice d’émissions culturelles, elle avait évalué que le risque de parler était trop grand.

Alors que la témoin évoquait les raisons de son silence, une des plaignantes dans la salle d’audience, la comédienne Patricia Tulasne, s’est mise à pleurer. La militante Laure Waridel, venue soutenir les plaignantes, lui a caressé le dos pour l'apaiser. Pendant ce moment d’émotion, Gilbert Rozon triturait sa cravate élégante et prenait des notes. Si Julie Snyder n’a pas officiellement porté plainte pendant longtemps contre l’ex-magnat de l’humour, elle l’a néanmoins affronté. Je lui ai dit : Tu dois te faire soigner, Gilbert.

La témoin a ainsi évoqué une rencontre singulière. Julie Snyder est alors en psychanalyse pour guérir de ses traumatismes. Gilbert Rozon vient de plaider coupable d'une agression sexuelle à l’endroit d’une croupière du Manoir Rouville-Campbell. Nous sommes en 1998. À l’occasion d’une rencontre, Julie Snyder évoque le souvenir d’un dialogue particulier.

Elle lui aurait dit : Gilbert, tu n’es pas responsable des sévices que tu as subis comme enfant, mais tu es responsable de les reproduire. L’animatrice n’a pas précisé de quelle nature seraient les sévices que Gilbert Rozon aurait subis enfant. Gilbert m’a remerciée. Il m’a dit que c’était un excellent conseil que je lui donnais.

Les fêtes du 375e anniversaire de Montréal évoquées au procès

Puis est arrivé le raz-de-marée que l’on sait. L’affaire Weinstein, le mouvement #MoiAussi, les journalistes qui se mettent à fouiller. Les histoires qui émergent. Julie Snyder a raconté qu’une connaissance lui a dit que le quotidien Le Devoir s’apprêtait à publier un article dévastateur sur Gilbert Rozon.

Spontanément, j’ai pensé que ce serait de nature économique. Devant la juge, Julie Snyder a alors raconté qu’elle et son équipe avaient été approchées pour assister Gilbert Rozon à l'occasion des célébrations du 375e anniversaire de Montréal, dont Rozon était le commissaire nommé par la Ville.

Cependant, Julie Snyder s’est étonnée de certaines manipulations comptables, qu’elle a trouvées à tout le moins discutables. J’ai dit à mon équipe : On ne touche pas à ça. Cela sent le fling-flang à plein nez et, un jour, ça va sortir au grand jour, a-t-elle relaté. Les reportages sur les comportements de Gilbert Rozon ont été diffusés.

Me Mélanie Morin, Me Pascal Pelletier et Me Laurent Debrun. Sources : Morin Pelletier Avocats et Spiegel Sohmer
Me Mélanie Morin, Me Pascal Pelletier et Me Laurent Debrun. Sources : Morin Pelletier Avocats et Spiegel Sohmer

Un jour, Julie Snyder s’est rendue dans un poste de police et a officiellement porté plainte. Ce qu'elle a relaté jeudi en cour au sujet de son passage à Paris en 1991, Julie Snyder l'a déjà raconté à son émission La semaine des 4 Julie, ce qui lui a valu une poursuite en diffamation de la part de Gilbert Rozon.

Avant que l'audience ne commence, jeudi matin, j’ai croisé Gilbert Rozon à la cafétéria du palais de justice. Il s’est levé et m'a serré la main de façon courtoise. En toute transparence, je dois préciser que mon ex-conjoint a déjà travaillé pour Juste pour rire comme scripteur avant que n’éclate le scandale et que, dans ce contexte, j’ai rencontré son patron à quelques reprises.

Gilbert Rozon m’a dit qu’il ne me donnerait pas d’entrevue, mais il s’est plaint qu'à son avis, les médias relatent plus abondamment le récit des plaignantes que les contre-interrogatoires faits par ses avocats.

À sa sortie de la salle d’audience, Gilbert Rozon a répondu à une question d’un collègue et a déclaré qu’il poursuit Julie Snyder en diffamation parce que ce qu’elle a dit à la télévision est faux. Prévu vendredi, le témoignage de Véronique Moreau, fille de Jean-Guy Moreau et sœur de Sophie Moreau, qui a témoigné plus tôt cette semaine, a été reporté.

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