Aujourd'hui Khadr, demain Tremblay

Sébastien C. Caron
2010-02-03 10:15:00
Le même jour, la Cour suprême du Canada, le plus haut tribunal du pays, concluait que notre gouvernement viole lui-même présentement et depuis plusieurs années les principes de justice fondamentale, les normes canadiennes les plus élémentaires et les droits constitutionnels d'Omar Khadr, ce jeune Canadien emprisonné à Guantánamo. Malgré les conclusions accablantes de la Cour suprême, notre gouvernement est allé jusqu'à se déclarer heureux de cette décision. En effet, notre ministre de la Justice (Rob Nicholson) a déclaré à ce sujet: «Le gouvernement est heureux que la Cour suprême ait reconnu la responsabilité constitutionnelle de l'exécutif de prendre les décisions concernant les affaires étrangères.»
Nous devons nous indigner de la position de notre gouvernement dans ce dossier et exiger que cette situation inacceptable prenne fin immédiatement.
Une autorisation
Bien sûr, Khadr est le fils d'un terroriste notoire et il ne suscite pas beaucoup de sympathie. [...] Il ne faudrait toutefois pas oublier ceci: si nous acceptons que notre gouvernement ignore la loi dans certains cas, nous nous engageons sur une pente très glissante et nous ne savons pas où cela va nous mener. [...] Nous vivons dans un État de droit. Notre démocratie repose sur ce principe de base selon lequel le droit doit primer, ce qui signifie que personne, surtout pas le gouvernement, ne peut se placer au-dessus des lois. [...]
Malgré les apparences, ce n'est pas seulement de l'affaire Khadr qu'il est question ici. D'abord, nous ne pouvons pas tenir pour acquis que notre gouvernement va limiter ses abus de pouvoir au cas de Khadr. L'histoire a démontré que celui à qui l'on donne le pouvoir discrétionnaire de décider de ce qui est bien et de ce qui ne l'est pas, de ce que les citoyens peuvent ou ne peuvent pas faire, du moment où un homme doit entrer ou sortir de prison, finit immanquablement par être envoûté par ce pouvoir, par en abuser et par vouloir le conserver à tout prix.
Le prochain
N'allons pas croire qu'il y a une grande différence entre violer les droits d'un Khadr et ceux d'un Léveillé, d'un Dubé ou de n'importe quel autre Tremblay de la région. Les Québécois, comme les autres Canadiens «de souche», voguent sur la même pente glissante que les Canadiens d'origine étrangère. Nous avons un seul gouvernement. Ce dernier s'arroge aujourd'hui le pouvoir de violer les droits d'un dénommé Khadr. Si nous ne réagissons pas, demain, un autre d'entre nous sera victime des abus de pouvoir du gouvernement.
Quant à l'argument du ministre Nicholson selon lequel ce n'est pas aux tribunaux de prendre les décisions concernant les Affaires étrangères, ce n'est rien de moins qu'une insulte à l'intelligence du public. Tout le monde sait que ce n'est pas aux tribunaux de décider des politiques étrangères du pays, mais ça n'autorise pas par ailleurs notre gouvernement à continuer de violer les droits fondamentaux des Canadiens. Ce n'est pas non plus aux tribunaux de décider si une femme victime de violence conjugale souhaite divorcer ou non de son mari.. Cela n'autorise toutefois pas ce dernier à continuer de la violenter.
De la parole au geste
Notre gouvernement se dépeint comme un défenseur des droits et libertés et il continue d'intervenir sur la scène internationale comme s'il était toujours un leader en matière de protection des droits et libertés. En cette matière cependant, la valeur des dirigeants s'évalue par rapport aux gestes qu'ils font et non par rapport aux paroles qu'ils prononcent. Trop de gouvernements tyranniques et d'autres despotes des temps modernes font la promotion des droits et libertés devant les caméras tout en terrorisant sans remords des populations entières. Dans le cas de notre gouvernement, nous savons maintenant que derrière le discours officiel, on n'hésite pas à violer les principes de justice fondamentale et les droits et libertés.
Certains assument à tort que notre démocratie est inébranlable et éternelle. C'est une erreur. La démocratie est fragile et elle dépend de la volonté du peuple de la créer et de la maintenir par la suite. Nous ne devons pas accepter que notre gouvernement se place au-dessus de la loi. Aujourd'hui, c'est à nous d'exhorter notre propre gouvernement à «respecter ses obligations juridiques nationales et internationales».