Comprendre le nouveau règlement québécois sur le traitement des plaintes dans le secteur financier
Jennie Baek, Tania Boulanger Et Jade Cassivi
2024-07-29 11:15:35
Quid du nouveau règlement québécois en matière de traitement des plaintes dans le secteur financier?
À compter du 1er juillet 2025, le Règlement sur le traitement des plaintes et le règlement des différends dans le secteur financier (le « Règlement ») établira des procédures uniformes de traitement des plaintes pour les entités (tel que défini ci-bas).
Cette initiative de l’Autorité des marchés financiers (l’« AMF ») marque une étape réglementaire importante vers l’unification des pratiques de règlement des plaintes dans le secteur. Ce bulletin examine la portée du Règlement et décrit les procédures nouvellement mandatées pour le traitement des plaintes.
En bref
Le Règlement entrera en vigueur le 1er juillet 2025.
Le Règlement s’applique aux institutions financières, aux intermédiaires financiers et aux agents d’évaluation du crédit qui exercent leurs activités au Québec (les « entités »).
Le Règlement impose des procédures uniformes pour le traitement des plaintes.
Les entités doivent respecter les exigences en matière de communication claire, de réponses rapides et de documentation complète des plaintes.
Le non-respect du Règlement peut entraîner des pénalités allant de 1 000 $ à 5 000 $.
Qui est concerné?
Le Règlement s’applique aux :
Institutions financières, y compris :
les assureurs autorisés en vertu de la Loi sur les assureurs;
les coopératives de services financiers au sens de la Loi sur les coopératives de services financiers;
les institutions de dépôt autorisées en vertu de la Loi sur les institutions de dépôts et la protection des dépôts;
les sociétés de fiducie autorisées en vertu de la Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne;
Intermédiaires financiers, c’est-à-dire:
les personnes et les sociétés inscrites à titre de cabinets, de sociétés autonomes ou de représentants autonomes en vertu de la Loi sur la distribution de produits et services financiers;
les personnes inscrites à titre de courtiers ou de conseillers en vertu de la Loi sur les instruments dérivés ou la Loi sur les valeurs mobilières;
Agents d’évaluation du crédit désignés en vertu de la Loi sur les agents d’évaluation du crédit.
Les courtiers en placement et les courtiers en épargne collective membre de l’Organisme canadien de réglementation des investissements (l’« OCRI ») sont dispensés de l’application du Règlement pour leurs activités au Québec en tant que courtiers en placement ou courtiers en épargne collective, à condition qu’ils adhèrent à des règles comparables établies par l’OCRI et approuvées par l’AMF. Ils doivent toutefois se conformer au Règlement dans l’exercice de toute autre activité pour laquelle ils sont inscrits.
Qu’est-ce qu’une plainte?
En ce qui concerne les institutions financières et les intermédiaires financiers, une plainte est un reproche ou une insatisfaction, à l’égard d’un service ou d’un produit offert par ces institutions ou intermédiaires, qui est communiqué par une personne qui fait partie de sa clientèle et pour lequel une réponse finale est attendue.
Une réponse finale est attendue lorsque la communication de l’auteur de la plainte implique explicitement ou implicitement que des mesures doivent être prises pour y remédier. En ce qui concerne les agents d’évaluation du crédit, on entend par plainte tout reproche ou toute insatisfaction concernant une pratique d’un agent d’évaluation du crédit, lorsque le reproche ou l’insatisfaction est communiqué par une personne concernée sur qui il détient un dossier.
Les communications suivantes ne sont pas considérées comme des plaintes au sens du Règlement:
une demande de renseignements ou de documents formulée à l’égard d’un produit ou d’un service offert;
- une demande d’accès ou de rectification faite conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé;
- une demande d’indemnité ou toute autre réclamation d’assurance;
- une demande visant la correction d’une erreur de calcul ou d’écriture, à moins que d’autres mesures doivent être prises pour remédier aux conséquences de cette erreur pour :
-le demandeur;
-dans le cas d’une institution financière ou d’un intermédiaire financier, toute autre personne faisant partie de sa clientèle;
-dans le cas d’un agent d’évaluation du crédit, toute autre personne concernée sur qui il détient un dossier;
- la communication d’un commentaire ou d’une rétroaction.
Que prévoit le Règlement ?
1) Les intermédiaires financiers devront adopter ou adapter leur politique de traitement des plaintes et de règlement des différends afin de respecter les nouvelles lignes directrices
Lorsque le Règlement entrera en vigueur, les intermédiaires financiers devront avoir mis en place une politique qui:
Détaille la manière dont les plaintes sont reçues, assignées, analysées et traitées, en veillant à ce que le traitement demeure simple et sans frais pour l’auteur de la plainte, et qu’il soit effectué d’une manière objective qui tient compte des intérêts de l’auteur de la plainte;
Prévoit des mesures pour assurer la mise en œuvre de la politique dans l’ensemble de l’organisation, y compris la désignation d’un responsable du traitement des plaintes doté de l’autorité et des compétences appropriées;
Veille à ce que l’auteur d’une plainte bénéficie d’une assistance adéquate tout au long de la procédure et qu’il reçoive des mises à jour en temps opportun sur le statut de la plainte;
Définit les mesures d’attribution des plaintes au personnel sous la supervision du responsable du traitement des plaintes et veille à ce que le personnel ait accès aux informations essentielles à tout moment;
Exige qu’une reddition périodique soit effectuée aux dirigeants de l’intermédiaire financier sur divers éléments: le nombre et les causes des plaintes, les résultats du traitement des plaintes, les enjeux liés à la mise en œuvre de la politique et les enjeux soulevés par l’identification des causes communes des plaintes; et
Vise à développer une vision d’ensemble des plaintes reçues afin d’identifier les causes communes et de traiter efficacement les enjeux qu’elles soulèvent.
Ces exigences s’ajoutent à celles déjà prévues par la Loi sur les valeurs mobilières et la Loi sur la distribution de produits et services financiers en ce qui concerne les politiques de traitement des plaintes et de règlement des différends. Elles ne s’appliquent pas aux institutions financières et aux agents d’évaluation du crédit, qui sont déjà assujettis à des lignes directrices semblables en vertu de leurs lois sectorielles respectives.
2) Les institutions financières, les intermédiaires financiers et les agents d’évaluation du crédit devront respecter de nouvelles règles et pratiques en matière de traitement des plaintes Le Règlement établit des lignes directrices détaillées pour les entités. Les nouvelles règles et pratiques de traitement des plaintes comprennent les points clés suivants:
a) Exigences en matière de divulgation
Les entités sont tenues de rédiger tout document d’information dans une forme claire, lisible, précise et non trompeuse concernant le traitement des plaintes et le règlement des différends. Les documents d’information doivent mettre en évidence les éléments essentiels à une prise de décision éclairée.
Ils ne doivent ni porter à confusion, ni induire en erreur. Le Règlement interdit spécifiquement aux entités d’utiliser, dans toute représentation ou communication destinée au public, le terme ombudsman ou tout autre qualificatif de même nature pour désigner leur service de traitement des plaintes, laissant croire que ces personnes n’agissent pas pour le compte de l’entité.
b) Communication claire et assistance
Les entités doivent prendre les mesures nécessaires pour comprendre les communications qui leur sont formulées et pour ce faire, ils doivent assister les auteurs des communications dans la formulation de leurs plaintes, lorsque requis. Ils doivent également veiller à ce que leur personnel utilise un langage clair et simple dans toutes les interactions avec l’auteur d’une plainte.
Si une entité constate qu’une plainte concerne plusieurs institutions, intermédiaires ou agents d’évaluation du crédit, elle doit en informer l’auteur de la plainte. Cette notification doit préciser dans quelle mesure les autres entités sont impliquées et informer l’auteur de la plainte de son droit de déposer une plainte concernant ces autres parties.
L’entité doit également fournir, s’il y a lieu, les renseignements qu’elle détient permettant à l’auteur de communiquer avec elles. En outre, lorsqu’une plainte peut avoir des répercussions sur d’autres personnes faisant partie de sa clientèle, l’entité doit prendre les mesures nécessaires pour y remédier.
c) Traitement standardisé des plaintes
Les entités doivent traiter les plaintes reçues avec diligence. Cela implique notamment :
L’envoi rapide d’un accusé de réception à l’auteur de la plainte selon les modalités prévues à l’article 22 du Règlement;
L’accusé de réception doit être envoyé sous forme écrite et, en plus d’informer l’auteur de la plainte de son droit de demander l’examen du dossier de plainte par l’AMF (ou, le cas échéant, par une fédération), doit inclure les éléments suivants: 1) le code d’identification du dossier de plainte; 2) la date de réception de la plainte par l’entité, si elle diffère de la date de consignation à son registre des plaintes; 3) les moyens permettant à l’auteur de la plainte d’obtenir de l’information concernant le traitement de celle-ci; 4) le délai anticipé pour le traitement de la plainte, ainsi que la date avant laquelle la réponse finale doit lui être communiquée; et 5) un lien hypertexte permettant d’accéder au résumé de la politique de traitement des plaintes et de règlement des différends ou une copie de celui-ci.
Documenter adéquatement le traitement de la plainte et constituer un dossier de plainte conformément à l’article 18 du Règlement;
Le dossier de plainte comprend : 1) la plainte; 2) une copie de l’accusé de réception transmis à l’auteur de la plainte; 3) tout document ou renseignement ayant servi à l’analyse de la plainte; 4) le cas échéant, une copie de tout document ou renseignement transmis ou fourni à l’auteur de la plainte; 5) une copie de l’avis écrit transmis à l’auteur de la plainte; 6) une copie de la réponse finale communiquée à l’auteur de la plainte; 7) tout échange avec l’auteur de la plainte ou un résumé de cet échange. Le dossier de plainte doit être conservé dans le même délai de conservation que celui de tout renseignement concernant l’auteur de la plainte.
Consigner la plainte à son registre des plaintes et le mettre à jour; et
Communiquer, au plus tard le 60e jour suivant la réception de la plainte, une réponse finale à son auteur;
La réponse finale doit comprendre : 1) une mention à l’effet qu’il s’agit d’une réponse finale; 2) un résumé de la plainte reçue; 3) la conclusion motivée de l’analyse de la plainte et le résultat de son traitement; 4) une mention du droit pour l’auteur de la plainte de demander de faire examiner le dossier de sa plainte par l’AMF, ou le cas échéant, par une fédération, ainsi que des explications sur les moyens permettant d’effectuer une telle demande; 5) si une offre visant à régler la plainte est présentée à l’auteur de celle-ci, le délai à l’intérieur duquel il peut l’accepter; et 6) les coordonnées d’affaires et la signature de la personne qui a traité la plainte.
Les entités doivent également continuer à gérer les échanges additionnels avec l’auteur de la plainte même après avoir fourni une réponse finale, pour permettre à ce dernier de soumettre de nouveaux faits et de nouvelles questions, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de mesures à prendre relativement à la plainte.
d) Offres visant à régler la plainte
Les entités doivent accorder à l’auteur de la plainte un délai raisonnable pour évaluer toute offre visant le règlement d’une plainte et y répondre. Ce délai doit permettre à l’auteur de la plainte, s’il le souhaite, d’être conseillé aux fins d’une prise de décision éclairée. Une fois l’offre acceptée, l’institution doit y donner suite dans un délai de 30 jours, à moins qu’un autre délai ne soit convenu avec l’auteur de la plainte, lorsque l’intérêt de celui-ci le justifie.
En outre, il est interdit aux entités d’imposer certaines conditions lorsqu’elles présentent une offre visant la résolution d’une plainte. Par exemple, elles ne peuvent pas :
Empêcher l’auteur de la plainte de demander un examen du dossier de plainte par l’AMF ou, le cas échéant, par sa fédération;
Obliger l’auteur de la plainte à retirer toute autre plainte dont il est également l’auteur;
Restreindre les communications de l’auteur de la plainte avec les organismes de réglementation comme l’AMF, les organismes d’autoréglementation reconnus concernant l’encadrement du secteur financier, la Chambre de la sécurité financière ou la Chambre de l’assurance de dommages.
e) Traitement accéléré de certaines plaintes Les plaintes qui peuvent être réglées à la satisfaction de leur auteur dans un délai de 20 jours peuvent faire l’objet d’un traitement accéléré. Dans le cadre de cette procédure, les entités peuvent fournir verbalement ou par écrit la conclusion motivée de leur analyse et, le cas échéant, une offre visant à régler la plainte. Un résumé de ces informations peut alors être consigné dans le dossier de plainte. Toutefois, si une plainte ne peut être réglée à la satisfaction de l’auteur de la plainte dans un délai de 20 jours, l’entité doit envoyer un accusé de réception écrit au plus tard le 20e jour suivant la réception de la plainte. Les lignes directrices standards concernant le traitement des plaintes doivent alors être suivies.
f) Résumé de la politique
Les entités doivent disposer d’un résumé de leur politique de traitement des plaintes et de règlement des différends, qui doit:
Décrire la procédure de dépôt d’une plainte ainsi que le droit pour son auteur d’être assisté dans la formulation de celle-ci;
Détailler les différentes étapes du traitement des plaintes; Indiquer qu’une plainte peut être valablement déposée en utilisant le formulaire disponible sur le site internet de l’AMF, ainsi qu’un lien vers ce formulaire;
Préciser comment obtenir de l’information concernant le traitement des plaintes;
Indiquer le délai de traitement des plaintes prévu par le Règlement, ainsi que les conditions et motifs de prolongation du délai de traitement des plaintes, si applicable; et
Informer l’auteur de la plainte de son droit de demander l’examen du dossier de plainte par l’AMF ou, le cas échéant, par une fédération, en indiquant la démarche à suivre.
Lorsqu’il est publié sur le site internet d’une entité, le résumé doit être facilement accessible aux clients ou, dans le cas d’un agent d’évaluation du crédit, à toute personne concernée sur qui il détient un dossier.
3) L’auteur d’une plainte aura le droit de faire examiner son dossier de plainte par l’AMF Les entités doivent transmettre le dossier de plainte à l’AMF dans les 15 jours suivant la demande de l’auteur de la plainte. Elles doivent également, sur demande, fournir les coordonnées de la personne agissant à titre de répondant officiel auprès de celle-ci, au plus tard le 10e jour suivant la demande de l’AMF.
4) Les infractions seront sanctionnées par des pénalités allant de 1 000 $ à 5 000 $ Le Règlement prévoit des sanctions administratives pécuniaires de 1 000 $ à 5 000 $ en cas de contravention, applicables uniquement aux institutions financières et aux agents d’évaluation du crédit.
Les intermédiaires financiers, quant à eux, sont régis par le Tribunal administratif des marchés financiers, qui aura le pouvoir d’imposer des sanctions appropriées en cas de contravention, qui devraient être similaires à celles prévues par le Règlement.
Conclusion
En imposant des délais clairs, en assurant une documentation complète et en favorisant une communication efficace, le Règlement vise à renforcer la confiance des consommateurs envers les services financiers. Nous encourageons les entités qui sont soumises à la supervision de l’AMF à revoir leurs politiques de traitement des plaintes avant que le Règlement entre en vigueur le 1er juillet 2025.
À propos des auteures
Jennie Baek est avocate chez McMillan. Sa pratique est axée sur le droit des marchés financiers et des valeurs mobilières, plus spécifiquement dans le secteur des fonds d’investissement et de la gestion d’actifs.
Tania Boulanger conseille les émetteurs, les courtiers ainsi que les fonds de capital-investissement œuvrant dans diverses industries au sein du cabinet McMillan.
Jade Cassivi est membre du groupe des marchés financiers au bureau de Montréal du cabinet McMillan.