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Considérations juridiques au Canada liées aux vidéos et images hypertruquées

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Carina Chiu, Pablo Tseng Et Aki Kamoshida

2025-04-10 10:15:53

Quid des considérations juridiques au Canada en lien avec les vidéos et images hypertruquées?

La prolifération de vidéos et d’images générées par l’IA, ou « hypertruquées », et les considérations juridiques qui les entourent suscitent une attention accrue dans la sphère publique. Mi-février 2025, Scarlett Johansson a parlé publiquement de son expérience en tant que victime de la technologie des hypertrucages.
Carina Chiu, Pablo Tseng et Aki Kamoshida - source : McMillan

Une vidéo hypertruquée, dans laquelle semblent apparaître l’actrice et un certain nombre d’autres célébrités, dont Adam Levine et Mila Kunis, condamnant l’antisémitisme, est devenue virale sur Internet. Mme Johannson a depuis lors exhorté les élus américains à adopter une loi pour protéger les personnes contre de telles utilisations de l’intelligence artificielle. Une autre célébrité également victime du phénomène, Taylor Swift, aurait envisagé une action en justice après que des images explicites hypertruquées d’elle ont circulé sur les médias sociaux l’année dernière.

Dans notre récent bulletin intitulé Considérations juridiques au Canada liées au « clonage de la voix », nous avons examiné les causes d’action potentielles dont une personne peut se prévaloir au Canada si elle était victime d’un clonage de la voix. Les recours juridiques dont disposent les victimes de clonage de la voix s’appliquent également aux hypertrucages.

Causes d’action communes au clonage de la voix et aux hypertrucages

  1. Atteinte à la vie privée : utilisation d’une « ressemblance »

Dans notre précédent bulletin, nous avons expliqué comment diverses lois provinciales sur la protection de la vie privée pouvaient être invoquées si la voix d’une personne était utilisée sans son autorisation. Il en est de même de l’hypertrucage qui pourrait faire l’objet de demandes dans ce sens, étant donné que ces lois provinciales ont été adoptées pour protéger les personnes contre l’utilisation non autorisée de leur « ressemblance ». Par exemple, en vertu de la Loi sur la protection de la vie privée du Manitoba :

2(1) Celui qui, de façon notable, sans raison valable et sans droit invoqué, porte atteinte à la vie privée d’une autre personne commet un délit civil contre cette autre personne.

3 Sans préjudice de la portée générale de l’article 2, la vie privée d’une personne peut être atteinte (…)

c) par l’utilisation sans autorisation, du nom, de la ressemblance ou de la voix de la personne en vue de faire la publicité, de promouvoir la vente ou l’échange de tout bien ou service ou en vue de toute autre forme d’enrichissement pour l’utilisateur si, au cours de l’usage, la personne est identifiée ou identifiable et que l’utilisateur a l’intention d’exploiter le nom, la ressemblance ou la voix de cette personne[8];

(c’est nous qui soulignons)

On pourrait soutenir que le champ d’une telle disposition législative est assez large pour couvrir les actes fautifs liés aux hypertrucages.

  1. Usurpation de personnalité

En ce qui concerne le délit d’usurpation de personnalité, il s’agit de cas où la personnalité d’une personne est exploitée à des « fins commerciales ». Ce délit n’est pas nouveau non plus. Par exemple, dans l’affaire Athans v. Canadian Adventure Camps Ltd. et al., George Athans Jr., un skieur nautique professionnel bien connu, a réussi à faire valoir ce délit contre Canadian Adventure Camps Ltd. et son cabinet de relations publiques (collectivement, « CAC »).

CAC avait utilisé un dessin inspiré d’une photographie de M. Athans dans une brochure faisant la promotion d’un camp où le ski nautique était proposé comme l’une des activités. CAC a été déclarée responsable d’avoir tiré un avantage commercial de la personnalité de M. Athans. Étant donné qu’il est prévisible que des acteurs malveillants pourraient tirer commercialement profit de la personnalité d’une personne en recourant à des hypertrucages, une telle utilisation abusive de la technologie des hypertrucages peut donc faire l’objet de demandes pour usurpation de la personnalité.

Dans certaines provinces, les lois sur la protection de la vie privée mentionnent expressément les cas d’exploitation commerciale de l’image d’une personne. Par exemple, en Colombie-Britannique, il existe un délit civil légal d’utilisation non autorisée du nom ou du portrait d’une autre personne à des fins publicitaires :

(Traduction) 3 (2) Constitue un délit, ouvrant droit à une poursuite sans qu’il soit nécessaire de prouver l’existence d’un dommage, le fait pour une personne d’utiliser le nom ou le portrait d’une autre personne dans le but de faire de la publicité ou de promouvoir la vente ou toute autre négociation de biens ou de services, à moins que cette autre personne, ou une personne autorisée à agir en son nom, ne consente à une telle utilisation.

(c’est nous qui soulignons)

En Colombie-Britannique, cependant, la question de savoir si l’usurpation de la personnalité doit être reconnue en common law reste ouverte, au vu des débats qui y ont cours quant à la question de savoir si les tribunaux de la Colombie-Britannique doivent reconnaître le délit d’atteinte à la vie privée (dont l’usurpation de la personnalité est une sous-catégorie) en common law.

Dans la décision récemment rendue dans Bao v. Welltrend United Consulting Inc., la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a refusé de confirmer la conclusion du tribunal inférieur relativement à l’usurpation de la personnalité, mais n’a pas écarté la possibilité que ce délit soit reconnu à l’avenir :

(Traduction) Bien que cette Cour ait récemment laissé entendre dans l’arrêt Tucci v. Peoples Trust Company, 2020 BCCA 246, par. 55, 64-68, qu’il était peut-être temps de réexaminer la situation pour déterminer si la Colombie-Britannique a besoin d’instituer un délit civil d’atteinte à la vie privée en common law pour résoudre la question des violations des renseignements personnels, cela constitue un problème distinct de l’usurpation de la personnalité d’une autre personne à des fins commerciales, qui est une cause d’action réputée couverte par l’article 3 de la Privacy Act.

En tout état de cause, la question de savoir si la cause d’action légale pour atteinte à la vie privée en Colombie-Britannique empêche la reconnaissance d’un délit civil de common law est une question épineuse : Situmorang v. Google, LLC, 2024 BCCA 9, par. 88.

Comme l’a souligné le juge Horsman dans cette affaire, la résolution de ce problème « exigerait à tout le moins une analyse de la question de savoir si la Privacy Act témoigne d’une intention du législateur d’instituer un code complet et exclusif », par. 88. Il n’est donc pas surprenant que, en l’absence d’observations, le juge n’ait pas procédé à cette analyse. À mon avis, il ne serait pas approprié d’aborder la question en appel dans ces circonstances.

(c’est nous qui soulignons)

Néanmoins, que la question soit traitée en vertu de la loi ou de la common law, les victimes d’hypertrucages au Canada disposeront probablement d’un recours si leur personnalité est exploitée à des fins commerciales.

  1. Fausse impression

Au Canada, le délit de la fausse impression exige que :

  1. la fausse impression donnée d’une personne serait très offensante pour une personne raisonnable; et
  1. la personne avait connaissance de la fausseté de l’information rendue publique et de la fausse impression qu’elle donnerait de l’autre ou a fait preuve d’une insouciance téméraire à cet égard.

L’applicabilité du délit de la fausse impression aux hypertrucages est semblable à son applicabilité au clonage de la voix. Cependant, la fausse impression reste un nouveau délit qui, à la date de publication du présent bulletin, n’est pleinement reconnu comme tel que dans la province d’Ontario. Voici un résumé du traitement le plus récent de ce délit dans les neuf provinces de common law au Canada :

Il convient de noter la décision rendue récemment dans Sampson v. TD Insurance Meloche Monnex. Dans cette affaire, la Cour suprême de Nouvelle-Écosse a explicitement déclaré que le délit de fausse impression ne devait pas être reconnu parce qu’il ferait double emploi avec d’autres causes d’action, notamment la diffamation.

Même s’il est possible que le délit de fausse impression ne soit pas reconnu comme une cause d’action partout au Canada, il pourrait néanmoins constituer un possible recours pour les victimes d’hypertrucages à mesure que d’autres juridictions examinent son applicabilité.

À propos des auteurs

Carina Chiu est une avocate du cabinet McMillan dont la pratique est axée sur les différends commerciaux complexes liés aux sociétés ou à des questions de location immobilière commerciale.

Pablo Tseng est un avocat chevronné dans le domaine de la propriété intellectuelle au sein du cabinet McMillan. Il aide les entreprises à différents stades de maturité à acquérir, à commercialiser et à faire respecter leurs droits dans ce domaine.

Aki Kamoshida est stagiaire chez McMillan.

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