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Des mesures anti-terroristes qui vont trop loin

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Craig Forcese, Jean Leclair, Kent Roach

2015-02-19 11:15:00

Professeurs de droit, les auteurs considèrent que le projet de loi anti-terroriste C-51 permet la violation de droits fondamentaux, le tout dans une obscurité dangereuse...
Craig Forcese est vice-doyen et professeur agrégé à la faculté de droit à l’Université d’Ottawa
Craig Forcese est vice-doyen et professeur agrégé à la faculté de droit à l’Université d’Ottawa
Les sondages montrent que les Québécois sont sensibles à l’approche musclée du gouvernement conservateur en matière de terrorisme. Si c’est le cas, il leur faudrait se rappeler les dérapages de la GRC dans les années 70.

Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) est un organisme civil de sécurité créé au lendemain des actes illégaux commis par la GRC durant la Crise d’octobre. Pour prévenir de tels abus, on a limité son mandat à l’enquête, à la collecte et à l’analyse d’informations au sujet d’activités qui « constituent des menaces envers la sécurité du Canada » et dont l’article 2 de la loi donne définition. On lui a toutefois nié tout pouvoir de mise en œuvre policière (autre que l’écoute électronique, la saisie et la perquisition).

Le projet de loi C-51 permettra quant à lui à un juge de la Cour fédérale, à la suite d’une audience tenue à huis clos au cours de laquelle seul le gouvernement est représenté, d’autoriser le SCRS à adopter « toutes mesures justes et adaptées aux circonstances pour réduire les menaces envers la sécurité du Canada », y compris des mesures qui contreviendront à la Charte canadienne et aux lois canadiennes ! Il s’agit là de pouvoirs sans précédent.

En outre, ces « mesures » ne sont définies que par les limites qu’on leur impose : elles ne devront pas causer de lésions corporelles ou la mort d’un individu, elles ne devront pas volontairement contrecarrer le cours de la justice, ni « porter atteinte à l’intégrité sexuelle » d’un individu. Le Parlement ne sera donc jamais appelé à débattre du bien-fondé d’autoriser ou non telle ou telle activité.

À l’insu du public

Jean Leclair est professeur titulaire à l’Université de Montréal
Jean Leclair est professeur titulaire à l’Université de Montréal
Une telle latitude permet au SCRS et aux autres agences policières autorisées à l’assister de poser des gestes illégaux qui ne seront jamais connus du public, l’audience se tenant à huis clos et les jugements demeurant confidentiels par crainte de diffusion d’informations importantes. En outre, le juge qui accordera l’autorisation ne saura jamais si le SCRS s’en est tenu à la lettre de son mandat. Seul un éventuel scandale pourra révéler les failles du système.

Notons que les juges quotidiennement appelés à délivrer des mandats de perquisition ont pour tâche de limiter l’étendue de l’atteinte au droit à l’intimité d’une personne. Le projet de loi actuel permet plutôt à un juge d’autoriser la violation d’un grand nombre de droits d’une personne, non seulement son droit à l’intimité, mais également sa liberté d’expression, d’association, son droit de circuler librement et de n’être pas soumis à un traitement cruel et inusité !

Par ailleurs, le projet de loi prévoit l’adoption d’une nouvelle Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada qui autorise dix-sept institutions fédérales à échanger entre elles de l’information. Cette information ira au-delà de ce que prévoit actuellement la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, car elle portera sur « toute activité portant atteinte à la sécurité du Canada ».

Une définition large

Kent Roach est professeur à l’Université de Toronto
Kent Roach est professeur à l’Université de Toronto
Or ce concept extrêmement obscur, plus large encore que celui de « menaces envers la sécurité du Canada », inclut toute « activité qui porte atteinte à la souveraineté, à la sécurité ou à l’intégrité territoriale du Canada (…), notamment (…) entraîner un changement de gouvernement au Canada ou influer indûment sur un tel gouvernement par l’emploi de la force ou de moyens illégaux (…) et entraver le fonctionnement d’infrastructures essentielles (…). »

Les souverainistes, les « carrés rouges », les environnementalistes et les autochtones qui cherchent respectivement à entraîner un changement de gouvernement au Canada, à influer sur un tel gouvernement par l’emploi de moyens illégaux et à entraver le fonctionnement d’infrastructures essentielles (pensons aux pipelines) sont tous susceptibles de faire l’objet d’un tel échange d’informations.

Seules les activités licites de protestation ne seront pas jugées contrevenir à cette nouvelle loi, ce qui signifie qu’une protestation non autorisée aux termes d’un règlement municipal ou une grève non autorisée par le Code du travail seraient toutes deux visées par celle-ci.

Aucune mesure renforçant la surveillance de cet échange d’informations ou les nouveaux pouvoirs du SCRS n’est proposée. Or la Commission Arar a déjà conclu à l’inadéquation des mécanismes de surveillance actuels ! Cette nouvelle Loi sur la communication d’information démontre que l’on a oublié la torture infligée à Maher Arar puisqu’elle prévoit que le responsable d’une institution fédérale qui reçoit de l’information peut « la communiquer de nouveau à toute personne conformément à la loi, et ce à toute fin. »

On peut être inquiet devant les événements de Paris, on peut juger essentiels les services d’espionnage, mais on a également le devoir de se préoccuper de la qualité de notre démocratie

Craig Forcese est vice-doyen et professeur agrégé à la faculté de droit (Section de la common law) à l’Université d’Ottawa. Il enseigne le droit international public, le droit concernant la sécurité nationale et le droit administratif.

Jean Leclair est professeur titulaire à l’Université de Montréal et membre associé du Centre de recherche en éthique de l'Université de Montréal (CREUM). Ses champs d’expertise sont le fédéralisme, le droit constitutionnel, l’histoire du droit canadien et le droit des autochtones.

Kent Roach est professeur à l’Université de Toronto. Membre de la Société royale du Canada, il s’intéresse particulièrement au droit criminel, aux droits fondamentaux, au droit de la sécurité nationale et aux lois anti-terroristes.
151983
2 commentaires
  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 10 ans
    surprotection + gradation des droits
    Est-ce qu'on peut arreter le surprotectionnisme quand il est question de terrorisme. Une gradation des droits s'impose: le droit à la vie privée est moins important que le droit à la securité selon moi. Personnellement, meme si Ottawa decidait d'ecouter toutes les conversations privées pour prevenir le terrorisme, go ahead: have fun. J'aime mieux qu'on se mele le nez dans ma vie privée qu'on ait des terroristes se promener libre au Canada.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 10 ans
      Surprotection
      Est-ce qu'on peut arrêter d'exagérer la menace terroriste ?
      Vous avez raison, le droit à la sécurité est important, c'est pourquoi il est important, non seulement de protéger les citoyens des dangereux terroristes qui fourmillent dans nos rues, mais aussi des abus potentiels des agences de renseignements.

      Pensez-vous que ces abus sont impossibles ? Le SCRS n'a-t-il pas été créé, notamment dans le but de mettre fin à certaines pratiques douteuses de la GRC?

      La réponse doit être proportionnelle à la menace. Des pouvoirs exceptionnels doivent être assortis de mesures de contrôle appropriées. Le projet de loi ratisse beaucoup trop large.

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