Énergie Est: des poursuites évitables?

Michel Bélanger
2016-03-23 11:15:00

Ainsi, changer la loi pour faire passer un pipeline dans l’habitat essentiel d’une espèce menacée n’allait certes pas améliorer le sort de cette espèce que la loi visait précisément à protéger de disparition. On connaît la suite.
Le béluga devait voir son habitat sauvé, in extremis, par une action judiciaire lancée par les écologistes sur la base de la Loi québécoise sur la qualité de l’environnement. Étrangement, TransCanada n’a pas alors contesté la constitutionnalité de cette loi, mais a plutôt abandonné son projet de port pétrolier à Cacouna.
Ensuite, la même « loi mammouth » devait également retirer à l’agence fédérale d’évaluation environnementale les projets de pipeline pour en transférer la responsabilité à l’ONE. Ce faisant, on a éliminé l’entente fédérale-provinciale destinée à harmoniser les procédures d’évaluation lorsqu’un projet relève des deux ordres de gouvernement.
L’application de l’entente aurait fait en sorte que nous ayons une étude d’impact respectant les préoccupations du Québec et une seule audience publique conjointe, laissant chacun des gouvernements exercer ses compétences respectives à l’égard du projet.
Il aurait fallu changer la Constitution
Si tant est que le gouvernement fédéral de l’époque eût voulu garantir que cette compétence provinciale ne pouvait s’exercer, c’est la Constitution canadienne qu’il aurait alors fallu changer. Or, même un mammouth n’aurait pas été assez gros pour cacher une telle réforme.
La prochaine saga judiciaire à la suite du dépôt d’une poursuite par les écologistes, suivi du dépôt d’une injonction par le gouvernement, portera donc vraisemblablement sur cet enjeu constitutionnel ; à savoir de qui relève l’évaluation environnementale d’un pipeline interprovincial et, éventuellement, qui peut en décider et dans quelle mesure. Un dernier mot sur l’injonction provisoire demandée la semaine dernière par les écologistes.
TransCanada a « choisi » de s’engager dans une évaluation environnementale « volontaire », proposée de guerre lasse par le gouvernement provincial, après que celui-ci eut exigé, à plusieurs reprises, qu’elle respecte le cadre légal à cette fin. L’injonction provisoire visait à reporter le début de cette audience du BAPE, le temps pour la Cour de déterminer si ce n’est pas plutôt la procédure judiciaire qui aurait dû s’appliquer.
La Cour a refusé l’injonction, estimant que l’urgence d’établir la position du Québec aux fins des audiences de l’ONE penchait en faveur du maintien de cette consultation. Elle a toutefois reconnu qu’à terme, on pourrait devoir recommencer l’exercice à zéro si les demandeurs devaient avoir raison sur le fond de la question.
Des litiges évitables?
Ce dernier point, à lui seul, était important à faire confirmer judiciairement, tant pour consolider l’engagement du gouvernement du Québec qui aura à mettre en oeuvre cette nouvelle évaluation dans plusieurs mois, que pour éviter les reproches du promoteur et de l’Ouest canadien qui pourraient alors être tentés de nous imputer la responsabilité de nouveaux délais…
Cette dernière procédure aurait aussi pu être évitée si le gouvernement du Québec avait simplement utilisé son recours pour forcer TransCanada à respecter sa loi dès qu’il est apparu évident qu’elle refusait de s’y soumettre.
En somme, le simple maintien des règles environnementales élaborées depuis 30 ans et leur application rigoureuse aurait probablement évité ces litiges, tout en préservant l’intégrité des processus de consultation, et surtout l’objectivité d’une décision définitive éclairée.
Il enseigne le droit de l'environnement à l'école Polytechnique de Montréal, à l'Université de Sherbrooke, à l’Université Laval et à l'UQAM.
Il est président de Nature Québec (anciennement l’Union Québécoise pour la Conservation de la Nature (U.Q.C.N.)) et administrateur et co-fondateur du Centre québécois du droit de l’environnement (C.Q.D.E.)