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Évolution récente de l’industrie canadienne des substances psychédéliques

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Leila Rafi, Sasa Jarvis Et Veronica Russo

2025-03-06 11:15:00

Leila Rafi, Sasa Jarvis et Veronica Russo, les auteures de cet article. Source : McMillan
Leila Rafi, Sasa Jarvis et Veronica Russo, les auteures de cet article. Source : McMillan
Quid des tendances dans le domaine des substances psychédéliques au Canada?


Introduction

L’industrie des substances psychédéliques au Canada continue de changer et l’issue de certaines évolutions demeure incertaine. En période d’imprévisibilité, il est essentiel pour les acteurs de l’industrie et les intervenants de comprendre la situation actuelle et les possibles développements à l’avenir. Dans le présent bulletin, nous faisons le point sur les progrès et tendances clés dans le domaine des substances psychédéliques au Canada depuis notre dernier examen annuel en 2022 (en anglais).

Accès aux substances psychédéliques

Par l’effet de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (la « LRCDAS »), les substances psychédéliques sont qualifiées de substances désignées. Dans les faits, cette qualification signifie que la plupart des activités qui mettent en cause des substances psychédéliques sont interdites, sous réserve de certaines exceptions. Comme nous l’avons indiqué dans nos bulletins précédents, les particuliers peuvent actuellement accéder de trois façons aux substances psychédéliques au Canada : une exemption prévue à l’article 56 de la LRCDAS, le Programme d’accès spécial (« PAS ») et les essais cliniques.

Exemptions prévues à l’article 56

L’article 56 de la LRCDAS permet à la ministre de la Santé mentale et des Dépendances et ministre associée de la Santé (la « ministre ») d’accorder des exemptions discrétionnaires pour l’accès à des drogues et à des substances désignées, par catégorie ou sur une base individuelle, si ces exemptions servent des raisons médicales, scientifiques ou d’autres raisons d’intérêt public (l’« exemption prévue à l’article 56 »). Le 31 janvier 2023, la première exemption provinciale en application de l’article 56 est entrée en vigueur en Colombie-Britannique.

Elle permet aux adultes de posséder une certaine quantité d’opioïdes, de méthamphétamine, de cocaïne et de MDMA sans faire l’objet d’accusations criminelles. Des préoccupations ont été soulevées dans la province au sujet de l’utilisation de drogues illicites dans les espaces publics, ce qui a amené le gouvernement de la Colombie-Britannique à modifier à deux reprises l’exemption prévue à l’article 56 pour en limiter l’application dans les espaces publics, entre autres restrictions. À partir du 7 mai 2024, l’exemption prévue à l’article 56 accordée à la Colombie-Britannique ne s’applique qu’aux résidences privées, aux refuges et aux centres de santé désignés, et la possession d’opioïdes, de méthamphétamine, de cocaïne et de MDMA est de nouveau interdite dans la plupart des espaces publics.

Peu de temps après, le 17 mai 2024, la demande d’exemption prévue à l’article 56 présentée par la Ville de Toronto en vue de décriminaliser la possession de toutes les drogues visées par la LRCDAS a été rejetée. La ministre a conclu que la proposition, initialement présentée le 4 janvier 2022, ne permettait pas de protéger la santé et la sécurité publiques de manière adéquate. Les inquiétudes comprenaient la faisabilité pour les forces de l’ordre de mettre en œuvre le plan, la protection des jeunes et le manque de soutien de la part des principaux acteurs, comme le gouvernement provincial de l’Ontario.

Une grande partie des demandes individuelles pour une exemption prévue à l’article 56 ont également été rejetées. En novembre 2024, un article rapportait que, depuis 2020, 643 patients et professionnels de la santé ont demandé un accès à des substances psychédéliques dans le cadre d’une exemption prévue à l’article 56. Seulement 101 (environ 16 %) de ces demandes ont été approuvées et 415 (environ 65 %) ont été rejetées. Les raisons du rejet de chaque demande en particulier ne sont pas facilement accessibles, mais CBC News a publié en 2022 que les demandes d’exemption prévue à l’article 56 pour usage personnel ont été rejetées et que les demandeurs ont été redirigés vers le PAS.

PAS

Les médecins peuvent demander l’accès à certaines substances psychédéliques dans le cadre du PAS pour les patients admissibles. Les patients admissibles comprennent ceux qui souffrent d’une maladie grave ou qui met leur vie en danger lorsque les traitements conventionnels ont échoué, ne conviennent pas ou ne sont pas offerts au Canada. En novembre 2024, un article a indiqué que 318 des 471 demandes d’accès à la psilocybine ou à la MDMA présentées depuis 2022 dans le cadre du PAS ont été approuvées, soit environ 68 %.

Lorsqu’une demande dans le cadre du PAS est rejetée, une autre voie pour le demandeur est de demander une exemption prévue à l’article 56. Le 27 février 2023, Santé Canada a publié un avis aux intervenants détaillant les exigences pour les professionnels de la santé qui souhaitent avoir accès aux substances psychédéliques dans le cadre du PAS à des fins de psychothérapie assistée par des psychédéliques. L’avis reconnaît l’intérêt croissant que suscite cette psychothérapie ainsi que les risques psychologiques et physiques pour les patients.

Essais cliniques

Le nombre d’essais cliniques autorisés portant sur les psychédéliques, tels que la psilocybine, la MDMA et la kétamine, a augmenté au cours des dernières années. Parmi les essais cliniques en cours dans l’espace de recherche canadien sur les substances psychédéliques en 2024, environ : 18 utilisent la kétamine; 15 utilisent la psilocybine; 2 utilisent la MDMA.

Le gouvernement du Canada a également pris des mesures pour élargir la portée de la recherche sur les substances psychédéliques. Le 29 juin 2023, la ministre a annoncé une subvention de recherche de près de 3 millions de dollars pour soutenir trois essais cliniques sur des substances psychédéliques.

La subvention provient d’un concours de recherche spécial qui a été mené en 2022 et appuie des essais portant sur l’utilisation de la psychothérapie combinée à la psilocybine pour traiter le trouble lié à la consommation d’alcool, la dépression résistante au traitement et la détresse psychologique de fin de vie chez les patients atteints d’un cancer à un stade avancé.

La subvention a été financée par les Instituts de recherche en santé du Canada (« IRSC »), l’organisme fédéral de financement de la recherche en santé du Canada. Les IRSC ont organisé des concours de recherche qui ont fourni près de 4 millions de dollars de financement supplémentaire pour la recherche sur les substances psychédéliques en 2023 et plus de 4 millions de dollars en 2024.

Contestation des obstacles à l’accessibilité

En plus des moyens d’accès décrits ci-dessus, plusieurs initiatives légales ont été prises ces dernières années pour accroître l’exposition ou l’accès aux substances psychédéliques au Canada.

En plus des moyens d’accès décrits ci-dessus, plusieurs initiatives légales ont été prises ces dernières années pour accroître l’exposition ou l’accès aux substances psychédéliques au Canada. Le 27 juillet 2022, huit Canadiens ont introduit une demande contre le gouvernement du Canada et le ministre de la Santé, affirmant que les moyens actuels d’accès à la psilocybine sont insuffisants, ce qui porte donc atteinte à leurs droits prévus par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte »).

La demande vise, entre autres, à obtenir des ordonnances qui déclarent inconstitutionnelle l’interdiction de la psilocybine à des fins médicales dans la LRCDAS. Si un jugement favorable était rendu, l’utilisation des substances psychédéliques à des fins médicales ne serait plus illégale et l’industrie des substances psychédéliques s’en trouverait fondamentalement changée. Ce litige est toujours en cours.

Le 25 septembre 2023, la Cour fédérale a rejeté une demande de contrôle judiciaire présentée par des praticiens de la santé pour contester 96 refus d’accorder une exemption prévue à l’article 56 prononcés par le ministre. Les praticiens de la santé ont demandé des exemptions prévues à l’article 56 pour posséder et consommer de la psilocybine dans le cadre de leur propre formation en matière de psychothérapie assistée par psilocybine.

Le ministre a jugé que les exemptions prévues à l’article 56 n’étaient pas nécessaires pour des raisons d’intérêt public, notamment des raisons médicales ou scientifiques, puisque les demandeurs pouvaient y avoir accès dans le cadre d’essais cliniques.

Les demandeurs ont soutenu que les décisions du ministre étaient déraisonnables, affirmant que le ministre avait omis de traiter des éléments de preuve et des arguments fondamentaux, que les motifs de ses décisions ne sont pas transparents et qu’il n’a pas traité des arguments relatifs à l’effet qu’aurait un rejet sur les droits des patients à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. La Cour fédérale a conclu que les décisions du ministre étaient raisonnables et a rejeté la demande.

Le 21 novembre 2023, trois demandeurs ont déposé un avis de question constitutionnelle dans lequel ils soutiennent que la prohibition de la psilocybine par la LRCDAS enfreint l’alinéa 2b) et l’article 7 de la Charte. Les demandeurs avaient été accusés dans le cadre d’une descente de police dans un dispensaire de psilocybine. Ils ont fait valoir que la psilocybine est essentielle pour permettre à une personne de faire l’expérience de la liberté de pensée protégée par l’alinéa 2b) d’une manière plus complète.

Le litige est toujours en cours. Cet argument est fondamentalement différent de celui qui précède, relatif à l’insuffisance de l’accès à des fins médicales, mais il est révélateur d’un environnement où plus de gens contestent les restrictions du gouvernement du Canada sur l’accès à la psilocybine en particulier.

Suivant cette tendance, le 24 mai 2024, la Cour fédérale a annulé la décision de Santé Canada de rejeter une demande dans le cadre du PAS pour la psilocybine afin de traiter les algies vasculaires de la face au motif que la demande ne contenait pas suffisamment de renseignements sur l’innocuité et l’efficacité de la psilocybine et que des alternatives thérapeutiques étaient disponibles sur le marché.

La Cour fédérale a jugé le refus déraisonnable, puisque Santé Canada n’avait pas pris en compte les arguments du demandeur concernant l’article 7 de la Charte et le caractère insuffisant des autres médicaments disponibles.

La Cour fédérale a également jugé que la décision n’était pas conforme aux communications antérieures de Santé Canada qui, lors d’un entretien avec le médecin du demandeur, avait reconnu que l’innocuité de la psilocybine pour les algies vasculaires de la face était établie. À la suite de cette décision, Santé Canada a approuvé pour la première fois l’utilisation de la psilocybine dans le cadre du PAS pour le traitement des algies vasculaires de la face.

Conclusion

L’industrie des substances psychédéliques a subi d’importantes transformations au cours des dernières années. D’autres évolutions se profilent à l’horizon, alors que des contestations fondées sur la Charte sont entendues et jugées par les cours. En outre, les changements possibles de gouvernement au niveau fédéral au Canada ainsi que les décisions de certaines provinces apporteront d’autres changements. Nous continuerons de suivre de près ces changements afin de vous tenir au courant de l’évolution du contexte réglementaire et du marché.

À propos des auteurs

Leila Rafi

La pratique hautement transactionnelle de Leila Rafi est axée sur le droit des valeurs mobilières. Elle fournit fréquemment des conseils en matière de financement des entreprises, de réglementation et de gouvernance d’entreprise chez McMillan.

Sasa Jarvis

Sasa Jarvis est une avocate spécialisée dans les marchés financiers et les valeurs mobilières au sein du cabinet McMillan. Sa pratique est principalement axée sur le droit des sociétés et le droit des valeurs mobilières.

Veronica Russo

Veronica Russo est avocate chez McMillan, sa pratique est notamment axée en droit immobilier commercial.

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