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Grèves et lock-out : un projet de loi visant à considérer davantage les besoins de la population

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Zeïneb Mellouli, Alexandre Pinard Et Frédéric Bolduc

2025-03-21 11:15:32

Zeïneb Mellouli, Alexandre Pinard et Frédéric Bolduc, les auteurs de cet article. Source : Lavery
Zeïneb Mellouli, Alexandre Pinard et Frédéric Bolduc, les auteurs de cet article. Source : Lavery
Quid du projet de loi 89 visant à encadrer les grèves et lock-out?

Le 19 février 2025, le gouvernement a déposé le projet de loi 89 (le « PL-89 ») visant essentiellement à encadrer les grèves et lock-out afin de limiter les répercussions sur la population.

Ce dernier envisage d’importantes modifications au Code du travail (le « C.t. »). Il confère notamment un pouvoir spécial au ministre du Travail de forcer les parties à tenir un arbitrage exécutoire pour dénouer l’impasse dans leur négociation. On y introduit également une nouvelle catégorie de « services assurant le bien-être de la population » qu’il peut être possible de maintenir en cas de conflit de travail.

Pouvoir spécial du ministre

Le projet de loi permettrait au ministre de contraindre les parties, sauf dans les secteurs public et parapublic, à un mécanisme d’arbitrage de différend exécutoire, lorsqu’il estime qu’un conflit de travail, après l’intervention infructueuse d’un conciliateur ou médiateur, cause ou menace de causer un préjudice grave ou irréparable à la population.

La grève ou le lock-out prendrait fin au moment indiqué dans l’avis communiqué aux parties. À défaut d’entente entre les parties sur le choix de l’arbitre, le ministre en nommera un d’office. Les parties conserveraient la possibilité de s’entendre en marge de l’arbitrage, un tel règlement ne pouvant être modifié par l’arbitre. À défaut d’entente, l’arbitre serait alors chargé de mettre fin à l’impasse en statuant sur les conditions de travail des salariés.

Ce mécanisme se rapproche de celui prévu au Code canadien du travail, par lequel le ministre fédéral peut déférer au Conseil canadien des relations industrielles toutes mesures à prendre ou questions à résoudre relativement à un différend. Ce dernier a d’ailleurs permis le retour au travail de salariés dans le cadre d’importants conflits, comme ce fut le cas en décembre dernier chez Postes Canada.

Services à maintenir pour assurer le bien-être de la population

À l’heure actuelle, le Code du travail, même s’il prévoit déjà des obligations de maintien des services essentiels afin d’assurer la protection de la santé et de la sécurité de la population[6], ne couvre pas certains cas où une grève peut provoquer des perturbations sociales ou économiques majeures.

De 1982 à 2019, il revenait exclusivement au gouvernement, sur recommandation du ministre, d’adopter un décret ordonnant un maintien de services essentiels. Il s’agissait alors d’un pouvoir discrétionnaire accordé à l’appareil exécutif d’apprécierle caractère dangereux d’une grève appréhendée. L’intention était alors de protéger le public contre les différents chambardements économiques ou sociaux.

Depuis 2019, ce pouvoir a été retiré au gouvernement pour être confié au Tribunal administratif du travail (le « TAT »). Il lui revient depuis de déterminer si des services doivent être assujettis à l’obligation de maintien et, le cas échéant, d’évaluer la suffisance des services essentiels à maintenir à l’occasion d’une grève. Or, certaines décisions du TAT ont retenu une interprétation restrictive des critères à satisfaire en matière d’assujettissement au maintien de services essentiels.

Ce fut le cas, par exemple, dans le cas des services de transport en commun de la région de la Capitale-Nationale qui n’ont pas été reconnus comme étant un service essentiel à maintenir à l’occasion d’une grève des chauffeurs d’autobus.

Le PL-89 s’inscrit en parallèle de cette tendance jurisprudentielle en intégrant une nouvelle catégorie de services protégés, soit ceux « assurant le bien-être de la population », et définis comme étant ceux « minimalement requis pour éviter que ne soit affectée de manière disproportionnée la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population, notamment celle des personnes en situation de vulnérabilité ».

Cela s’appliquerait à toute grève ou tout lock-out, à l’exception de ceux survenant dans un ministère ou un organisme du gouvernement dont le personnel est nommé suivant la Loi sur la fonction publique ou dans un établissement au sens de la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic.

Cette notion s’apparente au concept de « services minima » reconnu en droit international du travail, notamment par le Comité de la liberté syndicale de l’Organisation internationale du travail. Ce dernier considère en effet qu’il est possible d’imposer un seuil de fonctionnement en regard de certains services qui ne sont pas essentiels « au sens strict du terme » lorsqu’une grève peut provoquer une crise nationale aiguë compromettant le bien-être de la population ou paralyser un secteur de très haute importance ou lorsque cela est nécessaire pour assurer la satisfaction des besoins de base de la population.

Il est certainement encore trop tôt pour déterminer quels secteurs seraient visés au Québec par cette nouvelle catégorie et ces nouveaux critères d’interprétation. Cependant, bien que chaque cas soit différent, les secteurs où des services minima ont été reconnus en droit international, comme l’éducation lors d’une grève de longue durée, le transport en commun, les services bancaires de base, la gestion des infrastructures énergétiques, le transport de voyageurs et de marchandises, le service de ramassage des ordures ménagères et d’autres, pourraient être visés par cette notion en raison de leur impact direct sur la vie quotidienne de la population.

Le projet de loi permettrait donc au gouvernement de désigner, par décret, des parties à l’égard desquels le TAT pourra déterminer si des services doivent être maintenus en cas de conflit. Il lui reviendra alors d’ordonner aux parties le maintien de services, ces dernières devant tenter de négocier les services qu’elles estiment nécessaires. À défaut d’entente, le TAT devra les déterminer. Dans tous les cas, une évaluation de la suffisance sera effectuée. Le TAT aurait d’ailleurs différents pouvoirs d’enquête et de redressement en la matière.

Le projet de loi propose également plusieurs autres modalités à respecter, ainsi qu’une interdiction de modifier les conditions de travail des salariés qui rendent de tels services, sauf entente entre les parties Il prévoit enfin des dispositions pénales et exigerait de l’employeur qui déclare un lock-out au sein d’un service public d’en aviser l’autre partie et le ministre du Travail par écrit dans un délai de sept jours ouvrables francs.

Conclusion

Le PL-89 n’en est encore qu’à l’étape de la présentation et son adoption dépendra du processus parlementaire à venir. Il est possible que des modifications y soient apportés avant son entrée en vigueur. Ceci dit, ce projet suscite déjà de fortes réactions de la part des organisations syndicales dont des représentants ont annoncé leur intention de contester les nouvelles mesures qu’il impose devant les tribunaux si elles sont adoptées et mises en application.

À propos des auteurs

Zeïneb Mellouli, associée chez Lavery, possède une expertise dans le domaine du droit du travail et de l'emploi.

Alexandre Pinard exerce en droit du travail et de l’emploi chez Lavery. Dans le cadre de sa pratique, il seconde les gestionnaires en matière de relations du travail, de santé et sécurité du travail ainsi qu’en droits et libertés de la personne en contexte d’emploi.

Frédéric Bolduc est avocat et membre du groupe de droit du travail et de l’emploi chez Lavery. La pratique de Frédéric touche tous les aspects du droit du travail et de l’emploi autant dans le cadre de rapports individuels de travail que de rapports collectifs.

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