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Il faut se retirer du Conseil des droits de l’homme

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André Sirois

2015-09-28 11:15:00

Cet avocat considère que la présidence de l’ambassadeur de l’Arabie saoudite du Conseil des droit de l’homme devrait conduire le Canada a quitter l’institution au vu des violations commises par ce pays…
Me André Sirois
Me André Sirois
Depuis lundi dernier, le panel du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU est présidé par l’ambassadeur de l’Arabie saoudite, Faisal bin Hassan Trad. On croit rêver et on en rirait si cela n’avait des conséquences aussi graves pour les droits de l’homme en général et tragiques pour les victimes de violations de droit de l'homme dans plusieurs pays, dont, au premier chef, l’Arabie saoudite.

On cherche en vain une déclaration de l’ambassadeur Trad à la suite de sa nomination. Tout ce que j’ai trouvé sur Internet est une déclaration de vendredi dernier où il condamne le récent rapport de l’ONU contre la peine de mort.

Rappelons que le rôle principal du panel du Conseil est de nommer les cinq hauts fonctionnaires qui déterminent les normes internationales en matière de droits de l'homme, de choisir les experts qui vont occuper plus de 77 postes relatifs à la défense des droits de l’homme dans différentes régions du monde et d’informer sur les violations des droits de l'homme.

Il convient de rappeler que l’Arabie saoudite n’a jamais signé la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’ONU en 1948 et qu’elle est universellement condamnée comme l’un des pires pays, sinon le pire, pour ce qui est du respect des droits, à un point tel que ce pays n’aurait sûrement jamais dû être accepté comme membre du Conseil.

La résolution instituant le Conseil (A/Res/60/251) prévoit en effet (art. 8) que « lors de l’élection des membres du Conseil, les États membres prendront en considération le concours que chaque candidat a apporté à la cause de la promotion et de la défense des droits de l’homme… »

Ou bien, depuis longtemps, l’Arabie saoudite aurait dû être suspendue du Conseil conformément à la procédure prévue au même article, qui prévoit que « l’Assemblée générale pourra (…) suspendre les droits d’un membre du Conseil qui aurait commis des violations flagrantes et systématiques des droits de l’Homme d’y siéger ».

De plus, l’article 9 de la même résolution stipule que « les membres du Conseil observeront les normes les plus strictes en matière de promotion et de défense des droits de l’homme », ce qui disqualifie immédiatement l’Arabie saoudite.

Comment un pays qui, en lieu et place de la règle de droit, d’une Charte des droits et d’un Code criminel, fait appliquer par ses juges leur interprétation des règles religieuses de la charia, qui condamne aux peines les plus barbares, dont la décapitation pour le blasphème et les atteintes à la religion islamique (cela rappelle projet de loi 59 !), qui considère l’athéisme comme une forme de terrorisme, qui ne tolère aucune forme de contestation et qui refuse catégoriquement de reconnaître l’égalité hommes-femmes, etc. comment un tel pays, donc, peut-il siéger au Conseil des droits de l’homme et y occuper un poste de cette importance ?

On est tenté de répondre que ce sont là les mystères diplomatiques de l’ONU. Mais dans ce cas, la situation est claire : depuis sa création, le Conseil est constitué d’une majorité de pays qui sont hostiles aux droits de la l'homme et il est contrôlé par les pires intégristes.

Avec entre autres résultats que les deux seuls secrétaires généraux de l’ONU que le Conseil a connus — Kofi Annan et Ban Ki-moon — ont dénoncé leur propre Conseil des droits de l’homme pour ses prises de position iniques et contraires aux droits de la l'homme ! Comme l’ont fait d’ailleurs tous les principaux défenseurs des droits de l’homme dans le monde, comme en janvier dernier, le directeur d’Amnesty International qui déclarait : « Le régime saoudien est insensible aux droits de l’Homme et à la dignité humaine. »

Rappelons qu’en juillet dernier, le Conseil a adopté une résolution (A/HRC/29/L.25) prétendant protéger la famille, laquelle a été interprétée comme une grande victoire par les mouvements de la droite intégriste et comme un terrible recul pour les défenseurs des droits des femmes, des droits des gais et du droit au mariage pour tous.

Par ailleurs, pour ce qui est de l’Arabie saoudite, rappelons qu’en mars 2015, ce pays a condamné à 10 ans de prison le fondateur de l’une des rares organisations des droits de l’homme de ce pays, Mohammed al-Bajadi, sans même lui permettre d’être défendu par un avocat. Rappelons aussi qu’aujourd’hui, jeudi, l’Arabie saoudite va exécuter un jeune contestataire de 20 ans, Mohammed al-Nimr, arrêté à 17 ans et condamné à « être décapité puis crucifié jusqu’à pourrissement ».

C’est sans compter l’affaire plus connue de Raïf Badawi, ce jeune blogueur arrêté en 2010 et condamné à 10 ans de prison et 1000 coups de fouet pour le contenu de son blogue. Comment peut-on s’attendre à ce que ce pays défende le droit de parole et la liberté d’expression au Conseil ?

Sans compter que ce pays est, après l’Iran, celui qui exécute le plus de condamnés, un nombre record chaque année. Au moment même où l’Arabie saoudite posait sa candidature pour ce poste, elle annonçait un appel de candidatures pour huit nouveaux postes de bourreaux. On a l’impression très nette qu’elle et certains autres émirats testent les États membres et les défient effrontément afin de se faire conforter dans leurs violations extrêmes des droits de l'homme. Il faut réagir.

Cette nomination déshonore encore plus le Conseil, si c’était possible. Il n’a plus aucune crédibilité. Et le Canada doit absolument s’en retirer sans hésiter et réclamer son abolition. C’est le seul geste honorable à poser pour sauver ses principes et son honneur. Il faut donc que tous les candidats dans la présente campagne électorale se prononcent immédiatement pour ce retrait qui, j’en suis convaincu, devrait en entraîner d’autres.

Consultant auprès de tribunaux internationaux et d’organisations internationales, conseiller juridique pour plusieurs fournisseurs et syndicats d’organisations internationales, et certains de leurs membres, et conférencier en matière de droit administratif international et en matière de traduction juridique, Me André Sirois a été très actif dans la création d’un barreau pour les avocats travaillant auprès des organisations internationales et des tribunaux internationaux, pour la réforme du système de justice interne de l’ONU, l’application de la règle de droit à l’intérieur de l’ONU et la reconnaissance des droits de l’homme pour les fonctionnaires de l’ONU.

Me Sirois est le premier Canadien à avoir jamais été embauché comme fonctionnaire des services linguistiques de l’ONU. Il a aussi été l’un des premiers employés du Tribunal international pour le Rwanda, dont il a ensuite dénoncé l’incurie et la mauvaise administration, ce qui en a fait l’un des premiers lanceurs d’alerte de l’ONU. Il a travaillé dans différents bureaux, missions et tribunaux de l’ONU. Il est l’un des auteurs de Justice Belied, The Unbalanced Scales of International Criminal Justice.


Publié dans Le Devoir
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