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Intelligence artificielle et droit d'auteur : l'éclairage allemand

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Caroline Jonnaert

2024-10-23 11:15:07

Caroline Jonnaert, l'auteure de cet article. Source : ROBIC
Caroline Jonnaert, l'auteure de cet article. Source : ROBIC
Une décision très attendue en matière d’IA et de droit d’auteur a récemment été rendue en Allemagne…

Le 27 septembre dernier, le tribunal de district de Hambourg a rendu une décision très attendue en matière de droit d’auteur et d’intelligence artificielle (« IA »). Spécifiquement, le tribunal s’est prononcé sur l’application de l’exception allemande de fouille de texte et de données (« FTD ») (ou « text and data mining », en anglais) à des fins de recherche dans un contexte de création de banques d’images (aussi appelées « datasets », en anglais).

Contexte

Cette affaire opposait un photographe à l’organisation LAION qui fournit des ensembles de données ouvertes dans le but de promouvoir la recherche dans le domaine de l’IA. LAION a créé une banque contenant un peu moins de 6 milliards d’images, dont l’une d’elles appartenait au plaignant. Cette dernière image a été trouvée sur le site d’une agence photographique, qui prévoyait une restriction indiquant que les images ne pouvaient être utilisées par des programmes informatisés.

Le requérant réclamait des dommages pour violation de ses droits d’auteur sur la photographie litigieuse. LAION ne contestait pas qu’elle avait effectivement effectué une reproduction de l’image protégée, sans avoir obtenu préalablement l’autorisation de son auteur. Elle plaidait que cette reproduction était licite, puisqu’elle était couverte par différentes exceptions prévues dans la Loi allemande sur le droit d’auteur, dont celle en matière de FTD.

Décision

La Cour a rejeté la demande et a reconnu que LAION pouvait bénéficier de l’exception en matière de FTD à des fins de recherche. Il s’agit d’une exception qui est prévue à l’article 60 d) de la Loi et qui permet d’effectuer des reproductions d’œuvres pour explorer du texte ou des données accessibles en ligne à des fins de recherche scientifique.

Cette exception vise la recherche qui est effectuée par des universités, instituts de recherche ou par tout autre établissement qui répond aux conditions et qui ne poursuit pas d’objectif commercial. En l’espèce, la Cour a déterminé que l’exception de FTD à des fins de recherche scientifique s’appliquait.

Dans sa décision, la Cour a expliqué que la notion de recherche scientifique ne doit pas être interprétée restrictivement et qu’elle devrait englober toute étape d’un travail qui est orientée vers une acquisition directe ou ultérieure de connaissances. La création d’une banque de données qui peut servir à l’entraînement de systèmes d’IA répond à cette définition.

Au niveau des finalités de la recherche, la Cour a jugé que l’utilisation des données était effectuée à des fins non commerciales, comme la banque de données était publiée gratuitement. Le tribunal a considéré que le financement des activités de recherche ou le fait que des entreprises puissent réutiliser les données à des fins commerciales par la suite n’étaient pas des éléments déterminants.

Éléments essentiels à retenir et perspective canadienne

Il est possible de retenir de cette décision que la reproduction d’œuvres protégées par droit d’auteur dans une banque de données destinée à être utilisée pour l’entraînement de systèmes d’IA peut être visée par l’exception de FTD pour la recherche scientifique. Si cette activité est effectuée à des fins commerciales, ce sera l’exception générale qui s’appliquera et il faudra déterminer si une réserve valable a été émise par le ou les titulaire(s) d’un droit d’auteur.

La décision laisse supposer qu’une réserve générale émise en langage naturel pourrait être suffisante. Cette décision est l’une des premières en la matière. En plus de reconnaître que la constitution de banques de données à des fins d’entrainement de systèmes d’IA implique un acte de reproduction au sens du droit d’auteur allemand, la décision délimite également la portée de l’exception de FTD en pareil contexte.

Au Canada, la Loi sur le droit d’auteur ne prévoit pas de telle exception. Toutefois, l’ajout d’une nouvelle exception similaire a été discuté lors de récentes consultations publiques menées par le gouvernement fédéral en 2021 et en 2023. L’expérience européenne peut donc être éclairante et permettre de constater les effets d’exceptions législatives plus étendues sur les droits des parties prenantes.

Cet article a été publié à l’origine sur le site de Robic.

À propos de l’auteure

Caroline Jonnaert fait partie du Groupe des Technologies émergentes chez ROBIC. Elle se spécialise en droit des technologies de l’information, marques de commerce, droit d’auteur, et droit de la publicité et du marketing.

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