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La règle du plus bas soumissionnaire : le coût réel des travaux compte!

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Paola Camacho

2022-10-13 11:15:00

La règle du plus bas soumissionnaire est-elle interprétée strictement en fonction du prix de la soumission? Pas nécessairement…
Paola Camacho, l’auteure de cet article. Source: Site web de Miller Thomson
Paola Camacho, l’auteure de cet article. Source: Site web de Miller Thomson
La règle du plus bas soumissionnaire est une prémisse selon laquelle le donneur d’ouvrage doit octroyer le contrat au soumissionnaire qui propose le plus bas prix dans le cadre d’un appel d’offres. Ainsi, le prix de la soumission est habituellement le principal élément analysé, et ce, au potentiel détriment d’autres critères d’évaluation comme la qualité des biens ou des services.

Récemment, la Cour d’appel a confirmé que la Ville de Saint-Jérôme (la « Ville ») était en droit de retenir une soumission où le coût réel des travaux que la Ville devrait payer était le plus bas, et ce, bien que ladite soumission ne proposait pas le prix soumis le plus bas.

Par son jugement, la Cour d’appel a rappelé que les règles d’appels d’offres créent une obligation non seulement envers les soumissionnaires, mais également envers le trésor public.

Faits

Le 1er mars 2017, la Ville lance un appel d’offres pour l’achat d’enrobés bitumineux (asphalte chaud d’été). Pour fins de comparaison des soumissions, le contrat devait être octroyé au plus bas soumissionnaire en prenant en considération les coûts de transport établis en fonction du recueil des tarifs de camionnage en vrac du ministère des Transports du Québec.

Le 16 mars 2017, la Ville modifie son appel d’offres par le biais de l’addenda numéro 2, prévoyant notamment le remplacement de la clause 9 du Devis. La Ville ajoute donc, au calcul du prix unitaire, une composante de « perte de productivité » qu’elle fixe à 0,44 $ par kilomètre par tonne métrique.

Le 17 mars 2017, Uniroc inc. (« Uniroc ») mets en demeure la Ville de retirer cet addenda au motif qu’elle enfreint les règles du marché d’appel d’offres et l’empêche d’être compétitive. La Ville refuse de se conformer à cette demande, mais elle émet un nouvel addenda (numéro 5) en vue de réduire le facteur d’ajustement de 0,44 $ à 0,23 $ par kilomètre par tonne métrique.

À la clôture de l’appel d’offres, la soumission d’Uniroc se classe au deuxième rang. Or, sans le facteur d’ajustement, la soumission d’Uniroc aurait été la plus basse.

Mécontente de la situation, Uniroc entreprend un recours en dommages-intérêts et allègue que les addendas numéro 2 et 5 de l’appel d’offres ont eu comme conséquences d’imposer une double compensation et de priver Uniroc du contrat. Uniroc réclame alors la somme de 37 852,12 $ à titre de perte de profit et tente de faire déclarer invalide l’article 9.2 du Devis qui se lit comme suit :

Coût de transport et perte de productivité

9.2 Ajustement du prix pour la perte de productivité des équipes

En plus du coût de transport, le prix unitaire soumis par tonne métrique d’enrobés bitumineux sera ajusté afin d’inclure les coûts additionnels en perte de productivité liés à la distance à parcourir entre le 495 Filion et le site de chargement des matériaux.

Cet ajustement tient compte des coûts indirects tels que le coût de la main-d’œuvre associé aux délais et au temps supplémentaire encourus par les équipes de pavage ainsi que le coût des camions supplémentaires nécessaires, le tout selon les données compilées par la Ville.

L’ajustement sera de 0,44$ par km par tonne métrique. Le contrat sera octroyé au plus bas soumissionnaire en prenant les coûts de transport en considération. Cependant, la Ville ne paiera au soumissionnaire que les coûts de la fourniture, puisque celles-ci seront ramassées par les employés de la Ville de Saint-Jérôme.

Les jugements rendus en première instance et en appel concernent ainsi la validité de la clause 9.2 en vue de déterminer si cette clause a eu pour effet de vicier l’appel d’offres de la Ville.

Selon la Ville, le facteur d’ajustement vise à déterminer laquelle des soumissions comporte le coût réel le plus bas. Ainsi, la Ville pourra déterminer les sommes qu’elle devra réellement débourser.

Uniroc conteste la méthodologie suivie par la Ville afin de déterminer ce coût réel. Uniroc considère que la double compensation prévue par la clause 9.2 est contraire à l’ordre public. Elle allègue que la Ville a imposé une compensation pour la distance et une seconde par le biais du facteur d’ajustement.

Pour Uniroc, il n’y a pas de raison valable d’appliquer ledit facteur d’ajustement, notamment, car en 2016, celle-ci avait déjà contracté avec la Ville sans que la Ville ait à débourser de coûts supplémentaires l’amenant à établir ledit facteur. La Cour supérieure donne raison à la Ville et considère que sa méthode, sans être parfaite, vise à prendre en compte le coût réel des soumissions.

D’ailleurs, le tribunal établit que même si la clause de transport selon le kilométrage parcouru peut favoriser les soumissionnaires les plus près géographiquement, cette clause demeure légale puisque chaque soumissionnaire sait à quoi s’en tenir.

Décision de la Cour d’appel

Insatisfaite de cette décision, Uniroc porte le jugement en appel. La Cour d’appel considère que le facteur d’ajustement de prix visait à prendre en compte le coût réel des travaux dans l’exercice de comparaison des soumissions.

Elle conclut que le fait d’avoir ajouté le facteur d’ajustement aux tarifs de transport du ministère des Transports du Québec, plutôt que de l’avoir substitué ne constitue pas en soi une contravention à l’ordre public ou aux principes concernant le processus d’appel d’offres.

La Cour d’appel rejette l’appel logé par Uniroc puisque celle-ci n’a pas été en mesure de démontrer une erreur manifeste et déterminante.

Conclusion

Cette décision remet en perspective la règle du plus bas soumissionnaire, qui ne semble plus devoir être interprétée strictement en fonction du prix de la soumission, mais également en fonction des sommes réelles que devra débourser un donneur d’ouvrage public pour la réalisation du contrat.

À propos de l’auteure

Paola Camacho travaille à titre de sociétaire chez Miller Thomson, à Montréal. Elle offre du mentorat pour des juristes nouvellement immigrés au Québec et s’implique auprès d’organismes à but non lucratif afin de soutenir l’intégration des nouveaux arrivants. Elle est membre du Barreau du Québec depuis 2019 et elle est membre du Barreau de la Colombie depuis 2012.

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