Langue de la police, indemnité de valeur à neuf et critères d’abus
Hélène Maurice
2024-08-07 11:15:28
Focus sur un jugement de grand intérêt en droit des assurances…
Représentée et défendue par RSS, Arch Insurance Limited, a, le 22 juillet dernier, fait rejeter par la Cour supérieure la réclamation des assurés pour la valeur de reconstruction de leur immeuble à la suite d’un incendie dans Mathieu c. Arch Insurance Limited. Ce jugement aborde des questions de grand intérêt dans des domaines inusités : L’application de l’article 55 de la Charte de la langue française (ci‑après « Charte »); Les principes de base en matière d’interprétation de police d’assurance; Les objectifs de l’indemnité d’assurance en valeur à neuf;
Les sanctions découlant d’une conduite procédurale répréhensible dans le cadre de l’instance en vertu des articles 51 et 342 du Code de procédure civile (ci-après « p.c. »).
La réclamation d’assurance
Quelques mois avant l’incendie d’août 2019, les assurés décident d’étendre la culture de cannabis dans leurs locaux, se trouvant au deuxième étage d’une écurie appartenant au demandeur Gaétan Mathieu.
Pour ce faire, ils contractent une hypothèque dont l’une des conditions est la souscription d’une police d’assurance. Arch Insurance Limited (ci-après « Arch ») accepte de couvrir le risque et offre les protections suivantes : bâtiment selon une limite d’assurance de 1 500 000 $, « contenu de toute description » devant couvrir « les équipements de production de cannabis » pour une somme de 200 000 $, sujet à une franchise de 10 000 $ et une couverture en responsabilité civile de 2 000 000 $.
Le 9 août 2019, l’incendie du bâtiment survient, la cause demeurant indéterminée. Le 13 octobre 2019, les assurés reçoivent une indemnité de 1 267 138,41 $ représentant la valeur dépréciée du bâtiment et des équipements selon les expertises effectuées par les experts retenus par Arch.
Les assurés font valoir que les termes de la police d’assurance leur sont inopposables, car ils n’ont reçu que les conditions particulières avant l’incendie, et, car celles-ci étaient disponibles uniquement en langue anglaise, contrairement aux termes de l’article 55 de la Charte.
Ils réclament donc une somme additionnelle de 1 495 119,29 $ à l’indemnité versée. Cette somme représente la différence entre la valeur à neuf du bâtiment et des équipements, et la valeur dépréciée au jour du sinistre que l’assureur a déjà versée.
La langue de la police d’assurance (art. 55 de la Charte)
Puisque le contrat d’assurance est un contrat d’adhésion, l’article 55 de la Charte s’applique. Cet article se lisait comme suit au moment où la police d’assurance a été souscrite : « Le contrat d’adhésion, les contrats où figurent des clauses types imprimées ainsi que les documents qui s’y rattachent sont rédigés en français. Ils peuvent être rédigés dans une autre langue si telle est la volonté expresse des parties. »
Les assurés allèguent qu’ils ne comprennent pas l’anglais, de sorte que les termes de la police d’assurance leur sont incompréhensibles. Par conséquent, puisque la langue de la police contrevient, selon eux, à l’article 55 de la Charte et qu’ils n’ont jamais consenti à recevoir la police en anglais, les termes de celle-ci, incluant les conditions relatives à la valeur à neuf, leur sont inopposables. La Cour rejette les arguments des assurés.
Elle retient que les assurés ont reçu toutes les explications nécessaires quant aux paramètres de l’assurance par le biais de leur courtière, qu’ils ont accepté de recevoir la police qu’en langue anglaise, et qu’il n’y a aucun préjudice de démontré par les assurés afin de faire valoir leurs arguments, ces derniers ayant été indemnisés par l’assureur. D’ailleurs, la Cour analyse la jurisprudence relative à l’application de l’article 55 de la Charte.
Elle constate que la nullité du contrat est imposée lorsque l’assuré subit un préjudice suivant la réception d’une police dans une langue autre que le français. En l’occurrence, comme l’assureur n’a pas nié couverture et a versé l’indemnité selon les termes que recherchaient les assurés lors de la souscription, la Cour conclut que les assurés n’ont subi aucun préjudice. La Cour retient également qu’il est probable que les assurés aient reçu une copie complète de la police d’assurance, incluant les conditions générales.
Au vu de l’ensemble de cette appréciation de la preuve, il est donc conclu, contrairement aux prétentions des assurés, que la police a entièrement été transmise aux assurés et qu’il y a eu acceptation par ceux-ci qu’elle soit rédigée en langue anglaise. La police d’assurance trouve donc entièrement application et se trouve opposable aux assurés.
L’indemnité en valeur à neuf
Puisque la police d’assurance trouve application, il devrait normalement y avoir application des conditions pour le versement de l’indemnité en valeur à neuf, soit le remplacement ou la réparation des biens dans un délai raisonnable. La Cour souligne que la clause de valeur à neuf contenue à la police d’assurance, qui exige que le bâtiment et les biens soient remplacés ou reconstruits dans un délai raisonnable, est claire. En effet, le principe derrière les clauses de valeur à neuf est relativement simple.
En échange d’une prime plus élevée, l’assureur s’engage à indemniser son assuré pour le prix des biens neufs, au lieu de leur valeur dépréciée au jour du sinistre. Il y a donc enrichissement de l’assuré, ce dernier recevant une valeur plus élevée que ce qu’il a perdu. Pour se prémunir contre les hausses substantielles du coût de remplacement ou de réparation, les assureurs assujettissent normalement les clauses de valeur à neuf à l’exigence que les réparations ou remplacements soient réalisés dans un délai raisonnable. La police d’assurance en question ne faisait pas exception et comprenait cette exigence.
En l’espèce, même s’ils avaient déjà reçu une indemnité de plus d’un million de dollars à la suite du sinistre, les assurés n’avaient toujours pas entamé la reconstruction de l’immeuble ou le remplacement des biens à la date de l’audience. Ainsi, à défaut d’avoir reconstruit dans un délai raisonnable ou d’avoir fait la preuve qu’un projet concret de reconstruction était en cours, la Cour retient que les assurés n’ont droit qu’à la valeur dépréciée de l’immeuble et des équipements.
La réclamation en remboursement d’honoraires extrajudiciaires Vu les délais engendrés par les changements de position des assurés, l’assureur a également présenté une demande en remboursement des honoraires extrajudiciaires en vertu des articles 51 et 342 du C.p.c. afin que lui soit remboursés les honoraires inhabituels qu’il a dû débourser dans le cadre de la réclamation d’assurance.
Plusieurs comportements adoptés par les assurés dans le cadre de la gestion d’instance leur sont reprochés, mais l’abus fondamental qui a motivé la rédaction de la demande en remboursement est le dépôt de deux rapports d’expertise après l’inscription du dossier, sans que ceux-ci n’aient été prévus aux protocoles de l’instance et sans avoir obtenu au préalable l’autorisation du tribunal. La répétition des gestes, l’ignorance des protocoles judiciaires et l’absence totale de collaboration des assurés dans le cadre de l’instance, portent la Cour à conclure qu’ils ont violé tant l’article 51 que l’article 342 du C.p.c. et les condamne à verser 25 000 $ à Arch à titre de mesure punitive.
À propos de l’auteure
Hélène Maurice est avocate au sein du groupe de droit des assurances chez RSS.
Sa pratique porte sur le litige en matière d’assurance, plus particulièrement dans les dossiers de responsabilité civile générale.