L’art de ne rien retenir

Jocelyn Beaudoin
2016-05-27 16:15:00

Avant cette annonce, les municipalités et les villes pouvaient accorder sans appel d’offres un contrat de moins de 25 000 $. De 25 000 $ à 99 999 $, elles devaient demander des soumissions à deux entreprises de leur choix. À 100 000 $ et plus, elles devaient obligatoirement utiliser le Système électronique d’appel d’offres (SEAO). Ce système n’était certes pas parfait, mais préférable à celui que propose le ministre Coiteux.
Les raisons invoquées pour opérer ce changement sont la réduction de la paperasse, la mise à niveau entre les modalités qui doivent être respectées par le système d’éducation et le système de santé et le resserrement des règles de financement des partis politiques municipaux. Le ministre soutient aussi que les montants sont gelés depuis 2001. Ces arguments ne tiennent pas la route.
Balises nécessaires
Premièrement, un système démocratique a besoin de se donner des balises pour s’assurer qu’il reste démocratique. Ces dernières ont évidemment un coût. Le dispositif actuel constitue une sécurité supplémentaire contre les tentatives de corruption, de malversation, de fraude, etc. En ce qui a trait à la « paperasse », ce système a probablement un coût plus élevé que l’octroi de gré à gré d’un contrat. Cependant, à long terme, les avantages qu’il procure ne sont pas à négliger, car il limite ces comportements indésirables. L’harmonisation de ce seuil à celui du système de santé et d’éducation constitue un nivellement vers le bas, puisqu’il s’agit d’une diminution des balises de protection de la démocratie municipale.
Deuxièmement, l’inflation entre 2001 et 2016 n’a certainement pas atteint les 400 %. Le 25 000 $ ne constitue donc certainement pas un seuil « anachronique » comme le prétend le ministre Martin Coiteux. Une position plus réaliste aurait été une hausse de ce seuil au niveau de l’inflation, suivie d’une indexation par la suite.
Troisièmement, le financement maximal impose une limite de contribution aux citoyens de bonne foi et limite les possibilités de prête-noms. En revanche, ces règles ne pourront jamais empêcher un individu mal intentionné de mettre sur pied une caisse occulte ou d’utiliser d’autres moyens illégaux. Le resserrement des règles de financement des partis politiques municipaux ne peut donc pas être une garantie qu’une hausse à 100 000 $ des contrats de gré à gré ne mènera pas à des abus, contrairement à ce qu’affirme le ministre, encore une fois.
Impact variable
À la rigueur, une telle annonce pourrait être compréhensible pour les villes qui disposent de budget considérable. Pour Montréal et Québec, il s’agit respectivement de 0,002 % et de 0,007 % de leur budget de 5 et de 1 milliard chacun. Il en va toutefois autrement pour les petites municipalités. Par exemple, Sainte-Cécile-de-Milton, un village de 2000 habitants situé entre Saint-Hyacinthe et Granby, dispose de 2 millions de dollars annuellement; 100 000 $ équivalent donc à 5 % de son budget.
La commission Charbonneau a démontré que dans les petits comme les plus grands milieux, il peut être aisé d’obtenir des élections clés en main moyennant quelques retours d’ascenseur. Avec l’annonce du gouvernement, des municipalités pourront, en un seul contrat, engager un pourcentage très significatif de leur budget annuel, et ce, sans aucun appel d’offres. Le PLQ souhaite-t-il faciliter les problématiques mises au jour par la commission ? Probablement pas, mais avec une telle annonce, la question ne peut être esquivée.
Il existe, dans le domaine municipal, certains éléments où les seuils prévus par les différentes lois varient en fonction du nombre d’habitants. C’est notamment le cas à l’égard du nombre de conseillers municipaux. Le gouvernement libéral aurait pu prendre la décision d’adapter la somme maximale pour l’octroi d’un gré à gré en fonction du nombre d’habitants. Cela aurait au moins eu l’avantage de représenter la réalité budgétaire des différentes villes et municipalités.
Malheureusement, le ministre Coiteux a fait le choix de hausser sans distinction le seuil d’octroi des contrats de gré à gré. Il rejette ainsi l’esprit du rapport de la commission Charbonneau, et ce, moins de huit mois après son dépôt. Les risques de retour d’ascenseurs en seront augmentés. En somme, le gouvernement a fait le choix de ne rien retenir de la commission Charbonneau.