Opinions

Le cas Ghomeshi: mon malaise…

Main image

Sophie Bérubé

2016-04-05 14:30:00

Qu’il soit question d’applaudir l’acquittement de Ghomeshi ou de crier à l’injustice totale, cette avocate est mal à l’aise. Elle explique pourquoi et offre quelques pistes de réflexion…
Me Sophie Bérubé est avocate, animatrice, journaliste, auteure et productrice
Me Sophie Bérubé est avocate, animatrice, journaliste, auteure et productrice
Dans les dernières semaines, j’ai lu plusieurs commentaires et textes en lien avec l’affaire Ghomeshi dont l’objet était soit d’applaudir l'acquittement et notre beau système de justice, soit de crier à l'injustice totale. Franchement, dans les deux cas, ça me rend mal à l'aise.

Comme l’a bien expliqué en long et en large Me Véronique Robert dans son récent billet et le juge Horkins lui-même dans sa décision écrite, le verdict est cohérent avec les preuves présentées et notre système judiciaire. Et comme le veut l’adage, je préfère un système de justice qui acquitte 10 coupables plutôt qu'un système qui condamne un innocent. Néanmoins, je ne trouve pas qu’il y a de quoi se réjouir du fait que Ghomeshi soit acquitté.

En relisant l’enquête du Toronto Star et en me rappelant qu’en tout et pour tout, pas moins de 23 incidents malheureux concernant Jian Ghomeshi ont été rapportés à son employeur et aux médias, je me dis que ce serait fort surprenant que toutes ces personnes aient menti. Le juge lui-même le dit, il est fort possible que les trois plaignantes dans le dossier n'aient pas menti en ce qui concerne les agressions.

Sur la portion agression, leur version n'a pas changé. Le fait qu'elles ont manqué de crédibilité et menti sur d'autres aspects, comme celui d’avoir communiqué entre elles et d’avoir tenté de revoir l’agresseur après les agressions, a justifié l'acquittement. Mais un acquittement ne signifie pas que la personne est innocente et que les gestes n'ont pas eu lieu; ça signifie seulement que la preuve présentée par la Couronne soulevait un doute raisonnable.

C'est une décision juridiquement cohérente, mais de grâce, n'applaudissons pas et ne nous félicitons pas outre mesure sur la qualité de notre système judiciaire.

Justice a-t-elle été rendue ?

Pouvons-nous dire que justice a été rendue ? En fait quand pouvons-nous faire une telle affirmation ? En vertu de nos lois et de la manière dont elles sont interprétées par les tribunaux, la décision rendue dans l’affaire Ghomeshi est pratiquement sans failles.

Le juge n’a pas tenu compte de la preuve d’un pattern chez Ghomeshi, même si c’est ce qui est ressorti des faits entourant son congédiement et de l’enquête journalistique ayant mené aux enquêtes policières. C’est tout à fait conforme avec le droit criminel en vigueur ; on ne peut faire la preuve d’actes similaires commis par un accusé. Notre système protège aussi les accusés en leur permettant de ne pas s’incriminer en ne les obligeant pas à témoigner et il tient compte de la crédibilité des plaignants, qui, rappelons-le, dans l’affaire Ghomeshi, en a pris tout un coup. Et c’est grâce à ce système que l’on diminue les chances de condamner une personne innocente. Tant mieux.

Là où le système peut quand même faillir, c’est dans la façon de traiter certaines zones grises, dans la protection du public et des plaignants face à un agresseur potentiel et parfois, dans la préparation des causes criminelles. Du peu de ce que j’ai pu observer dans le droit criminel, les avocats de la Couronne manquent souvent de ressources pour préparer leurs dossiers de manière optimale.

Dans le cas Ghomeshi, si on avait prévenu les plaignantes que leur conduite après l’agression pouvait être prise en compte, que les contacts entre elles étaient déconseillés ou pouvaient être scrutés, si on avait épluché tous les courriels et textos, si on avait eu un expert en violence sexuelle pour expliquer la confusion et le déni souvent observés chez les victimes, l’issue du procès aurait-elle été la même ?

Au-delà des ressources pouvant manquer à la Couronne, une fois que le verdict tombe, que reste-t-il aux plaignant(e)s lorsque la preuve a été faite de manière probante, mais pas hors de tout doute raisonnable ? Rien, à part la déception et le déshonneur ; pas même un début de protection.

Qu’en est-il de ces réelles victimes dont l’agresseur est acquitté, de ces femmes victimes de violence conjugale, de ces enfants abusés par un parent acquitté, faute d’une preuve assez solide ou même lors de leur propre désistement à témoigner contre l’agresseur ? Ce n’est pas parce que notre système est excellent, un exemple à suivre dans le monde entier, que ces situations injustes n’existent pas.

Oui, il y a la CAVAC, les groupes d’entraide, la D.P.J. (qui s’appuie plus souvent qu’autrement sur les décisions judiciaires), mais est-ce suffisant ? Pouvons-nous dire sans broncher que le système judiciaire, en ce qui les concerne, n’a pas failli ? Que justice a été rendue ?

Un début de solution ?

Dans l’affaire Ghomeshi, le tribunal prend soin de spécifier que l’acquittement ne veut pas dire que les agressions ne sont pas produites. Le juge ne donne pas le degré de la preuve atteinte, il ne fait qu’affirmer qu’il n’est pas certain (« sure » pour reprendre ses mots en anglais) que Ghomeshi a commis les agressions. Est-ce que notre responsabilité comme société envers les plaignantes doit s’arrêter là ?

Dans les coulisses, les victimes se font dire : « Merci pour votre témoignage, mais voilà, vous savez, la justice, c’est comme ça, c’est dur d’obtenir une condamnation. Mais on vous croit et on va vous soutenir là-dedans. Vous aurez droit à quelques séances chez le psy si vous voulez.» Chers maîtres, ne me lancez pas des roches, je n’attaque pas notre système, je ne fais que poser la question suivante : « Est-ce que c’est suffisant ? Pouvons-nous améliorer ce système pour prendre en considération cette réalité cruelle pour les victimes ? »

J’ose proposer d’utiliser un outil qui existe déjà et de l’adapter à cette réalité. Un juge qui déterminerait que la preuve concernant des infractions sexuelles dont un accusé acquitté est suffisamment importante, ne pourrait-il pas imposer des conditions préventives comme il peut le faire par le biais du mandat de paix, communément appelé le 810, prévu dans le Code criminel ?

Par exemple, il pourrait ordonner que l’accusé contracte un engagement à observer une bonne conduite et à se conformer à certaines conditions pour assurer cette bonne conduite et la protection du public de même que celles de personnes concernées. L’une de ces conditions pourrait être de suivre une thérapie ou une formation sur le consentement sexuel. Serait-ce vraiment une trop grande atteinte aux droits de l’accusé ?

Participer à une formation obligatoire et garder la paix, qu’il ait commis ou non les gestes reprochés, ne m’apparaît pas très préjudiciable. Ces conditions pourrait même être imposées dès lors le DPCP considère que la preuve est suffisante pour porter des accusations.

À tout le moins, le respect de ce genre de conditions servirait à la prévention et à la protection du public. Aussi, il apporterait un certain apaisement aux plaignant(e)s, peu importe l’issue du procès. Il serait également une motivation supplémentaire à toutes les victimes silencieuses à briser le silence et à faire face à ce processus difficile. De savoir qu’elles seront protégées davantage contre leur agresseur et que grâce à une thérapie imposée, il y aura peut-être moins de chances de récidive et une prise de conscience possible chez lui.

Peut-être que notre système de justice est parfait tel quel. J’aimerais ça pouvoir l’affirmer sans broncher. Mais il m’apparaît plus, comme nous tous d’ailleurs, perfectible. Même dans le cas d’une décision sans faille juridique.

Me Sophie Bérubé est avocate, animatrice, journaliste, auteure et productrice. Diplômée de l’Université de Montréal, elle a pratiqué au sein du cabinet Fasken Martineau de 1997 à 2002. Elle a travaillé à la couverture des affaires judiciaires pour le réseau TVA à Québec et à Montréal, publié plusieurs ouvrages et animé l'émission « 2 à 4 » sur les ondes de Radio X Montréal 91,9 FM.
4853
15 commentaires
  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 8 ans
    ?
    "Mais un acquittement ne signifie pas que la personne est innocente [...]"

    Une personne n'est-elle pas innocente jusqu'à preuve du contraire ?

    • GBS
      GBS
      Non.

      Elle est innocente on coupable. Elle sera PRÉSUMÉE innocente jusqu'à ce qu'on prouve le contraire, hors de tout doute raisonnable, en Cour.

      Sinon, c'est une question de faits. Elles sera coupable si elle a commis l'acte (et voulu le commettre).

  2. Justicier
    Justicier
    il y a 8 ans
    La police du french
    Lorsqu'une femme prétend s'être faite étrangler la veille par un homme alors qu'elle le frenchait de façon consensuelle et qu'elle le rappelle le lendemain en lui disant qu'elle adore ses mains, il me semble pour le moins difficile de prétendre qu'elle s'est faite agresser !

    Il y a toujours bien des limites !

    J'ai déjà eu un one nignt stand avec une fille qui m'a gifflé en pleine «action». C'était son trip, pas le miens. Je n'ai pas appelé la police ! J'ai juste pas rappelé la fille.

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 8 ans
    Révisez votre droit pénal et vos repaires sociaux
    "on ne peut faire la preuve d’actes similaires commis par un accusé"


    C'est tout à fait possible. C'est en matière civile, au Québec, que ce moyen n'est pas admis (il "répugne" à notre droit, selon la formulation savante de la C.A.Q.).


    "...en me rappelant qu’en tout et pour tout, pas moins de 23 incidents malheureux concernant Jian Ghomeshi ont été rapportés à son employeur et aux médias, je me dis que ce serait fort surprenant que toutes ces personnes aient menti"


    Vous ignorez visiblement les envies peut peuvent attiser une "vedette", la faune féminine que ce statut attire, la propension des employeurs à congédier sur le champs ce type d'accusé (on apprenait d'ailleurs la semaine dernière qu'un employé d'école secondaire recevrait plusieurs années de salaire perdu en raison d'une fausse accusation d'attouchements), et le niveau de prosélytisme de certaines associations. Moi ça ne me surprendrait aucunement que toutes aient menti.

  4. ZtH
    Droits?
    "Ces conditions pourrait même être imposées dès lors le DPCP considère que la preuve est suffisante pour porter des accusations."

    Vous voulez possiblement vous référez à une récente controverse entourant notre Barreau et son leader où de nombreux confrères et consoeurs estimaient que le fait que le DPCP estime avoir suffisament de preuves pour porter une accusation ne voulait absolument rien dire, puisque ce n'était pas garant d'une condamnation.

    Stigmatiser un individu présumé innocent jusqu'à détermination contraire, ou même en dépit d'un acquittement, reviendrait à sortir la justice criminelle de l'enceinte des tribunaux pour la sous-traiter à des instances administratives. Vous auriez un fichu problème de droits fondamentaux: présomption d'innocence, droit à une audition, application des règles procédurales etc.

  5. Anonyme
    Anonyme
    il y a 8 ans
    option?
    Vous savez, si la preuve n'était pas suffisante, il reste toujours la possibilité d'un procès civil où le standard serait différent.

    Quand des victimes doivent comploter pour obtenir une condamnation, quand elles ont menti, je ne crois pas qu'il soit juste d'imposer de sanctions à l'accusé, surtout lorsqu'il gagne au procès pénal.

  6. Anonyme
    Anonyme
    il y a 8 ans
    810 C.cr ? Oh boy !
    "Un juge ...ne pourrait-il pas imposer des conditions préventives comme il peut le faire par le biais du mandat de paix, communément appelé le 810, prévu dans le Code criminel ?"


    Le 810 c.cr., c'est l'outil de prédilection des procureurs paresseux (à la couronne comme à la défense), la porte de sortie des juges qui ne veulent pas trop se casser le pompom (les coupeux de poires en deux), et le calvaire des accusés sans moyens.

    • Criminaliste
      Criminaliste
      il y a 8 ans
      Vous dites n'importe quoi
      vous dites vraiment n'importe quoi...

      Après un long procès, un juge peut via la common law imposer une ordonnance de 810 du C.cr.

      Je l'ai vu dans plusieurs dossiers. Long procès, circonstances nébuleuses entre plaignant et accusé, le juge acquitte, mais ordonne un 810.

      ça c'est vu, ça c'est fait, la jurisprudence le permet.

      un 810 après procès est bien plus complexe sur le pompom du juge dans la rédaction de son jugement, rien à voir avec les moyens des accusés et les procueurs sont pas paresseux s'ils ont procédés dans tous les moindres détails du dossier.

      beau gérant d'estrade...

  7. D. Gramajo
    D. Gramajo
    il y a 8 ans
    Avocat
    Si le juge n'est pas "sure" alors l'accusé est innocent car la couronne ne s'est pas déchargée du fardeau qui lui incombe de prouver la culpabilité. La présomption d'innocence n'a pas été renversée.

    Concernant votre suggestion de 810, le remède existe déja concernant des plaignants de moins de 16 ans. C'est l'article suivant, soit le 810.1. Par contre, je vois mal sur quelles bases légales un tribunal pourrait imposer une telle ordonnance à un individu qu'elle a acquitté des accusations à la suite d'un procès. Ce serait contraire à l'article 7 de la charte.

  8. Avocat
    Avocat
    il y a 8 ans
    Avocat
    Il ressort quand même de la preuve que deux femmes ont adoré cela. Parmi ce que ce procès laisse derrière, il ne faut pas manquer de souligner un bon souvenir pour ces deux-là.

    • Sophie Bérubé
      Sophie Bérubé
      il y a 8 ans
      Wow.
      Votre commentaire est triste et manque d'empathie.

  9. Beleive the victims
    Beleive the victims
    il y a 8 ans
    Rape culture
    How hard is it to understand that, in fact, except extremely rare cases, nobody lies about such things ?! The victims' testimonies should be considered true until proven otherwise false beyond reasonable doubt. That is not to say that a qualification exercize should not be made as to connect the facts to the propre legal offense they pertain to - but ab initio, the facts should be considered true, without having to submit the victim to inquisition-like proceedings in which they are raped once again in public and treated like trash.

    Facts presented should be limited to ex parte testimonies and police reports, and only -and only if- after a special hearing, it is found that a cross-examination of a female victim is absolutely necessary because the reports appear contradictory beyond reseaonable doubt with regards to other evidence (which should include mandatory testimony of the accused).

    How many women will simply not report rape because of our system that does everything in its power not to hear nor beleive us at the slightest occasion ? We deeply need to amend our criminal law when it comes to violence against women. In its current state, the system only serves to provide loopholes and technicalities to allow rapists to avoid consequences to their viles actions.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 8 ans
      re Rape culture
      Non. Ce ne sont pas en tant que femmes que ces personnes n'ont pas été crues, c'est en tant que témoins qui ont menti ou sciemment tronqué la vérité.

      Ce qui est très grave. Vous le voyez j'espère?

      Avant de critiquer le système de justice, faudrait commencer par en respecter les règles élémentaires. Le parjure est un crime. Et je ne parlerai même pas du tort considérable que ces plaignantes ont causé aux victimes qui les suivront ..

      Par ailleurs, les femmes n'ont pas besoin de protection. Ça va faire. Elles ont besoin de se tenir debout et de marcher droit.

      Allez lire cec, si le sujet vous intéressei: http://www.droit-inc.com/article17469-L-avocate-le-violeur-ses-maitresses-et-son-acquittement

    • AC
      You are
      You are a dangerous person and I hope you don't hold any kind of position in which you are regarded as an authority.

      It is obvious that you didn't read the decision, so do everyone a favour and go read it. You'll find that the accused was not given any pass by the judge and that what was fatal to the case was the witnesses' negligent accounts, lies and changing stories.

      There still is, in our society, something called the burden of proof and the Crown bears it. In this case it failed. In most cases the Crown succeeds.

      By the way, it's "believe"

  10. Maurisse Grévisse
    Maurisse Grévisse
    il y a 8 ans
    commentaire
    Madame Bérubé écrit: "Participer à une formation obligatoire et garder la paix, qu’il ait commis ou non les gestes reprochés, ne m’apparaît pas très préjudiciable. Ces conditions pourrait même être imposées dès lors le DPCP considère que la preuve est suffisante pour porter des accusations."

    Garder la paix peut certainement s'avérer préjudiciable, selon les conditions imposées par l'ordonnance. Aimeriez-vous qu'on vous prive d'internet ou de telephone portable? qu'on vous impose un couvre-feu?


    "À tout le moins, le respect de ce genre de conditions servirait à la prévention et à la protection du public."

    Pour cela, il faudrait voir le profil de l'agresseur.


    "De savoir qu’elles seront protégées davantage contre leur agresseur et que grâce à une thérapie imposée, il y aura peut-être moins de chances de récidive et une prise de conscience possible chez lui."

    Je ne suis pas convaincu du succès des thérapies imposées. Dans la mesure où l'agresseur n'a pas la volonté de participer à l'effort de rehabilitation, ce dernier me semble vain.

Annuler
Remarque

Votre commentaire doit être approuvé par un modérateur avant d’être affiché.

NETiquette sur les commentaires

Les commentaires sont les bienvenus sur le site. Ils sont validés par la Rédaction avant d’être publiés et exclus s’ils présentent un caractère injurieux, raciste ou diffamatoire. Si malgré cette politique de modération, un commentaire publié sur le site vous dérange, prenez immédiatement contact par courriel (info@droit-inc.com) avec la Rédaction. Si votre demande apparait légitime, le commentaire sera retiré sur le champ. Vous pouvez également utiliser l’espace dédié aux commentaires pour publier, dans les mêmes conditions de validation, un droit de réponse.

Bien à vous,

La Rédaction de Droit-inc.com

PLUS

Articles similaires