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Les accords de commandite dans le monde du sport

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Sébastien Vézina Et Eric Lavallée

2024-02-15 11:15:45

Sébastien Vézina et Eric Lavallée, les auteurs de cet article. Source: Lavery
Quelques jours après le Super Bowl, focus sur les accords de commandite dans le monde du sport…

« J’étais outré », « aucun bon sens », « c’est ridicule » sont les quelques expressions employées par certains pour caractériser une clause controversée du contrat de Neymar avec le club de soccer Al Hilal, basé en Arabie Saoudite.

Signée en août 2023, cette clause prévoirait une rémunération d’environ 500 000 $ par publication Instagram faisant la promotion de l'Arabie Saoudite. d'exposition et de notoriété

À l'opposé, d'autres applaudissent cette initiative, voyant en Neymar un précurseur d'une ère où les talents sportifs seraient plus justement valorisés.

Avant même de chausser ses crampons pour sa nouvelle équipe, Neymar a déjà braqué les projecteurs sur le royaume saoudien. En conférence de presse le 7 septembre dernier, l’attaquant brésilien a audacieusement comparé la Ligue 1 où il évoluait en France (classée 5e meilleure ligue de soccer au monde) à celle d'Arabie saoudite de football (classé 36e) : « Vu les grands noms qui composent cette Ligue, c'est possible que ce championnat soit meilleur que la Ligue 1 »2.

Il va sans dire que cette affirmation a suscité bien des réactions. À titre de comparaison, la Major League Soccer (MLS), la ligue dans laquelle évolue le CF Montréal, est classée 29e meilleure ligue de soccer au monde.

Terrain fertile pour les accords de commandite, le monde du sport est un théâtre de compétition, de passion et d’adrénaline. Ces accords sont des alliances stratégiques qui alimentent l’essence du sport moderne et qui transcendent les limites du jeu lui-même.

Dans les deux dernières capsules, nous avons étudié les enjeux entourant la dénomination des équipes sportives, puis les accords encadrant la dénomination des stades et amphithéâtres. Cette fois, nous plongeons dans les coulisses des accords de commandite, définissant ce qu’ils sont, leurs usages, objectifs, structure et risques.

Qu'est-ce qu'un accord de commandite?

Les accords de commandite, également connus sous le nom de contrats de parrainage, sont des accords commerciaux conclus entre un bénéficiaire (organisation, individu, événement) et un commanditaire (entreprise ou marque). Ces accords impliquent généralement un échange de compensation financière, de biens ou de services en contrepartie de la visibilité, de la promotion ou de l’association du commanditaire avec le bénéficiaire.

Certes, ces accords ne se cantonnent pas exclusivement à la sphère du sport. Cependant, il est indéniable que le sport a joué un rôle majeur dans l’évolution de ces accords, les transformant en des outils à la fine pointe du progrès commercial. C’est donc sur leur usage dans le monde du sport que nous nous concentrerons.

Le pouvoir des accords de commandite

En substance, les accords de commandite permettent au commanditaire de bénéficier de l’exposition, de la notoriété ou de l’image positive associée à un athlète. De manière accessoire, ils permettent parfois aux athlètes d’accroître leur propre visibilité, et de développer leurs propres marques de commerce en partenariat avec le commanditaire.

Le film Air, sorti plus tôt en 2023 en salles de cinéma et ensuite exclusivement sur la plateforme de diffusion Prime Video, illustre bien les dynamiques des accords de commandite. Ce film retrace la genèse du partenariat emblématique entre la marque Nike et la légende du basketball, Michael Jordan, qui a redéfini la manière dont les athlètes abordent les partenariats commerciaux.

Ce partenariat avec Nike a donné naissance à la célèbre ligne de baskets Air Jordan, posant ainsi les jalons de ce que pourraient représenter les ententes de commandite dans l'avenir. En avril 1985, Nike a introduit sur le marché la première série des baskets Air Jordan (voir Figure 2), visant des revenus de vente de 3 millions de dollars sur une période initiale de trois ans.

Néanmoins, dès la fin de la première année, les ventes avaient atteint la somme impressionnante de 126 millions de dollars. Pour l'année 2022, il a été rapporté que Michael Jordan a gagné entre 150 et 256 millions de dollars exclusivement grâce à son contrat avec Nike.

Objectifs clés des accords de commandite chez l'athlète

Objectif de gain financier

Le premier objectif est bien souvent un gain financier. En plus de Michael Jordan, d’autres athlètes étoiles ont accepté de signer des accords de commandite avec Nike. LeBron James et Cristiano Ronaldo ont également chacun conclu des contrats avec Nike, lesquels leur rapporteraient la somme d’un milliard de dollars américains. Parallèlement, l’octuple ballon d’or argentin, Lionel Messi, a signé un accord comparable avec la marque Adidas.

Le cas de Michael Jordan a toutefois ceci de particulier : le développement d’une famille de marques de commerce fortes et distinctives, comme « Air Jordan » et des logos représentant Michael Jordan au jeu. Cette famille de marques de commerce appartient à Nike, mais est intrinsèquement liée à l’athlète qui bénéficie des retombées de celle-ci.

Au Québec, le joueur de tennis Félix Auger-Aliassime, victime de son récent succès, s’est entendu avec Dior et la marque automobile Renault en début d’année 2023. Ces entreprises s’ajoutent à ses commanditaires, qui incluent déjà notamment Adidas. La somme déboursée par ces marques n’a pas été divulguée, mais Félix arbore maintenant le logo de Renault en évidence sur la manche de ses t-shirts; de manière plus évidente que la marque du t-shirt elle-même.

Objectif de réputation et de gain en crédibilité

La réputation et la crédibilité sont d’une importance cruciale dans le monde du sport. L’association avec un commanditaire réputé peut renforcer la crédibilité de l’athlète auprès des partisans, des médias, des partenaires potentiels ou d’autres clubs professionnels.

Tout comme les accords de droits de dénomination, le partage des valeurs et le choix du commanditaire sont fondamentaux pour les accords de commandite.

C’est d’ailleurs ce que Félix Auger-Aliassime avait affirmé à la suite de son entente avec Renault : « Je suis fier d’être associé à Renault, car nous partageons les mêmes ambitions et valeurs (…)».

Le club de soccer Chelsea, évoluant dans la Premier League en Angleterre, a débuté sa saison 2023-204 sans commanditaire principal et a même joué sans logo sur la poitrine du chandail des joueurs, alors que cela est pourtant la norme au soccer.

En fait, Chelsea s’était entendue avec la compagnie Stake.com, un casino en ligne qui se présente comme un pionnier dans le domaine des jeux d’argent en cryptomonnaie.

Dès l’annonce de l’entente, les partisans ont manifesté leur désaccord et la Chelsea Supporters’ Trust, qui représente la voix des partisans de l’équipe, avait déclaré : « Nous comprenons le désir de Chelsea de maximiser les revenus dans l’ensemble du club. Nous acceptons que cela se produise, mais cela ne doit pas se faire au détriment des valeurs du club. »

Chelsea a donc mis fin à l’entente et semble avoir trouvé un nouveau partenaire auprès de la compagnie de technologie américaine Infinite Athlete pour un montant divulgué d’environ 66 millions de dollars par an.

Objectif de relation équitable entre les parties : le cas des étudiants-athlètes

Pour certains athlètes, les accords de commandite sont également un moyen d’établir une relation équitable entre toutes les parties prenantes et de permettre à ces athlètes de ne pas être mis à l’écart des bénéfices de leur propre nom, de leur propre image et de leurs ressemblances.

Cela est d’ailleurs le cas pour les étudiants-athlètes qui évoluent notamment dans le système universitaire américain (National Collegiate Athletic Association – la « NCAA »). En juin 2021, la Cour suprême des États-Unis a jugé que la NCAA n'était pas légalement autorisée à limiter les paiements liés à l'éducation aux étudiants, ce qui a donné naissance aux accords de nom, d’image et de ressemblance (les « accords NIR ») – ou en anglais les NIL Deals (Name, Image, and Likeness).

Les étudiants-athlètes ont maintenant droit de conclure des accords de commandite liés à leur nom, leur image et à leurs ressemblances (le terme « ressemblances » fait référence à toute représentation de l’athlète, que ce soit dans les jeux vidéo, les dessins animés ou autres).

La championne en matière d’accords NIR est sans aucun doute Olivia Dunne, gymnaste pour la Louisiana State University. Celle-ci est une des premières étudiantes-athlètes à devenir millionnaire grâce aux accords NIR et elle est définitivement la plus connue.

Ses ententes avec des marques qui incluent American Eagle, Forever 21 ou Vuori lui ont rapporté un montant estimé de plus de 4,7 millions de dollars. Elle n’est cependant que 3e au classement des revenus provenant des accords NIR, derrière le joueur de basketball Bronny James (fils de LeBron James – 9,7 millions) et le joueur de football Arch Manning (neveu des anciens joueurs de football Peyton et Eli Manning – 5,1 millions). À quand les accords NIR au Québec avec des étudiants-athlètes?

Objectifs clés du côté des commanditaires

Du côté du commanditaire, les objectifs restent généralement similaires. Les commanditaires cherchent à obtenir une visibilité et une promotion accrues en associant leur marque, leurs produits ou leurs services à un athlète professionnel renommé. Cette association peut entraîner une exposition médiatique considérable et atteindre un public cible spécifique.

C’est d’ailleurs l’objectif de lululemon à la suite de son partenariat avec Connor Bédard, le plus récent choix numéro un au repêchage de la Ligue nationale de hockey (LNH). En effet, lululemon était à l’origine exclusivement un détaillant de vêtements de yoga. Lululemon tente maintenant d’atteindre les amateurs de hockey et de solidifier sa réputation en tant que détaillant de vêtements de sport haut de gamme.

C’est d’ailleurs l’objectif de lululemon à la suite de son partenariat avec Connor Bédard, le plus récent choix numéro un au repêchage de la Ligue nationale de hockey (LNH). En effet, lululemon était à l’origine exclusivement un détaillant de vêtements de yoga. Lululemon tente maintenant d’atteindre les amateurs de hockey et de solidifier sa réputation en tant que détaillant de vêtements de sport haut de gamme.

Après l’annonce du partenariat, Connor Bédard avait dit : « Originaire de Vancouver, je suis fan de lululemon depuis toujours. Les vêtements sont tellement confortables, élégants et parfaits pour l'entraînement. » Lululemon étant également originaire de Vancouver, on comprend que ce partenariat vient capitaliser sur le sentiment d’appartenance des partisans.

Évidemment, les commanditaires visent également à augmenter leurs ventes ou leur rentabilité grâce à l’exposition et à la notoriété accrue résultant de l’accord de commandite. L’accès à un public cible spécifique, particulièrement engagé dans le sport pratiqué par l’athlète, peut être un atout majeur.

Structure des accords de commandite

En termes de structure, les accords de commandite diffèrent selon l’ampleur et l’étendue de la visibilité recherchée.

Structure des accords de commandite locaux

Les accords de commandite locaux sont conclus :

  • lorsqu’une entreprise locale décide de financer un athlète ou un événement sportif;
  • lorsqu’une entreprise commandite un athlète local ou une organisation sportive locale.

Un accord de commandite local n’implique pas nécessairement un accord de plus petite nature. Les commandites de la Banque Royale du Canada et d’Air Canada pour afficher leur logo respectif sur le chandail des Canadiens de Montréal sont un exemple d’accord local.

Structure des accords de commandite nationaux ou internationaux

À plus grande échelle se trouvent les accords de commandite nationaux ou internationaux, qui permettent une visibilité plus vaste. Plus raffiné et impliquant des ramifications plus étendues, ce type d’accord doit également prendre en compte les enjeux de plusieurs territoires.

Structure de rémunération

La structure de rémunération de l’athlète dans certaines grandes ententes peut aussi être très variée. La rémunération fixe et prédéterminée à l'avance est souvent la norme. On peut comprendre que des accords où la marque de commerce liée à un athlète est utilisée pour une gamme de produits particulière peuvent inclure aussi des redevances ou des paliers liés à la performance commerciale de ces produits.

La durée : un facteur qui impacte la structure des accords de commandite

Les accords de commandite varient également pour ce qui est de la durée. Une entreprise peut décider de commanditer un athlète à plus long terme, ou bien de le commanditer uniquement le temps d’un événement ou d’une compétition. Le 13 septembre 2023, la nouvelle Ligue professionnelle de hockey féminin (la « LPHF ») a annoncé son tout premier commanditaire : Canadian Tire.

Il s’agit d’un accord national, voire international considérant que la LPHF exerce ses activités au Canada et aux États-Unis. Sarah Nurse, attaquante de l’équipe de Toronto de la LPHF avait alors affirmé ce qui suit : « Il m'a toujours paru clair, lors de nombreuses conversations avec leurs principaux dirigeants, qu'ils s'engageaient à soutenir une ligue de hockey féminin. Il n'est pas surprenant que la SCT (Canadian Tire) soit un partenaire inaugural maintenant que nous avons lancé la LPHF. Grâce à nos valeurs et à notre vision commune, je sais que la SCT continuera de promouvoir le hockey féminin ».

Les risques de commandite : ce qu'il faut savoir

Quelques risques sont également associés à la conclusion d’un accord de commandite. Les athlètes professionnels sont continuellement scrutés à la loupe et chacun de leurs gestes a un impact potentiel sur leurs commanditaires.

Clause de moralité

On peut penser au joueur de golf Tiger Woods qui, en 2010, a été le sujet d’un scandale personnel. La réputation de l’athlète avait été ternie et plusieurs commanditaires, voulant éviter d’être associés à cette perte de réputation de Tiger Woods, ont mis fin à leurs accords de commandite.

Afin de permettre aux parties de mettre fin aux accords de commandite aisément et sans frais à la suite de toute situation similaire à celle de Tiger Woods, les accords de commandite utilisent généralement une clause dite de moralité (en anglais : morality clause ou morals clause).

Une clause de moralité impose des obligations de bonne conduite à l’athlète et stipule que si ce dernier participe à des actions susceptibles de ternir ou de porter atteinte à sa propre réputation ou à celle de ses commanditaires, le commanditaire a le droit de suspendre ou de résilier unilatéralement l’accord de commandite.

C’est d’ailleurs par le biais de cette clause que Gatorade et Gillette, notamment, ont mis fin à leurs accords de commandite avec Tiger Woods. La première clause de moralité répertoriée dans le monde du sport provient du contrat d’emploi de Babe Ruth, le célèbre joueur de baseball des années ‘20, avec les Yankees de New York.

Clause réciproque

On peut penser que certains athlètes souhaiteraient d'ailleurs avoir une clause réciproque, leur permettant de se séparer d’un commanditaire dont la réputation est entachée d’un scandale (conditions de travail inhumaines, pollution, scandale financier, etc.). Moins fréquentes en général, ces clauses pourraient toutefois s’avérer utiles alors que la société exige de plus en plus un comportement éthique des entreprises.

De l’autre côté de la médaille, un athlète qui se démarque positivement à l’extérieur du terrain peut attirer de nouveaux commanditaires. Le 24 septembre 2023, la chanteuse populaire Taylor Swift a été aperçue à la partie des Chiefs de Kansas City encourageant le joueur de football Travis Kelce.

Taylor Swift étant adorée du public, Travis Kelce a vu ses réseaux sociaux exploser avec une augmentation de 500 000 abonnés et la vente de ses chandails faire un bond spectaculaire de 400 %, le tout en moins d’une semaine. Les commanditaires sont bien connus pour apprécier les athlètes associés avec une autre personnalité notoire. Pensons à Tom Brady et Gisele Bündchen, ou à David et Victoria Beckham. Kelce, qui empochait déjà plus de 3 millions de dollars annuellement grâce à ses commanditaires, a maintenant la porte grande ouverte pour dénicher de nouvelles commandites.

Conclusion

En somme, les accords de commandite jouent un rôle significatif dans le monde du sport. Au-delà des avantages financiers qu’ils génèrent, ils reflètent les valeurs et l’identité des partenaires impliqués. Ces accords transcendent la simple nature transactionnelle pour devenir des alliances stimulant la croissance, l’engagement émotionnel et la pérennité. Ils incarnent la passion partagée pour le sport et la recherche constante d’excellence.

À mesure que le paysage sportif évolue et que de nouvelles occasions émergent, il est essentiel de continuer à s’interroger sur la manière dont ces accords s’alignent avec nos valeurs collectives. Les partenariats futurs ne seront pas seulement des stratégies commerciales, mais aussi des déclarations de principes. Ils façonneront la manière dont le sport est vécu, perçu et expérimenté.

À propos des auteurs

Sébastien Vézina est associé au sein du groupe droit des affaires du cabinet Lavery.

Il est le leader de l’équipe en droit du sport au sein du cabinet. Il représente également des conseils d’administration et des comités indépendants de conseils d’administration et il siège au conseil d’un certain nombre de sociétés privées.

Eric Lavallée a, quant à lui, l’expertise en propriété intellectuelle dans les questions de protection et gestion des actifs PI dans le domaine du sport.

Il est avocat et agent de marques de commerce au sein du groupe droit des affaires et dirige le Laboratoire juridique Lavery sur l’intelligence artificielle.

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