Lésion d’ordre psychologique résultant de l’exercice déraisonnable du droit de gérance
Mylène Lafrenière Abel
2024-11-21 11:15:34
Retour sur une décision du Tribunal administratif du travail…
Dans la décision Levesque et Municipalité régionale de comté des Collines-de-l’Outaouais, 2024 QCTAT 2323 (j. a. Manon Chénier), le travailleur, un inspecteur au sein du service de police de la Municipalité régionale de Comté des Collines-de-l’Outaouais, dépose une réclamation auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), alléguant subir du harcèlement psychologique au travail depuis quelques années. Il prétend que cette situation lui a occasionné une dépression majeure et une résurgence de stress post-traumatique.
À la suite du refus de sa réclamation et du maintien de cette décision en révision administrative, le travailleur demande au Tribunal administratif du travail (ci-après, le « TAT »), de reconnaître qu’il a subi une lésion professionnelle d’ordre psychologique. Il allègue que le directeur du service de police en fonction depuis 2017 l’a, à répétition, rabaissé et dénigré.
Pour réussir son recours, le TAT rappelle que le travailleur doit démontrer que son état résulte d’un événement ou d’un cumul d’événements qui sont « objectivement traumatisants » et qui débordent du cadre normal ou habituel du travail.
La juge administrative précise la manière dont ce critère doit être compris : le caractère traumatisant de l’événement doit être décrit en termes de ce qui est choquant, bouleversant ou perturbant[1]. Lors de son analyse, le TAT « doit analyser s’il s’agit de la perception subjective du travailleur ou si sa réaction se compare à celle d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances »[2].
Par la suite, le TAT rappelle que l’exercice abusif, déraisonnable ou discriminatoire du droit de gérance peut constituer un événement imprévu et soudain, puisque cette situation déborde du cadre normal et habituel du travail[3]. Pour déterminer si l’employeur a exercé de façon déraisonnable, abusive ou discriminatoire son droit de gérance, le Tribunal doit évaluer si les gestes ou actes posés par celui-ci : 1) sont en lien et justifiés avec le fonctionnement de l’entreprise; 2) sont justes et équitables, compte tenu des circonstances et 3) si un employeur raisonnable et compétent aurait agi de la même façon[4].
En l’espèce, le TAT est d’avis que le cumul des événements impliquant le travailleur, qui se sont déroulés sur une période de trois ans, sont objectivement traumatisants et débordent du cadre normal du travail. La preuve démontre que le directeur avait pris pour cible le travailleur. Il a rabaissé, humilié et dénigré ce dernier, souvent devant ses collègues et cela sans aucune justification. Le fait de critiquer de manière répétée le travailleur, sans formuler de reproche concret, a eu pour effet de miner sa confiance.
Le TAT conclut également que le directeur a instauré au sein du service de police un climat de travail toxique. Il a usé de son droit de gérance de façon déraisonnable et malicieuse, à l’encontre des règles de la bonne foi[5].
La preuve permet de conclure que la situation psychologique du travailleur découle entièrement des événements qu’il a vécus au travail. Compte tenu des circonstances, l’employeur a été négligent en demeurant inactif malgré sa connaissance de la situation problématique vécue par le travailleur et ses collègues[6].
Finalement, la juge administrative conclut que la condition personnelle préexistante de nature psychologique du travailleur (stress-posttraumatique vécu dans les années 2009-2010) ne constitue pas un obstacle, en l’espèce, à la reconnaissance d’une lésion professionnelle, puisqu’elle n’a pas joué un rôle déterminant dans la survenance de la lésion. Le TAT rappelle qu’il convient prendre la personne dans l’état où elle se trouve au moment de l’événement et d’analyser la situation en tenant compte des traits et de la personnalité du travailleur (théorie du crâne fragile).
La contestation du travailleur est accueillie et le TAT déclare que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 2 février 2021.
À propos de l’auteure
Mylène Lafrenière Abel est avocate coordonnatrice de l’information juridique chez RBD. Elle a effectué son stage du Barreau au Tribunal des droits de la personne et elle a par la suite agi à titre d’avocate-recherchiste à la Cour supérieure du Québec.
Barreau 2018, Me Lafrenière Abel est titulaire d’un baccalauréat en philosophie de l’Université de Montréal, d’un baccalauréat en droit et d’une maîtrise en droit de l’Université du Québec à Montréal.