L’utilité de la Commission Charbonneau

Martine Valois
2016-04-14 11:15:00

Comme le rappelait la Cour suprême du Canada dans l’affaire Phillips, au sujet de la commission d’enquête sur la tragédie de l’explosion à la mine Westray en Nouvelle-Écosse, « [L]'une des principales fonctions des commissions d'enquête est d'établir les faits» relativement à un sujet de préoccupation pour la population.
Selon la Cour, ces commissions « fournissent un moyen d'informer les Canadiens sur le contexte d'un problème préoccupant pour la collectivité et de prendre part aux recommandations conçues pour y apporter une solution ». Découvrir la vérité, établir les faits, informer et faire des recommandations. Voilà les principaux rôles des commissions d’enquête.
Toujours dans l’arrêt Phillips, la Cour suprême écrit que l’objectif des commissions d’enquête ne doit pas être de recueillir de la preuve pour alimenter des poursuites criminelles. La Cour ajoute également que les enquêtes des commissions doivent être menées de manière à ne pas compromettre le droit à un procès équitable, y compris le droit à un procès devant un jury impartial.
Protéger les enquêtes criminelles
L’une des principales objections soulevées à l’encontre de la création de la Commission Charbonneau était la nécessité de protéger les enquêtes criminelles. Le premier ministre Jean Charest affirmait qu’il fallait laisser la police faire son travail, car la collusion et la corruption sont avant tout des comportements criminels qui doivent être punis avec toute la force de la loi.
Forcé de mettre sur pied la Commission réclamée de tous, le gouvernement avait pris le soin de préciser dans le décret créant la Commission que celle-ci devait veiller à ne pas « compromettre les enquêtes actuellement menées en application de la Loi concernant la lutte contre la corruption et d’éventuelles poursuites judiciaires qui peuvent en résulter ».
Composée majoritairement d’experts du droit criminel, la Commission a pris très au sérieux son devoir de ne pas mettre en péril les poursuites criminelles en cours ou éventuelles. Tout au long de ses travaux, la Commission Charbonneau a tenu à rappeler que son objectif n’était pas de trouver des « coupables »; la Commission enquêtait sur « des stratagèmes » et non sur des « personnes » comme le disait le porte-parole de la Commission,Richard Bourdon.
Bien entendu, derrière les stratagèmes de collusion et de corruption qu’elle a identifiées, il y avait des individus. Et puisque le mandat de la Commission était d’enquêter sur les stratagèmes de collusion et de corruption en lien avec l’octroi et la gestion des contrats publics, parmi les personnes pouvant témoigner sur ces aspects du mandat de la Commission figuraient ceux exerçant des fonctions diverses au sein des donneurs d’ouvrage publics (élus, fonctionnaires et membres du personnel politique).
Comprendre l’absence de blâmes
Le dépôt des accusations contre l’ex-vice-première ministre et ses 6 coaccusés permet de comprendre l’absence de blâmes dans le rapport Charbonneau relativement à la conduite de ces personnes, même si le ton du rapport n’est pas tout à fait élogieux à leur égard.
La Commission Charbonneau devait éviter de tirer des conclusions qui laissent croire que des crimes ont été commis par ces personnes. C’est aussi un des enseignements de la Cour suprême du Canada, notamment dans l’arrêt Krever (sang contaminé).
Les accusations portées contre Nathalie Normandeau sont objectivement graves. Les infractions reprochées sont passibles de peines maximales de 5 ans et 14 ans d’emprisonnement. La Charte canadienne des droits et libertés garantit le droit à un procès par jury pour toute infraction punissable par 5 ans d’emprisonnement et plus. Idéalement, afin d’éviter que des demandes en arrêt des procédures criminelles puissent être jugées bien fondées, les faits à l’appui des accusations criminelles n’auront pas ou peu été évoqués devant la Commission Charbonneau.
Que saurions-nous?
Avec le dépôt des accusations criminelles contre certains des acteurs de la Commission Charbonneau (Nathalie Normandeau, son ancien chef de cabinet, et des responsables de la firme de génie Roche), on peut affirmer que, non seulement les travaux de la Commission n’ont pas compromis les enquêtes de l’UPAC, mais qu’en plus, sans la Commission, absolument rien de ce que nous savons aujourd’hui des stratagèmes liés au financement des partis politiques n’aurait été mis à jour.
Que saurions-nous en effet sur les stratagèmes de collusion et de corruption à Montréal, Laval et Boisbriand, et sur le financement politique provincial, si notre seule source d’information consistait dans la preuve divulguée dans les poursuites criminelles en cours ? Absolument rien.
Depuis 2011, 4 enquêtes criminelles liées à l’octroi de contrats publics dans l’industrie de la construction ont mené à des accusations devant les tribunaux. Un seul de ces dossiers est venu à terme, principalement en raison de la collaboration de l’un des accusés qui « s’est mis à table » et dont le témoignage est en grande partie responsable de la condamnation de ses coaccusés. Le procès concernant le Faubourg Contrecoeur débute à peine. Dans celui des accusés de Laval, on est encore au stade préliminaire. Quant à celui visant l’ex-ministre Normandeau et ses coaccusés, il faudra s’armer de patience, car il est peu probable qu’un procès ait lieu avant 2019.
Capacité d’autocorrection de l’appareil d’État
L’objectif des procédures criminelles n’est pas d’informer la population et d’établir des faits visant à mettre en lumière des problèmes sociaux ou autres, et de faire des recommandations pour apporter une solution à ces problèmes.
Sans la Commission Charbonneau, l’adoption de la Loi sur l’intégrité dans les contrats publics, de la Loi visant la récupération des sommes payées injustement à la suite de fraudes, les modifications successives à la Loi électorale visant à réduire le montant des contributions politiques des électeurs (de 3 000 à 1 000, à 100 $), et le dépôt du projet de loi 87 sur la protection des lanceurs d’alerte n’auraient pas été possibles.
Sans compter les autres recommandations, dont celle relative à la création de l’Autorité des marchés publics, qui, une fois mises en œuvre, permettront de mettre un terme, ou du moins un frein, à la corruption et la collusion dans l’octroi et gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction. La Commission Charbonneau aura servi à démontrer la capacité d’autocorrection de l’appareil d’État, si tant est que ses recommandations soient appliquées.
Et si l’échange de courriels entre Marc-Yvan Côté et des gestionnaires de Premier Tech au sujet de l’aide de Sam Hamad pour l’obtention d’une subvention par le gouvernement, et de l’importance de contribuer au financement du PLQ a eu autant d’impact, c’est parce qu’il ressemblait étrangement aux stratagèmes élucidés par la Commission Charbonneau dans son rapport.
Me Valois a exercé sa profession dans un cabinet privé, puis dans l'administration gouvernementale jusqu'en 2011, année où elle a joint les rangs de la Faculté de droit. Ses champs d’expertise sont le Droit administratif, l’organisation de l’État, l’indépendance judiciaire, l’indépendance des tribunaux administratifs et la sociologie du droit.
Avocat
il y a 8 ansL'utilité de la Commission Charbonneau est de servir de machine à laver haute capacité. Tous les criminels y se sont précipités afin de bénéficier de l'immunité qui leur fut conférée par la suite. C'est fait pour eux, pas pour la population. Des chums c'est des chums.
Carl
il y a 8 ansPour paraphraser Mme Valois, '' si l’échange de courriels entre Marc-Yvan Côté et des gestionnaires de Premier Tech au sujet de l’aide de Sam Hamad pour l’obtention d’une subvention par le gouvernement, et de l’importance de contribuer au financement du PLQ a eu autant d’impact, c’est'' peut-être parce que l'UPAC a laissé coulé de l'information aux journalistes, permettant ainsi de mettre de la pression sur le gouvernement libéral qui dans la foulée a, ô coïncidence, reconduit Robert Lafrenière dans ses fonctions. Mais ça, aucun journaliste ni professeur n'a le courage de l'écrire. Dommage, moi qui croyait que notre société québécoise comportait quelques érudits qui avaient le courage de leurs opinions.