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Pourquoi libérer Turcotte ?

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Jacques Duquette

2014-10-02 10:15:00

Avocat à la retraite, l’auteur revient sur les grands principes qui ont conduit à la libération de Guy Turcotte dans l’attente de son nouveau procès...
Plusieurs personnes s'étaient rassemblées pour dénoncer la remise en liberté de Guy Turcotte
Plusieurs personnes s'étaient rassemblées pour dénoncer la remise en liberté de Guy Turcotte
Il y a deux semaines environ, Guy Turcotte a été remis en liberté en attendant son deuxième procès qui doit être tenu dans un an, à l’automne 2015. La Couronne n’accepte pas cette décision et vient d’annoncer son intention d’en appeler.

Le 3 octobre, la Cour d’Appel sera ainsi saisie de la requête pour permission d’en appeler de ce jugement de libération. Il faut le dire, la société québécoise a été choquée de cette libération et elle manifeste de différentes façons sa révolte devant le fait que ce père de famille, qui a admis avoir tué ses deux jeunes enfants, dans un geste qu’il dit de folie, recouvre ainsi sa liberté. Il y a même eu, en ces derniers jours, une manifestation avec pancartes devant le palais de justice.

Cette affaire Turcotte ne peut laisser personne indifférent, et elle constitue une belle occasion de réfléchir sur les grands principes qui régissent les droits de la personne dans notre société.

Toutes les sociétés occidentales sont fières de crier haut et fort qu’en leur sein, les droits de l’homme sont protégés et que ceux-ci priment sur toute autre considération. Les droits humains sont sacrés, et nous nous donnons fièrement l’épithète de sociétés de droit.

Mais il arrive, comme c’est le cas pour l’affaire Turcotte, que ces mêmes droits dont nous étions si fiers, nous irritent au plus haut point. Que nous voudrions n’avoir jamais entendu parler de ces droits. Ainsi, cette affaire Turcotte nous forcera à nous arrêter sur toutes les implications que comporte cette notion de société de droit.

Grands principes et libertés fondamentales

Jacques Duquette est avocat criminaliste à la retraite
Jacques Duquette est avocat criminaliste à la retraite
Posons carrément la question : est-ce que la vindicte populaire aurait dû être suivie dans un tel cas, que constitue la remise en liberté de Guy Turcotte? La réponse est évidemment non.

La justice ne peut se laisser guider par l’humeur de la population. Notre société québécoise a hérité du droit civil français, en même temps qu’elle a hérité du droit criminel britannique, ce dernier étant, selon les philosophes et les experts en droit, l’un des meilleurs du monde. Et la présomption d’innocence, ainsi que le droit à la remise en liberté en attendant son procès, constituent deux des piliers à la base de ce droit criminel.

Les cours de justice se doivent d’appliquer ces grands principes, même si parfois, la pilule est difficile à avaler. C’est précisément dans ces cas difficiles que les principes protégeant les libertés fondamentales prennent tout leur sens, toute leur signification.

J’ajouterais que le citoyen offusqué par cette remise en liberté devrait réfléchir sur le fait que s’il vivait en Corée du Nord, ou dans une autre société gouvernée par un régime autoritaire, il ne vivrait pas cette frustration, et n’aurait même pas le droit d’en débattre, puisque dans de telles sociétés, les droits humains n’ont pas une grande importance, et des individus comme Turcotte n’ont même pas droit à un procès équitable. Leur remise en liberté en attendant ce procès ne causerait pas de problème.

Délai raisonnable

Une autre raison importante qui a pu motiver cette remise en liberté est le très long délai qui se déroulera avant que ce nouveau procès n’ait lieu. La Cour suprême a décidé, il y a quelques mois, que Guy Turcotte devait subir un nouveau procès, et ce nouveau procès n’aura lieu que dans un an, soit en septembre 2015. Je l’ai mentionné à plusieurs reprises : notre système de justice criminelle est trop lourd et trop lent.

Il est permis de penser que si le nouveau procès avait été fixé cet automne, avant la fin de l’année 2014, cette remise en liberté n’aurait peut-être pas été accordée.

Mais, qu’un individu doive attendre plus de douze mois avant d’avoir son nouveau procès, cela n’est pas un délai raisonnable comme le dicte la Charte; et beaucoup de gens auraient pu trouver gênant de voir un homme, quand même toujours présumé innocent, vivre derrière les barreaux pendant tout ce temps. Si la justice s’était laissée influencer par la clameur publique, c’est cela qui se serait produit.
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