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Projet de loi 78 sur la transparence des entreprises : êtes-vous prêts?

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Pierre-Philippe Taché, Nayla El Zir Et Philippe Hébert

2023-02-07 11:15:00

Focus sur le projet de loi 78 sur la transparence des entreprises…
Pierre-Philippe Taché, Nayla El Zir et Philippe Hébert, les auteurs de cet article. Source: BCF Avocats d’affaires
Pierre-Philippe Taché, Nayla El Zir et Philippe Hébert, les auteurs de cet article. Source: BCF Avocats d’affaires
Au Canada, il est relativement facile, rapide et peu dispendieux de constituer une société par actions. Par souci de protection du public, le Québec a choisi de faire contrepoids à cette facilité en imposant un devoir de transparence qui se démarque de la plupart des autres juridictions. C’est pourquoi, dès le 31 mars 2023, le projet de loi 78 qui vise à améliorer la transparence des entreprises entrera en vigueur. Découvrez ses impacts et comment vous y préparer.

Davantage de transparence

Le Registraire des entreprises du Québec (le « REQ ») est l'organisme chargé de tenir le registre consignant les principales informations relatives aux associations et aux entreprises constituées au Québec ou qui y exercent des activités. On retrouve ainsi le nom et l’adresse des administrateurs et des principaux actionnaires, l’adresse du siège social, et bien d’autres informations.

Avec l’entrée en vigueur de la Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises (la « Loi »), le Gouvernement du Québec souhaite donc optimiser la fiabilité des informations que l’on retrouve au REQ, favoriser la transparence des entreprises et ainsi accroître la protection du public et contribuer aux efforts de la lutte contre l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent et la corruption.

« La Loi n’élargit pas l’assiette des personnes ou des entreprises tenues de s’immatriculer au Québec. Une entreprise qui n’est pas tenue de s’immatriculer au Québec aujourd’hui ne le sera pas davantage une fois la Loi entrée en vigueur. C’est plutôt la portée des informations à divulguer et des documents à fournir qui est élargie. »

Quel est le principal changement apporté par cette Loi?

Les entreprises tenues de s’immatriculer au Québec (les « assujettis ») en vertu de la Loi sur la publicité légale des entreprises (la « LPLE ») devront dorénavant divulguer au REQ, en plus des nombreuses informations déjà transmises, des informations concernant leurs « bénéficiaires ultimes ».

Un bénéficiaire ultime est un individu disposant d’un droit qui lui permet de :
  • diriger ou d’influencer les activités d’une entreprise; ou

  • profiter d’une partie de ses revenus ou de ses actifs.

  • Qui peut se qualifier de bénéficiaire ultime selon une approche subjective?

    D’abord, selon une approche subjective, le bénéficiaire ultime d’un assujetti est l’individu qui possède une influence directe ou indirecte sur cet assujetti de telle que sorte que si cette influence était exercée, cet individu en posséderait le contrôle de fait. Ce sont les dispositions pertinentes de la Loi sur les impôts du Québecqui s’appliqueront afin de déterminer s’il existe une telle influence, mais une analyse juridique et factuelle devra être menée au cas par cas.

    Une personne exerçant un contrôle de fait pourrait par exemple être un membre de la famille, un créancier ou un co-contractant jouissant d’une emprise ou des droits qui lui permettent d’exercer une influence sur la gestion de l’entreprise.

    Et selon une approche objective?

    Une personne bénéficiaire ultime d’un assujetti est l’individu qui possède, directement ou indirectement, 25 % ou plus des droits de vote ou de la juste valeur marchande d’une entreprise.

    En apparence simple, cette approche objective imposera néanmoins une certaine rigueur dans son application, puisqu’elle implique la détermination régulière de la juste valeur marchande de l’assujetti et de sa répartition entre les différentes catégories d’actions émises.

    À titre d’exemple, chaque opération d’émission, de transfert ou de rachat d’actions d’un assujetti est susceptible d’entraîner un changement à la liste des bénéficiaires ultimes, et ce, même si l’opération envisagée (tel un rachat d’actions privilégiées de gel) ne modifie pas la répartition de droits de vote ou de participation des actionnaires.

    Une entreprise pouvant avoir plus d’un bénéficiaire ultime devra prendre les moyens nécessaires pour les retracer ainsi que pour s’assurer de leur identité.

    Est-ce obligatoire de divulguer les bénéficiaires ultimes?

    Certaines entreprises sont exemptées de l’obligation de divulguer leurs bénéficiaires ultimes comme :
  • les personnes morales de droit public (par exemple : les sociétés d’État, les commissions scolaires, les hôpitaux, etc.);

  • les personnes morales sans but lucratif;

  • les émetteurs assujettis au sens de la Loi sur les valeurs mobilières;

  • les sociétés de fiducie;

  • les institutions financières; et

  • les banques.

  • Des dispositions d’interprétation particulières s’appliquent en regard des bénéficiaires et des fiduciaires de fiducies, afin de déterminer s’ils sont des bénéficiaires ultimes au sens de la Loi.

    Précisons toutefois que, malgré l’emploi de l’expression « bénéficiaire » ultime qui peut prêter à confusion, les fiducies qui ne sont pas assujetties à la LPLE n’auront pas à s’immatriculer aux termes de la Loi et l’identité de leurs bénéficiaires et fiduciaires ne sera divulguée au REQ que s’ils sont les bénéficiaires ultimes d’un assujetti.

    Aussi, l’obligation de divulguer l’identité des bénéficiaires ultimes n’entraine pas l’obligation de divulguer au REQ l’identité des diverses entités (holdings, fiducies, etc.) qui peuvent s’interposer entre un assujetti et ses bénéficiaires ultimes.

    Le nouveau régime ne permettra donc pas nécessairement de faire la lumière sur l’intégralité de la structure corporative entre un assujetti et ses bénéficiaires ultimes.

    Quels documents et informations seront à fournir ?

    Certains auront remarqué que le registre des bénéficiaires ultimes se rapproche beaucoup du Registre des particuliers ayant un contrôle important (PCI) que les sociétés régies par la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) doivent tenir depuis 2019.

    Toutefois, le régime québécois s’en distingue de manière notable.

    D’une part, la Loi prenant son assise dans la Loi sur la publicité légale des entreprises vise toutes les personnes tenues de s’immatriculer au Québec, et non pas seulement les sociétés régies par la Loi sur les sociétés par actions du Québec. Cela inclut les sociétés régies par la LCSA ou par toute loi étrangère, les sociétés de personnes et les fiducies.

    D’autre part, contrairement au registre des PCI qui est uniquement consigné dans le livre de procès-verbaux des sociétés visées, le registre des bénéficiaires ultimes est divulgué au REQ et est accessible en ligne.

    Les informations suivantes devront être divulguées au REQ :
  • identité de chaque bénéficiaire ultime;

  • adresse des bénéficiaires ultimes;

  • date de naissance de toute personne physique inscrite au registre des entreprises;

  • type de contrôle exercé par les bénéficiaires ultimes; date à laquelle une personne est devenue bénéficiaire ultime et celle à laquelle elle a cessé de l’être;

  • copie d’une pièce d’identité valide émise par une autorité gouvernementale pour les administrateurs. Le REQ devra la détruire une fois l’immatriculation ou la mise à jour complétée.

Ces nouvelles divulgations devront être effectuées à l’occasion de la première mise à jour annuelle d’un assujetti suivant l’entrée en vigueur des dispositions pertinentes de la Loi.

Ces informations seront accessibles au public sur le site du REQ, à l’exception des dates de naissance et des adresses du domicile si, en plus de cette adresse personnelle, une adresse professionnelle valide a été déclarée.

Ainsi, bien que l’obligation de fournir une adresse personnelle n’a pas été abrogée, la Loi vient partiellement légitimiser la pratique courante qu’est la divulgation d’une adresse professionnelle en lieu et place d’une adresse personnelle. Non seulement ces informations seront-elles accessibles sur le site du REQ, il est prévu qu’à compter du 31 mars 2024, la plateforme du REQ permettra d’effectuer des recherches à partir du nom d’un individu afin d’identifier les entreprises dont il est bénéficiaire ultime.

Il est cependant prévu que le nom et l’adresse des bénéficiaires ultimes qui sont des personnes mineures, bien que déclarées au registre, ne seront pas accessibles au public.

Quelles sont les sanctions prévues en cas de non-respect de la Loi ?

Les assujettis qui ne respectent pas leurs obligations d’immatriculation et de mise à jour aux termes de la LPLE peuvent se voir imposer une sanction administrative ou encore une sanction pénale.

La sanction administrative applicable serait la radiation d’office d’une immatriculation, alors qu’une sanction pénale prendrait plutôt la forme d’une amende dont le montant peut varier entre 500 $ et 20 000 $, selon le cas.

En résumé

La Loi forcera les entreprises faisant affaire au Québec à un plus grand degré de transparence, au prix d’un fardeau administratif additionnel. La portée des informations qui devront être fournies au REQ – et qui seront largement accessibles au public – suscite des préoccupations légitimes quant à la protection des renseignements personnels.

Il sera intéressant de voir si ces nouvelles obligations dissuaderont les entreprises étrangères qui envisagent de s’établir ou de faire affaire au Québec, surtout si les autres provinces canadiennes n’adoptent pas des mesures similaires.

À propos des auteurs

Me Pierre-Philippe Taché est associé au sein du cabinet BCF Avocats d’affaires. Il accompagne des entreprises de toutes tailles à chaque étape de leur progression, que ce soit l’incorporation, les ententes entre actionnaires, les ententes commerciales, les incitatifs aux employés, les partenariats, le financement et les acquisitions.

Me Nayla El Zir est avocate au sein du cabinet BCF Avocats d’affaires. Celle-ci a débuté sa carrière dans l’industrie pharmaceutique à Montréal avant d’étudier le droit.

Elle poursuit présentement des études supérieures à l'Université de Californie à Berkeley, afin de se spécialiser en droit de la propriété intellectuelle et des technologies de l’information.

Me Philippe Hébert est membre de l’équipe de droit commercial au sein du cabinet BCF Avocats d’affaires. Celui-ci se spécialise dans les domaines des fusions et acquisitions et de la rédaction de contrats commerciaux.

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