Registre des armes d'épaule: un problème de représentation politique

Jean Leclair
2013-07-05 11:15:00

Au Canada, surtout au Québec, la fascination exercée par les litiges constitutionnels relatifs au partage des compétences est si grande qu’on en vient à croire que le fédéralisme se résume à des conflits de juridiction entre les deux ordres de gouvernement. Cet accent mis sur l’affrontement judiciaire caractérisé par la logique binaire du « je gagne/tu perds » a contribué à réduire le fédéralisme à un simple mécanisme de distribution de pouvoirs, sans plus. Peu de personnes y voient un régime politique pouvant favoriser un mode singulier de participation citoyenne à la vie politique, économique, sociale et culturelle d’un État. Le fédéralisme a donc été appréhendé non pas comme un outil de gouvernance mais plutôt comme un simple instrument de répartition presque mécanique des pouvoirs.
Or, dans l’affaire de l’abolition du registre des armes d’épaule, ce n’est pas tant le fédéralisme qui pose problème que sa conjonction avec notre régime parlementaire de gouvernement. Le problème auquel fait face le Canada depuis longtemps est le suivant : notre régime parlementaire de type britannique favorise une concentration tous azimuts des pouvoirs dans les mains des premiers ministres ce qui, au niveau fédéral, s’accorde mal avec la vocation des institutions politiques que sont la Chambre des communes et le Sénat de jouer le rôle de forums des débats interrégionaux.
Premiers ministres tout puissants
En effet, dans un régime parlementaire comme le nôtre, tout est pensé pour favoriser la constitution de pouvoirs exécutifs fédéral et provinciaux tout puissants, c’est-à-dire de premiers ministres tout puissants. La concentration de pouvoirs qui en découle, problématique en elle-même, soulève une difficulté supplémentaire dans le contexte d’institutions fédérales comme le Parlement canadien. En effet, un premier ministre fédéral —lorsqu’il est à la tête d’un gouvernement majoritaire— détient la presque totalité des pouvoirs et peut donc décider de tout, sans égard bien souvent aux opinions variées exprimées par les citoyens des différentes provinces. Il peut même ignorer les opinions exprimées par les députés de son propre parti qu’il tient solidement par le licou de la discipline de parti. En effet, armé de cette discipline, il peut briser la carrière politique d’un député délinquant. C’est lui qui décide, en fin de compte, des compromis nécessaires à faire et à accepter au sein de la fédération.
C’est donc à l’occasion des rencontres du cabinet que se décideront les enjeux fédéraux de l’État. Une fois sortis de ces rencontres, tous les députés du parti au pouvoir, quelles que soient leur opinion personnelle ou celles de leurs commettants, se feront les perroquets du premier ministre. En l’occurrence, et sans égard à ce qu’en pensent une grande majorité des Québécois, le gouvernement Harper a choisi la destruction pure et simple d’une partie des données. Toute la députation conservatrice, y compris celle du Québec, a endossé ce point de vue sans sourciller.
Il est vrai, comme l’a dit la Cour d’appel, que la résolution du conflit au sujet de l’abolition du registre des armes d’épaule est une question politique. Encore faudrait-il que nos institutions politiques permettent la traduction et l’accommodement de la diversité des opinions qui font le Canada d’aujourd’hui. Encore faudrait-il que les institutions fédérales en particulier permettent un débat véritable sur ces questions. Encore faudrait-il que la dynamique unitaire de notre régime parlementaire puisse être réconciliée avec la dynamique centrifuge de notre système fédéral.
Sur l’auteur
Jean Leclair est professeur à la Faculté de droit de l'Université de Montréal.