Opinions

Revue de l’année 2024 en droit du travail – Partie 2

Main image

Lylia Benabid

2025-02-05 11:15:11

Lylia Benabid, l'auteure de cet article. Source: RBD
Lylia Benabid, l'auteure de cet article. Source: RBD
Une avocate propose de revenir sur des décisions qui ont marqué le droit du travail au courant de l’année 2024…

Un syndicat peut-il être dédommagé des conséquences néfastes sur la relation avec ses membres qui ont eu lieu en raison du non-respect de la convention collective par l’employeur?

Dans la décision Association professionnelle des ingénieurs du Gouvernement du Québec inc. (APIGQ) et Gouvernement du Québec (Direction des relations professionnelles et de la négociation du Secrétariat du Conseil du trésor et al., 2024 QCTA 306 (a. Valérie Korozs), il est question d’abus de droit de l’employeur dans la mise en place des obligations négociées dans une convention collective.

Les parties ont convenu que la notion de semaine de travail régulière des ingénieurs du gouvernement passerait de 35 à 37.5 heures par semaine.

Il a été convenu que les salariés en poste pourront alors choisir de passer au nouvel horaire ou conserver l’ancienne formule. Les salariés optant pour la nouvelle formule bénéficieront d’une majoration de leur échelle salariale de 1 %.

Constatant que l’employeur n’a pas respecté ses obligations en termes de majoration des salaires, le syndicat dépose des griefs collectifs. L’employeur finira par honorer ses obligations salariales avec trois mois et demi de retard.

Le Tribunal conclut que l’employeur n’a pas agi de façon prudente et diligente afin de remplir ses obligations. Il y a eu un abus de droit de la part de celui-ci. Effectivement, l’employeur avait pris des engagements sans pour autant s’assurer du réalisme de ceux-ci.

Les enjeux de programmation du système de paie étaient prévisibles et l’estimation du délai de paiement a été faite à l’aveuglette sans prendre en compte la complexité des opérations reliées à la paye à mettre en œuvre dans les circonstances.

Un employeur prudent et diligent aurait essayé d’évaluer les difficultés et l’ampleur du travail de programmation et d’anticiper ces difficultés. Il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas de force majeure (article 1470 du Code civil du Québec), comme le prétend l’employeur.

Les griefs sont accueillis. Le Tribunal ordonne le paiement aux salariés des intérêts et de l’indemnité additionnelle sur les sommes payées en retard.

Le Tribunal constate que la violation de la convention collective par l’Employeur a placé le syndicat dans une position délicate auprès de ses membres. La preuve entendue démontre que l’abus de droit est la cause directe de dommages occasionnés au Syndicat.

L’arbitre conclut que le syndicat a dû porter le fardeau de gérer la saga des systèmes informatiques auprès des salariés concernés, bien qu’évidemment, il n’ait eu aucun contrôle sur la situation.

Le gouvernement s’en est remis au syndicat pour prendre en charge les communications avec les salariés pour les tenir informés de la situation et afin de tenter de réduire les mécontentements. Ces responsabilités incombaient pourtant à l’employeur. Le syndicat a dû combler le vide en consacrant temps et argent.

Les membres se sont sentis floués par la situation et les plaintes ont afflué à l’encontre du syndicat en raison de la violation de la convention collective par l’employeur.

En mai 2023, le syndicat a loué une salle équipée d’outils technologiques pour tenir une assemblée virtuelle avec ses membres, afin de répondre à la demande de plusieurs d’entre eux qui exigeaient des réponses. Son objectif est de rétablir sa crédibilité auprès de ses membres.

Pour les coûts de location de la salle, facture à l’appui, le Syndicat a fait la preuve de dommages matériels qui s’élèvent à 5 024,41 $. Le Tribunal ordonne à l’employeur le remboursement de cette somme.

Quant aux dommages moraux réclamés par le syndicat, ils s’élèvent à 10 000$. L’arbitre juge que cette somme est raisonnable dans les circonstances du dossier.

Les griefs collectifs réclament aussi une somme de 100 $ par ingénieur à titre de dommages moraux. Le Tribunal rejette cependant cette réclamation. Il rappelle que l’existence d’une faute, même pour abus de droit, ne donne pas automatiquement droit à des dommages moraux.

Est-ce que l’arbitre qui a conclu que le CISSS de Laval avait exercé son droit de direction de manière abusive en utilisant les heures supplémentaires obligatoires de façon systématique pour combler les besoins de personnel au service de néonatalogie d’un centre hospitalier a pris une décision raisonnable?

Dans la décision Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval c. Blouin, 2024 QCCS 528 (j.c.s. Bernard Jolin), la Cour supérieure détermine que l’arbitre de griefs a rendu une décision raisonnable en concluant que le Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval (l’employeur) avait exercé son droit de direction de manière abusive en utilisant les heures supplémentaires obligatoires de façon systématique pour combler les besoins de personnel au service de néonatalogie d’un centre hospitalier.

Dans cette affaire, le Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes et infirmières auxiliaires de Laval (SIIIAL-CSQ) avait contesté l’utilisation systématique du temps supplémentaire obligatoire (ci-après, TSO) pour combler les besoins de personnel. D’une part, le syndicat avait plaidé que cette pratique, en raison de son caractère systématique, était déraisonnable et abusive et qu’elle contrevient à la convention collective, ainsi qu’à la Loi sur les normes du travail.

Par ailleurs, l’imposition de temps supplémentaire met en péril la santé, la sécurité et le bien être des membres du syndicat et du public en tant que bénéficiaires des services de santé prodigués dans de telles conditions.

Considérant le silence de la convention collective, l’arbitre a adhéré, en l’espèce, au courant jurisprudentiel qui reconnaît à l’employeur le droit d’imposer du TSO tout en respectant l’ensemble du cadre législatif applicable (art. 59.0.1. de la Loi sur les normes du travail, la Loi sur la santé et la sécurité au travail, les obligations professionnelles des infirmières, leur droit à des conditions de travail justes et raisonnables, etc.) et l’obligation implicite d’exercer son droit de gestion de bonne foi.

Ainsi, au fil du temps, les tribunaux ont reconnu que l’imposition du TSO dans le milieu de la santé pouvait constituer, selon les circonstances, un exercice abusif du droit de gérance.

Selon la preuve soumise, l’arbitre conclut que l’employeur ne fait pas usage du TSO en dernier recours, dans des circonstances ponctuelles et exceptionnelles, mais en fait plutôt un usage habituel et constant depuis au moins trois ans.

Cette pratique est devenue un mode de gestion.

La Cour supérieure conclut que le cadre juridique appliqué par l’arbitre prend appui dans la jurisprudence, que sa décision est tributaire des faits qui lui ont été soumis et que ses conclusions font partie des issues raisonnables.

Le pourvoi en contrôle judiciaire est rejeté et la sentence arbitrale maintenue.

Dans le contexte d’une demande de retrait préventif d’une travailleuse enceinte, lorsqu’un poste est disponible ou l’affectation à d’autres tâches est possible, l’employeur doit-il obligatoirement réaffecter la travailleuse enceinte?

Pas forcément ! Mais l’employeur doit minimalement procéder à l’exercice d’évaluation des possibilités des tâches à affecter à la travailleuse enceinte et motiver son refus, le cas échéant.

Dans l’affaire Ouellet c. Tribunal administratif du Travail, 2024 QCCS 621 (j.c.s. Nancy Bonsaint) (requête pour permission d’appeler accueillie, 2024 QCCA 661), la demanderesse demande à la Cour supérieure le contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal administratif du travail (ci-après, « TAT ») qui déclare irrecevable une plainte qu’elle a déposée auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après, « CNESST ») où elle allègue avoir été l’objet de mesures de représailles ou discriminatoires dans l’exercice de son droit de réaffectation prévu aux articles 40 et 41 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (ci-après, « LSST ») vu le refus de son employeur de l’affecter à d’autres tâches en raison de sa grossesse.

Le 23 décembre 2020, la travailleuse demanderesse, sergente de patrouille pour le service de police de la Ville de Québec, remet à son employeur un certificat médical qui atteste de son état de grossesse et établit que les conditions de son travail comportent des dangers physiques pour elle-même ou pour son enfant à naître.

Le 8 janvier 2021, la demanderesse demande qu’on la réaffecte à des tâches qu’elle serait en mesure d’accomplir et qui ne comportent pas de danger pour elle-même et son enfant à naître.

Le 8 février 2021, la demanderesse reçoit une lettre de la CNESST lui confirmant son admissibilité au programme Pour une maternité sans danger (PSMD). Le 10 février 2021, l’employeur refuse la demande de réaffectation de la demanderesse et précise : « nous gardons la même position que celle établie au CRT » (Comité de relations de travail).

En CRT, l’employeur aurait expliqué, que lorsqu’il réaffecte une travailleuse enceinte, il doit assumer l’entièreté du salaire de deux employés, soit le salaire de la travailleuse affectée et celui de la personne qui remplace la travailleuse à son poste régulier. L’employeur propose alors comme solution que l’affectation de la femme enceinte soit offerte uniquement pour pourvoir des postes vacants et non pour des emplois allégés.

Le même jour, la demanderesse dépose une plainte à la CNESST, en vertu de l’article 227 de la LSST, dans laquelle elle « déclare avoir illégalement été l’objet de représailles ou de mesures discriminatoires », parce qu’elle est enceinte, dans l’exercice d’un droit prévu à l’article 40 de la LSST, en lien avec le retrait préventif.

Le TAT a considéré la plainte de la demanderesse irrecevable, car il est d’avis que cette dernière invoque un droit à la réaffectation que ne prévoit pas la LSST à ses articles 40 et 4.

Ce droit n’étant pas prévu à la LSST, aucune sanction, mesure discriminatoire ou représailles n’ont ainsi découlé de son exercice. La plainte est donc irrecevable.

Après avoir conclu que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, la Cour supérieure tranche en indiquant qu’il est déraisonnable pour le TAT de conclure qu’une travailleuse enceinte bénéficie d’un droit de demander la réaffectation sans que l’employeur n’ait d’obligation de donner suite à cette demande.

L’employeur doit procéder à un exercice qui permet de déterminer si l’affectation demandée par la travailleuse est possible. Il s’agit d’un droit dont bénéficie une travailleuse enceinte. Si l’employeur refuse la demande, il doit motiver ce refus de telle sorte que l’examen de son refus soit possible.

C’est à la suite de cet examen que pourra être tranchée la question à savoir si ce refus fait en sorte que la travailleuse enceinte a fait l’objet d’une mesure discriminatoire, sanction, ou représailles à cause de l’exercice d’un droit prévu à la LSST.

En l’espèce, vu sa conclusion sur l’inexistence d’un droit d’affectation, le TAT ne procède pas à l’analyse des motifs de refus de l’employeur de réaffecter la salariée, pour déterminer si celui-ci peut être assimilé à des « mesures discriminatoires ».

La Cour rappelle de plus que le droit à la réaffectation (lorsque son application chez l’employeur est possible et bien qu’il ne s’agisse pas d’une obligation de résultat pour l’employeur) fut confirmé par la Cour suprême et indique qu’il est également déraisonnable pour le TAT de faire fi de ses enseignements. En effet, la Cour précise que l’arrêt Dionne c. Commission scolaire des Patriotes[1], ne peut être interprété que comme nécessitant une réponse de l’employeur, à la suite d’une demande d’affectation, qu’elle soit négative ou positive.

La Cour supérieure précise au paragraphe 99 : « Que vaut un droit de la travailleuse enceinte de demander d’être réaffectée à des tâches sécuritaires, si ce droit ne donne pas ouverture à une analyse du refus de l’employeur? ».

La Cour accueille donc le pourvoi en contrôle judiciaire, casse la décision du TAT, et retourne le dossier au TAT pour qu’il statue sur la contestation conformément aux faits et au droit.

Un dossier à suivre puisque qu’une requête pour permission d’appeler a été accueillie en mai 2024 (2024 QCCA 661).

Dans le cadre du programme « Pour une maternité sans danger », l’employeur doit-il verser l’équivalent des rappels au travail que les salariées enceintes auraient effectués, si leurs affectations n’avaient pas été modifiées en raison de leur grossesse?

Dans l’affaire Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) c.Côté, 2024 QCCS 1104 (J.C.S. Nicole Tremblay), la Cour supérieure entend une demande de pourvoi en contrôle judiciaire concernant une décision arbitrale rendue par Me Gabriel-M Côté rejetant des griefs déposés par la demanderesse, l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (ci-après, « Alliance »).

L’Alliance conteste par griefs le refus du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Saguenay-Lac-Saint-Jean (ci-après, « CIUSSS »), l’employeur mis en cause, de verser à deux (2) salariées (techniciennes en laboratoires) visées par le programme « Pour une maternité sans danger » l’équivalent des rappels au travail qu’elles auraient effectués, si leurs affectations n’avaient pas été modifiées en raison de leur grossesse (tâches de bureau).

Antérieurement à leur période d’affectation, les plaignantes étaient appelées à effectuer des heures supplémentaires et des rappels au travail. Les plaignantes sont assujetties au service de garde depuis leur embauche. La garde s’effectuait de façon prévisible et récurrente avant les périodes d’affectations respectives des plaignantes. Lors des périodes de garde, les rappels au travail ne sont pas facultatifs.

N’eût été de leur période d’affectation dans le cadre du programme de retrait préventif de la femme enceinte ou qui allaite, les plaignantes auraient pu effectuer des heures supplémentaires et des rappels au travail.

L’Alliance a plaidé, devant l’arbitre, que le refus de rémunérer les salariées pour les rappels au travail qu’elles auraient effectué n’eût été leur grossesse, contrevient à la convention collective, à l’article 43 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (ci-après, « LSST »), ainsi qu’aux articles 10 et 16 de la Charte québécoise.

La Cour conclut que l’arbitre a rendu une décision déraisonnable en rejetant les griefs de l’Alliance. Son analyse de l’article 43 LSST n’est pas motivée de manière intelligible et compréhensible.

Selon la juge de la Cour supérieure, l’arbitre a eu tort d’affirmer que l’arrêt Dionne[2] n’avait pas de pertinence dans le dossier. Cet arrêt établit le cadre et les objectifs de la LSST à l’égard des femmes, dont le principal objectif se veut d’assurer leur protection financière et physique.

De plus, la Cour supérieure pointe une faille dans l’analyse de l’arbitre : sous prétexte que l’article 180 LATMP et l’article 43 LSST ne sont pas rédigés de manière identique, il conclut qu’ils ne peuvent avoir le même sens.

Selon la Cour, en se limitant à recourir à une autre loi pour interpréter l’article 43 LSST ne donne pas plein effet au sens des mots utilisés dans ledit article.

La Cour précise, au paragraphe 80 de la décision, que « l’un des objets poursuivis par le législateur à l’article 43 LSST s’avère de s’assurer que les travailleuses enceintes conservent tous les avantages liés à l’emploi qu’elles occupaient avant leur affectation à d’autres tâches ».

Selon la Cour, l’arbitre ne s’est pas assuré de donner à l’article 43 LSST une interprétation libérale assurant l’accomplissement de son objet.

L’arbitre a également commis une erreur de droit déraisonnable dans l’analyse de la présence d’une situation discriminatoire.

En l’espèce, il existe une distinction entre les salariées plaignantes et les technologues exerçant leurs fonctions régulières. Cette distinction est fondée sur un motif protégé, celui de la grossesse.

La preuve soumise devant l’arbitre démontre que la distinction à l’égard des salariées plaignantes a provoqué un désavantage sur le plan financier. Dans la présente affaire, il y a une moyenne bien définie et admise par chacune des salariées quant aux rappels au travail lors des périodes de garde.

Dans ce contexte, il est déraisonnable de conclure que les salariées ont été privées de sommes importantes sans subir de discrimination.

Le pourvoi en contrôle judiciaire doit donc être accueilli et le dossier est retourné à un nouvel arbitre.

À propos de l’auteure

Lylia Benabid est avocate coordonnatrice de l’information juridique chez RBD. La Barreau 2015 est détentrice d’un baccalauréat en Études internationales et d’un baccalauréat en droit de l’Université de Montréal. Elle complète présentement une maîtrise en droit international de l’Université du Québec à Montréal.

86
Publier un nouveau commentaire
Annuler
Remarque

Votre commentaire doit être approuvé par un modérateur avant d’être affiché.

NETiquette sur les commentaires

Les commentaires sont les bienvenus sur le site. Ils sont validés par la Rédaction avant d’être publiés et exclus s’ils présentent un caractère injurieux, raciste ou diffamatoire. Si malgré cette politique de modération, un commentaire publié sur le site vous dérange, prenez immédiatement contact par courriel (info@droit-inc.com) avec la Rédaction. Si votre demande apparait légitime, le commentaire sera retiré sur le champ. Vous pouvez également utiliser l’espace dédié aux commentaires pour publier, dans les mêmes conditions de validation, un droit de réponse.

Bien à vous,

La Rédaction de Droit-inc.com

PLUS

Articles similaires