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Une ville peut-elle vendre de gré à gré pour moins cher?

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Justin Beeby

2024-08-16 11:15:52

Justin Beeby, l'auteur de cet article. Source : RSS
Justin Beeby, l'auteur de cet article. Source : RSS
Focus sur une décision de la Cour supérieure en matière de droit des assurances…

La ville de Gatineau (« la Ville »), représentée par une équipe d’avocats de RSS, a fait rejeter par la Cour supérieure un recours de 18 550 000 $ dans l’affaire 9318-8548 Québec inc. c. Ville de Gatineau. Le Tribunal conclut que la Ville pouvait vendre un terrain de gré à gré malgré une offre concurrente supérieure.

Faits

La demanderesse allègue que la Ville aurait vendu à des tiers un terrain vacant pour un prix substantiellement moins élevé que celui qu’elle prétend avoir elle-même offert à la Ville.

Elle soutient notamment que la Ville aurait été de mauvaise foi, et aurait induit le représentant de la demanderesse en erreur en lui indiquant que l’immeuble n’était pas à vendre alors que la Ville négociait sa vente avec un tiers. La demanderesse souligne que la Ville l’aurait écartée délibérément en raison de conflits entre son représentant et celle-ci.

Enfin, la demanderesse soutient que si la Ville lui avait vendu l’immeuble en litige, elle aurait construit et opéré une clinique médicale similaire (une « Super clinique ») à celle construite par les promoteurs tiers et aurait généré des revenus de 18 550 000 $, qu’elle réclame à la Ville comme perte de profits.

Décision

Le juge conclut d’emblée que la demanderesse n’a pas l’intérêt juridique suffisant pour poursuivre la Ville en responsabilité civile. Rappelant les principes énoncés par la Cour suprême dans Brunette c. Legault Joly Thiffault, la demanderesse devait démontrer que le préjudice réclamé lui était personnel pour que son action soit recevable. Le juge considère que les gestes posés par le représentant de la demanderesse auprès de la Ville avant la constitution de la compagnie demanderesse ne pouvaient la lier.

Incidemment, les actions reprochées à la Ville ne pouvaient pas lui avoir causé de préjudice puisque l’entité demanderesse n’existait pas à ce moment. De plus, les gestes du représentant de la demanderesse n’ont jamais été ratifiés par celle-ci après sa constitution, comme prévu par l’article 319 C.c.Q. Le tribunal conclut également que la compagnie demanderesse n’avait pas été créée pour les fins de la réalisation du projet de la « Super clinique », mais plutôt pour un autre projet qui l’aurait remplacée suivant les prétendues fausses représentations de la Ville.

La demanderesse n’était pas propriétaire de l’immeuble et ne générait pas les revenus de location de cet autre projet. Elle n’était qu’actionnaire de la compagnie propriétaire. La demanderesse ne s’est donc pas déchargée de son fardeau de preuve de démontrer que la Ville avait commis une faute en vendant l’immeuble en litige de gré à gré à un groupe de médecins promoteurs. La transaction n’était donc pas illégale, puisque la Ville n’a pas contrevenu à ses obligations en vertu de l’art. 28 de la Loi sur les cités et villes, et les dispositions de la Loi sur l’interdiction des subventions municipales en vendant « à titre onéreux ».

Le juge souligne que la Ville n’avait aucune obligation législative de vendre un bien à la « juste valeur marchande » malgré le fait que la Ville ait vendu l’immeuble à un prix inférieur à celui que la demanderesse avait offert.

Le Tribunal considère que la réponse doit plutôt passer par une analyse de tous les éléments de la transaction, dont les avantages plus ou moins directs que peut en retirer la municipalité. En l’espèce, le Tribunal conclut que le prix de vente est presque 4 fois plus élevé que son prix d’acquisition. La décision de vendre à un groupe plutôt qu’un autre était prise dans le but d’accélérer la construction de la Super clinique, au bénéfice de sa population.

De surcroît, la vente à un groupe de promoteurs plutôt qu’à la demanderesse relève d’une décision de politique générale plutôt qu’une décision opérationnelle, bénéficiant ainsi de l’immunité relative de droit public. Cette décision a été prise par les plus hautes instances de la Ville afin de répondre à un manque criant d’accès à des soins de services de santé de première ligne sur son territoire.

La Ville a choisi de miser sur un groupe de médecins promoteurs, qui jouissait de l’appui des autorités publiques de la santé afin de mener ce projet à terme le plus rapidement possible. Le fait de ne pas considérer l’offre du représentant de la demanderesse n’est pas la mise en œuvre opérationnelle de cette décision politique, mais l’effet immédiat de celle-ci.

Partant, la demanderesse devait démontrer que la Ville avait agi de mauvaise foi pour renverser l’immunité relative accordée à cette décision, ce qu’elle n’a pas réussi à faire en l’espèce. Le jugement n’a pas fait l’objet d’un appel.

À propos de l’auteur

Justin Beeby est associé au sein du groupe de droit des assurances du cabinet RSS. Sa pratique porte sur le litige en matière d’assurance, la responsabilité professionnelle et municipale et les actions collectives.

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