Droit du travail : 35 ans de pratique!
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Theodora Navarro
2016-09-01 15:00:00

Droit-inc : Vous êtes Barreau 1981, quels changements avez-vous vus en droit du travail en 35 ans?
Me Bernard Moreau : Au départ, il y a 35 ans, c'était les premiers balbutiements du droit à la compensation, à la sortie de l'emploi. On travaillait avec l’ancien code civil. Les normes du travail sont devenues un recours très puissant. Le code civil a également été revu, et il est plus clair. La jurisprudence au Québec était un peu à la remorque des autres provinces et ce n'est plus le cas. La Charte des droits et libertés vient aussi encadrer le droit du travail.
Et dans votre pratique ?
Les choses sont très différentes. Au début de ma pratique, on vivait dans une société avec un rapport employés-servants/créanciers-dominants. Aujourd’hui, la société de droit a changé le rapport. L’emploi ne se termine pas au simple gré de l’employeur. La grossesse, la maladie, l’égalité de traitement, le harcèlement au travail sont des choses qui sont très réglementées, très définies.
Et justement, on parle beaucoup de harcèlement au travail aujourd’hui, est-ce que ça a changé beaucoup les choses cette réglementation?
Quand la loi sur les normes du travail a défini le harcèlement, le vacuum n’existait plus. On avait peur qu’il y ait soudainement des causes en masse mais ça ne s’est pas réalisé, il n’y a pas eu de torrent de plaintes.
Vous avez rejoint DHC Avocats il y a maintenant quelques mois, qu’est-ce qui a motivé ce changement?
À chaque fois que j’ai changé, c’était en raison de conflits d’intérêts. Je représentais un cadre ou un dirigeant d’entreprise alors que son entreprise était une cliente, existante ou potentielle, de mon cabinet. Ce sont des situations qui arrivent souvent et l’un des deux doit lâcher. Souvent, le cabinet considère que c’est l’avocat qui doit renoncer à son client, dirigeant ou cadre, car il s’agit d’un mandat ponctuel alors que l’entreprise peut devenir une cliente récurrente. Ce sont des situations de blocus. Quand ça commence à arriver trop souvent, ça devient gênant. Avec DHC, il pourrait aussi y avoir de tels conflits, il y en a déjà eu, mais le risque est quand même moindre car il y a un mix de pratiques avec une forte composante de droit municipal.
Le monde des affaires a connu l’avènement de sociétés de plus en plus grandes, est-ce que cela a influé sur votre pratique?
Les problèmes peuvent surgir dans toute entreprise. Certaines entreprises sont plus soucieuses que d’autres de leurs relations d’emploi. Celles-là vont donc susciter moins de litiges que d’autres, et on en retrouve autant dans les grandes entreprises que dans les PME. Mais il ne faut pas oublier que ce sont les individus les joueurs, et pas l’entreprise elle-même. Généralement un employeur ne sait pas quand commence le problème car les individus se découvrent au fil du temps.
Est-ce qu’il faut s’intéresser au droit des affaires pour être bon en droit du travail?

Et vaut-il mieux se spécialiser?
La spécialité c’est une drôle d’affaire. Il y a des domaines dans lesquels on ne peut pas improviser et d’autres où on croit à tort que les gens se spécialisent. Par exemple, ce n’est pas vrai qu’il y a des juristes spécialisés dans les accidents de piscine. Il y en a qui ont eu l’occasion de traiter ce type de dossiers plusieurs fois mais dans les faits, ils sont dans la responsabilité civile. À l’inverse, la responsabilité médicale nécessite généralement de se spécialiser.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui se lance?
Il va falloir qu’il ait un vrai intérêt pour le droit du travail, si c’est le domaine qu’il choisit. Si on est compétent, le client va le sentir, le vis-à-vis aussi. Il faut être ferme, on n’est pas là pour gagner des concours de popularité. J’aime penser que les clients, comme les adversaires, vont respecter voire apprécier un avocat qui offre une représentation compétente, ferme, mais juste. C’est pour moi le triptyque essentiel.