L’avocate qui condamne les terroristes
Jean-Francois Parent
2017-05-31 10:15:00
Elle visite les prisons du Yémen, de l'Arabie Saoudite et du Mali, elle rôde dans les bas-quartiers, elle négocie avec les autorités d'une trentaine de pays pour pouvoir faire son travail sur leur terrain et ainsi entendre des aveux, corroborer des informations, assigner des témoins à comparaître, recueillir des preuves...
Le magazine New Yorker propose un saisissant portrait de la Némésis des terroristes islamistes dans son édition du 15 mai dernier.
Des difficultés de documenter la preuve d'un crime qui s'est produit dans une contrée lointaine il y a quelques années déjà aux tactiques de plaidoiries visant à forcer la main de la défense, la dizaine de pages que le magazine américain consacre à l'une des héroïnes de la lutte au terrorisme international.
Pour l’argent... et l’idéologie
Le genre de défis qu'on lui confie témoigne de son efficacité. Ainsi, elle s'est retrouvée avec le dossier Cheibaini, en 2012. Au moment de l'entrevue avec le journaliste du New Yorker, plus tôt en 2016, elle venait tout juste d'obtenir un verdict contre Cheibaini, nom de guerre du Malien Alhassane Mohammed, un contrebandier célèbre dans le désert du Sahel.
Soupçonné d'avoir tué un diplomate américain au Mali en 2000, il avait été arrêté puis condamné. Mais voilà qu'il s'échappe de prison en 2002 et va offrir ses services à al-Qaïda. Plusieurs attentats et enlèvements plus tard, Zainab Ahmad hérite du dossier, en 2012.
Elle remonte la filière, va au Mali, convainc des jihadistes d'al-Quaïda de tourner leur veste, assigne même une quinzaine de Maliens à venir témoigner à New York, en plein mois de janvier. Il a plaidé coupable à des accusations de complot et en a pris pour 25 ans.
« Il était avec al-Qaïda pour l'argent. Plusieurs sont comme lui; pour l'argent, pas pour l'idéologie », explique la procureure qui, a 38 ans, a passé plus de temps avec des membres d'al-Qaïda que tout autre juriste américain.
Il reste que l'idéologie en anime plusieurs. Ceux-là, il faut les amener à se repentir.
« Les jihadistes sont d'excellents informateurs, qui connaissent tous les rouages d'un réseau. Ils veulent se suicider en perpétrant un attentat, mais voilà plutôt qu'ils risquent 40 ans de prison. Une promesse de clémence et ils sont plus enclins à collaborer. »
Et les informateurs sont la clé du métier : un seul d'entre eux ne peut exposer qu'une infime partie du réseau. Avec les petites cellules autonomes et la structure hyper-décentralisée de al-Qaïda, la nébuleuse est difficile à cerner.
La règle de droit et le terrorisme
Les procès sont relativement faciles, selon l'avocate d'origine pakistanaise. « Ce qui est difficile, c'est de documenter l'acte d'accusation qui tiendra la route devant un Grand Jury. Là, il faut les convaincre de porter des accusations pour des événements qui se sont déroulés il y a un dizaine d'années dans des pays comme le Pakistan, la Somalie ou le Niger. »
L'autre difficulté, pour Ahmad, consiste à prouver par l'exemple que la règle de droit fonctionne pour lutter contre le terrorisme.
Car le public entretient des attentes démesurées face au travail des procureurs fédéraux.
« Quand on met un braqueur de banque derrière les barreaux, les gens ne s'attendent pas à ce qu'on éradique le braquage de banque. Avec le terrorisme, les gens pensent qu'on va l'éliminer. »
Une commande d'autant plus difficile à remplir les causes territoriales sont difficiles à mener. « Si on rate une demande d'extradition, on n'aura probablement jamais une autre chance. »
Le problème Guantanamo
Le portraitiste du New Yorker brosse également le tableau des ratés du droit américain dans sa lutte contre le terrorisme international. Ainsi, une part essentielle de l'effort américain en matière de documentation de la preuve repose sur la coopération avec les capitales occidentales, qui accumulent du renseignement depuis des décennies.
Cependant, la prison de Guantanamo, opérée en contravention du droit international et même de la règle de droit américaine, a longtemps été une épine dans le pied de la justice américaine. « Les services de renseignement de nations alliées refusent de partager leurs informations avec nous tant qu'elles pouvaient servir à condamner un suspect détenu à Guantanamo », explique Zainab Ahmad au journaliste du New Yorker.
C'est depuis que les États-Unis ont rendu la prison moribonde—aucun nouveau détenu n'y est accepté depuis neuf ans—que l'effort américain devient un peu plus facile : les gouvernements qui jugeaient la prison illégale ont recommencé à partager leur renseignement.
Malheureusement, l'arrivée de Donald Trump au pouvoir, avec de nouvelles priorités, remet tout cela en question, déplore Zainab Ahmad. Surtout que la guerre à la drogue et à l'immigration sont dans les cartons pour la nouvelle administration, qui entend rouvrir les vannes et recommencer à utiliser Guantanamo à plein régime.
Et ce, malgré le fait que depuis le 11-septembre, la Commission militaire de Guantanamo n'a obtenu que huit condamnations pour terrorisme international, dont trois ont été cassées en appel. Les cours criminelles fédérales, elles, ont remporté plus de 600 verdicts.