La marijuana : un bon filon pour les avocats?

Agnès Rossignol
2014-12-11 15:00:00

Les deux visionnaires ont exploré l'industrie, identifié les compagnies déjà sur le marché susceptibles de devenir de potentiels clients et se sont construits une clientèle composée d'une variété d'acteurs du secteur, tels que des candidats à l'obtention d'une autorisation de production, des sociétés de chauffage et d'air conditionné et des fabricants d'éclairage à faible consommation d'énergie.
Et il s’agit bien d’une véritable industrie réglementée que crée le Règlement sur l'accès à la marijuana à des fins médicales (MMPR) adopté en juin 2013. Désormais les producteurs autorisés peuvent cultiver à grande échelle du cannabis pour des milliers de Canadiens malades. À condition d’avoir une prescription médicale, ces derniers devront s’en procurer uniquement auprès de ces producteurs accrédités.
Opportunités d’affaire

La nouvelle réglementation semble donc ouvrir la porte à de nouvelles opportunités d’affaires pour les avocats. Pourtant, du côté du Québec, la pratique ne semble pas encore très répandue. La plupart des grands cabinets contactés par Droit-inc ont indiqué ne pas avoir de professionnels spécialisés dans ce genre de dossiers.
Ce que confirme Me Jean-Raphaël Champagne, Barreau 2013, avocat en droit des affaires et réglementaire pharmaceutique chez Fasken Martineau à Québec. « Il y a peu d’avocats dans la province et dans les grandes villes, Toronto ou Vancouver, qui ont des dossiers dans ce domaine », indique-t-il.
Des besoins juridiques

Aujourd'hui, avec la nouvelle réglementation, beaucoup cherchent à se tailler une place dans ce nouveau marché que ce soit des start-up, les compagnies déjà dans le secteur ou celles qui veulent diversifier leurs opérations, comme les industries minières. Elles ont besoin de conseils juridiques afin d’obtenir leur accréditation et donc d'avocats en droit commercial et corporatif.
« Ils doivent aussi posséder une connaissance approfondie du Réglement, du droit pharmaceutique et de la législation sur les stupéfiants », précise Me Champagne.
Pour lui, l'industrie de la marijuana médicale ne représente pas pour le moment un champs de pratique à part entière mais plutôt une « sous-branche » du droit pharmaceutique. « Les interactions entre les producteurs commerciaux, les patients et les professionnels de la santé ressemblent à celles qui existent dans l’industrie pharmaceutique ».
Une spécialisation en devenir ?
Toutefois, la complexité de la matière pourrait conduire certains avocats à se spécialiser. « Compte tenu de la réglementation étoffée, il est difficile de la suivre pour un avocat qui ne pratique pas uniquement dans ce secteur », explique-t-il tout en n’excluant pas l'émergence de besoins juridiques autres quand l’industrie sera plus mature, en matière de publicité auprès des consommateurs par exemple.
Le droit de la propriété intellectuelle peut également intervenir pour les brevets sur les inventions des techniques de consommation. Les deux avocats de Bennett Jones accompagnent aussi des cultivateurs individuels dans l'obtention de licence pour des souches de marijuana traitant de maladies spécifiques, comme la souche Charlotte’s Web qui peut aider à traiter les épilepsies.
Quelques incertitudes
Cette industrie en devenir est aussi en constant mouvement. Son acceptabilité sociale, politique et médicale peut être un défi pour son développement. Le règlement fédéral a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs amendements, le dernier datant du 31 mars dernier.
« La réglementation est soumise aux aléas des changements de positions du gouvernement et des décisions des tribunaux dans les recours judiciaires contestant sa constitutionnalité », souligne Me Champagne. En août dernier la cour d’appel la Colombie-Britannique a d’ailleurs déclaré inconstitutionnel le règlement fédéral, limitant le cannabis thérapeutique à la forme séchée.
L’avocat rappelle aussi l’absence de consensus des médecins sur les bienfaits thérapeutiques de ce produit, toujours considéré comme une drogue et non un médicament.
Il évoque par ailleurs la loi visant à protéger les Canadiens contre les drogues dangereuses (Loi de Vanessa) concernant les sanctions applicables dans l’industrie pharmaceutique. « Si cette législation ne concerne pas le cannabis médical, je suis curieux de voir l’impact qu’elle aura pour ce produit », conclut-il.
Êtes-vous tentés de développer un nouveau domaine de pratique ?