La dépendance au sexe n’est pas un handicap
Philippe Bélisle Et Marjolaine Lessard-jean
2019-08-13 11:15:00
Qu’en est-il?
Dans cette affaire, les faits à l’origine du congédiement du travailleur étaient assez particuliers : ce dernier avait en effet la fâcheuse habitude de se masturber bruyamment dans une cabine des toilettes de son lieu de travail.
Une première intervention du superviseur, suite à la réception de plusieurs plaintes d’autres employés, n’a pas porté fruit puisque le plaignant est retombé dans ses vieilles habitudes peu de temps après.
D’une seconde vague de plaintes a découlé le congédiement. Aucun motif médical n’a alors été invoqué par le plaignant, qui prétendait au passage que ce qu’il faisait dans la toilette ne regardait que lui.
Ce n’est qu’une fois devant l’arbitre de grief que la dépendance au sexe a été invoquée pour expliquer son comportement, soumettant du même coup que l’employeur avait l’obligation de l’accommoder. Or, l’arbitre n’a pas hésité à rejeter cette prétention, concluant qu’il y avait absence de preuve qu’une telle dépendance était reconnue comme une maladie dans la littérature scientifique et que le témoin prétendument expert de la partie syndicale n’avait pas la crédibilité nécessaire pour s’exprimer avec autorité sur la question. Il a terminé en indiquant que, même s’il en avait été autrement, rien en l’espèce ne démontrait que cette habitude du plaignant avait eu un quelconque impact sur sa capacité à se présenter au travail de façon régulière, à effectuer son travail normalement ou à être un employé productif. Dès lors, même s’il avait été démontré que le plaignant souffrait effectivement d’une dépendance au sexe, une telle réalité n’aurait pas déclenché l’obligation d’accommodement de l’employeur. Ainsi, le grief a été rejeté.
Ce qu’il faut retenir
Dans les dernières années au Québec, les décisions portant sur des comportements inappropriés de nature sexuelle en milieu de travail concernaient généralement, outre les cas de harcèlement sexuel, la consommation de matériel pornographique durant les heures de travail à l’aide des outils informatiques fournis par l’employeur.
Le caractère évidemment inacceptable de ce type de comportement, en plus du vol de temps qui en résulte, sont bien souvent suffisants pour justifier une mesure disciplinaire sévère pouvant aller jusqu’au congédiement.
Même si les faits en l’espèce peuvent sembler farfelus, la décision n’en est pas moins pertinente en ce qu’elle nous rappelle que la dépendance au sexe sous toutes ses formes (masturbation, consommation de pornographie, etc.) n’est pas reconnue comme une maladie ou un handicap.
Développements à court ou moyen terme?
Il n’est pas impossible d’imaginer qu’en présence d’une preuve scientifique étoffée, appuyée par des témoignages d’experts crédibles qui concluent qu’un travailleur souffre effectivement d’une telle dépendance, un décideur puisse en arriver à la conclusion qu’il s’agit d’une défense possible. Or, pour qu’un employeur soit tenu d’accommoder un employé en raison de cette dépendance, encore faudrait-il que celle‑ci l’empêche réellement de fournir sa prestation de travail.
Dans l’attente d’un tel revirement, les employeurs québécois peuvent se réconforter à l’idée que les comportements inappropriés de nature sexuelle n’ont pas leur place dans un milieu de travail et que des mesures disciplinaires sévères, allant jusqu’au congédiement, sont tout à fait légitimes en la matière.
Sur les auteurs
Philippe Bélisle, CRHA, est avocat au sein du groupe de droit du travail et de l’emploi chez Langlois avocats à Montréal.
Marjolaine Lessard-Jean est avocate au bureau de Langlois avocats à Montréal et concentre sa pratique principalement dans le domaine du droit du travail et de l’emploi.