Séance ciné: Almodovar, toujours aussi trash ?

Céline Gobert
2013-07-19 17:00:00

Dans la classe affaires de son 747 qui ne peut atterrir, se croisent de drôles de personnages- décalés, un peu trash : une voyante encore vierge (Lola Dueñas), un quarantenaire coureur de jupons, un homme d’affaires déchu, une escort dominatrice (Cecilia Roth), des pilotes bisexuels, des stewards gays.
La classe éco, quant à elle, dort, droguée. Une métaphore parmi d’autres pour signifier l’Espagne d’aujourd’hui : on a endormi le peuple, pendant que l’élite se défonce à la mescaline et trouve dans la réalisation de ses fantasmes (sexuels) matière à justifier son existence. C’est un microcosme social qu’exp(l)ose le cinéaste espagnol ici, régi par les trois piliers du monde moderne : l’argent, le sexe, et le pouvoir.
L’avion, contraint de tourner en boucle dans l’espace aérien attendant désespéramment une piste d’atterrissage, est un symbole : celui d’une société dans l’impasse, toute proche d’un crash général ; idée que viennent confirmer les gros titres des journaux que lisent les passagers. Un monde complètement désaxé, errant sans but, où les êtres sont gangrenés par le mensonge, la dissimulation, les désirs inavoués. Tous pris dans les filets de la crise.
Dans le fond, on a affaire à un Almodóvar cynique. Son regard sur son pays est sans concession : un espace de femmes-objets (cf. le couple marié), où les pauvres dorment, et où seuls les riches ont encore l’espoir de jouir des plaisirs de l’existence. La preuve ultime : ces longs travellings sur un aéroport vidé de toute trace d’humanité. A l’arrivée, il n’y a donc plus que des fauteuils abandonnés, des couloirs fantômes. Le vol vers le soleil de Mexico n’était qu’une promesse non tenue, et se révèle aller-simple vers la vacuité la plus totale. Pas si drôle.
Farce queer
Pourtant, si le sous-texte dissimule une vraie noirceur, la forme, elle, prend des allures de grande farce queer, vulgaire et constamment branchée sous la ceinture. Avec son trio de stewarts 100% gay, Almodóvar s’en donne à cœur joie : déluge orgiaque de vulgarités, politiquement incorrect, et grand n’importe quoi libertin.

Pour autant, quoique chargé de sens, le ''revival'' comique du cinéaste, époque ''Talons Aiguilles'' et autres ''Attache-moi !'', a en commun avec le monde qu’il décrit un certain assèchement, du lourdingue puissance mille plein les valises qui pourrait lui valoir la perte d’une moitié de son auditoire. Car si (presque) tout le monde s’envoie en l’air, l’intrigue tricotée par Almodóvar, elle, demeure clouée au sol, plombée par une trivialité de mots peu délicate..
Du mauvais goût (à ne pas confondre avec une liberté épicurienne et libératrice) ''in fine'' à l’image de l’allégorie mise en place, elle aussi criarde et amenée sans trop de subtilité. Ces dernières années, Almodóvar nous avait habitué à moins de bouffonnerie et à davantage de raffinement vicié. Vivement qu’on le retrouve.