Entrevues

L’émotion, le carburant de certains avocats!

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Elyse L. Perreault

2018-12-13 15:00:00

Ils se donnent corps et âme pour défendre des causes où ce n’est ni l’argent, ni la durée d’une sentence qui comptent.
L'ex-juge John Howard Gomery et Me Patrick Martin-Ménard.
L'ex-juge John Howard Gomery et Me Patrick Martin-Ménard.
Peu importe la branche du droit dans laquelle ils exercent, tous les juristes sont appelés à composer avec les émotions de leurs clients qui vivent du stress face aux litiges.

Pour certains, cela fait partie d’une des multiples facettes de leur travail. Pour d’autres, il s’agit du carburant qui les pousse à se battre.

Droit-Inc a voulu mieux comprendre d’où vient la vocation des avocats qui se donnent corps et âme pour défendre des causes où ce n’est ni l’argent, ni la durée d’une sentence qui est au coeur du litige, mais bien l’être humain lui-même, avec la montagne russe d’émotions que cela implique.

Nager à contre-courant

À l’âge de 86 ans, l’ex-juge John Howard Gomery est fier de pouvoir dire qu’il a contribué à la révolution du droit familial au Québec. Son parcours en aura fait jaser plus d’un, mais ce pionnier d’une branche du droit particulièrement chargée en émotion ne regrette rien de son choix.

« J’ai vite su que les causes qui impliquent directement l’humain seraient ma priorité. »

Avant de finir ses 25 ans de sa carrière en tant que juge à la Cour supérieure du Québec, le magistrat, retraité depuis 2007, a évidemment exercé comme avocat et ce, pendant 25 ans.

En 1956, après avoir complété son stage du Barreau chez Fasken, mieux connu sous le nom de Martineau Walker Allison à ses débuts, le jeune avocat s’est joint à l’énorme cabinet que l’on connaît aujourd’hui, mais qui comptait seulement dix avocats à l’époque. Assez rapidement, il s’y est associé.

Celui dont le nom s’est fait connaître dans le cadre du Scandale des commandites de 1997 à 2003 s’est ensuite entêté à consacrer 50 % de sa pratique au droit familial, créneau qui se distingue complètement du droit des affaires pour lequel son cabinet était réputé.

« J’ai développé ma pratique un peu contre le gré de mes associés », dit-il en riant.

Avalanche de dossiers

L’octogénaire explique qu’alors qu’il débutait sa carrière en droit, de nombreux mariages n’avaient pas survécu à la Seconde guerre mondiale.

L'ex-juge a du faire face à une crise matrimoniale après la Seconde guerre mondiale.
L'ex-juge a du faire face à une crise matrimoniale après la Seconde guerre mondiale.
À l’époque, seul le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pouvait intervenir dans ce genre de dossier selon une procédure mal adaptée à cette nouvelle réalité. En tant que militaire de régiment, son mentor, Me Robert Walker, lui avait demandé d’intervenir afin de défendre les intérêts de ses confrères de l’armée qui traversaient cette véritable crise matrimoniale.

Dès l’adoption de la Loi sur le divorce sous le joug de Pierre-Elliott Trudeau en 1969, l’ancien juge dit qu’il avait littéralement reçu « une avalanche de dossiers »!

« J’étais un des rares avocats qui acceptaient ce genre de cas. Plus ça allait, plus je peaufinais ma pratique et plus ça me passionnait! »

Une journée qui a tout changé

Le juriste raconte à Droit-Inc le moment clé où il a su qu’il ne pourrait jamais renoncer au droit familial, peu importe ce que ses pairs en pensaient.

« Je me rappelle de cette journée où j’avais été informé de deux grandes victoires, dit il. L’une concernait un litige entre deux compagnies pétrolières où une grosse somme d’argent était en jeu. En annonçant la nouvelle de sa victoire à mon client, il m’avait remercié de façon sincère, puis nous avions raccroché. »

Le deuxième appel était quelque peu différent.

« J’avais ensuite contacté une mère pour lui annoncer qu’elle venait d’obtenir la garde exclusive de son enfant. Elle avait littéralement éclaté en sanglots! », confie-t-il, la voix encore remplie d’émotion.

Dès lors, il indique que malgré la charge émotive qu’il a dû apprendre à absorber lors de nombreux cas déchirants, il s’est fait un devoir de défendre le droit des individus, des familles et des émotions en général.

« J’ai appris à me distancier de mes émotions, sans devenir insensible pour autant », dit celui qui a longtemps légiféré en droit familial et dont l’épouse, l’Honorable Pierrette Rayle, a repris la pratique dans cette branche lorsqu’il a fait le grand saut pour aller siéger au tribunal.

« C’est une chose de trancher quand on parle d’argent. C’est une toute autre chose quand on parle d’humains et de familles brisées, ajoute-t-il. C’est difficile, mais tellement vrai, profond et gratifiant! »

Une bataille difficile émotionnellement

« La différence dans ma branche? C’est que l’humain est au cœur du litige, lance pour sa part Patrick Martin-Ménard, de chez Ménard Martin Avocats. En fait, le litige fait littéralement partie du client! »

Reçu au Barreau l’an dernier, l’avocat s’est dirigé vers la responsabilité médicale et la responsabilité professionnelle.

« J’aime avoir à faire directement avec le côté humain du droit », dit-il, ajoutant apprécier le défi émotionnel et financier que représente la défense de sa clientèle.

Me Martin-Ménard travaille quotidiennement avec des individus vulnérables dont il tente de faire valoir les droits.
Me Martin-Ménard travaille quotidiennement avec des individus vulnérables dont il tente de faire valoir les droits.
« La plupart des dossiers relèvent de l’aide juridique, précise-t-il. Ils sont mal rémunérés, mais mon cabinet les accepte par conviction, sans égard aux moyens financiers ou au spectre social de la clientèle, car nous croyons fermement que tout le monde a le droit d’être traité de manière équitable ».

Me Martin-Ménard travaille quotidiennement avec des individus vulnérables dont il tente de faire valoir les droits. Concrètement, il prend en charge plusieurs dossiers de garde en établissement et d’ordonnance de soins. On parle ici de cas aux prises avec des problématiques de santé mentale, un sujet qui, lorsqu’il n’est pas tabou, a tendance à être stigmatisé.

« Quand j’ai commencé ma pratique il y a deux ans, j’avais tendance à me mettre à la place du client et je trouvais que la façon dont plusieurs étaient traités par le système de santé était particulièrement fâchante… »

Canaliser ses émotions négatives

Le jeune juriste indique qu’il a rapidement dû apprendre à canaliser ses émotions négatives face à un jugement avec lequel il n’était pas en accord pour les transformer en moteur qui le motive à se battre encore plus fort pour les clients dont les droits ont été lésés.

« Je retourne chercher les bobines d’enregistrement pour vérifier s’il existe des motifs d’appel. Ensuite, je réconforte mon client, je l’assure qu’on va se battre ensemble et j’envoie une requête au TAQ (Tribunal administratif du Québec) pour l’aviser que nous souhaitons obtenir une révision de la décision rendue.

L’avocat se dit conscient qu’il ne travaille pas avec la clientèle la plus facile du droit, mais il souligne apprécier ses clients et ne jamais avoir eu l’impression que sa sécurité était compromise.

« Honnêtement, quand je rencontre mes clients, je vois souvent des gens comme vous et moi. Le problème, c’est que dès qu’ils sont étiquetés en tant que cas de santé mentale, tout ce qu’ils disent ou font est perçu à travers le spectre de la maladie mentale… »

Me Martin-Ménard explique que la présomption d’innocence ne semble pas exister dans ses dossiers. « D’emblée, si mes clients se retrouvent en psychiatrie, c’est parce qu’ils sont malades et doivent être médicamentés ».

En psychiatrie, les mêmes gestes vont automatiquement être associés à des signes d’agressivité, note-t-il. Pourtant, il a déjà lui-même claqué une porte ou monté le ton alors qu’il était fâché, ce qu’il croit totalement humain.

Frustration

Ce qu’il trouve le plus difficile à gérer émotionnellement? La frustration liée à l’étiquette trop vite apposée à ses clients.

« Dès que les policiers les amènent contre leur gré à l’hôpital, les personnes sous garde aboutissent en psychiatrie où elles rencontrent un psychiatre pendant à peine dix minutes, après quoi le psychiatre produit un rapport qui établit un diagnostic qui risque de lui coller à la peau toute sa vie et l’envoie au juge », déplore-t-il.

Peu de gens le savent, mais ces personnes doivent être rencontrées dans les trois jours suivant leur garde forcée. Généralement, elles apprennent la veille qu’elles seront amenées devant un juge le lendemain, alors elles deviennent particulièrement stressées et doivent se trouver un avocat sur-le-champ… », expose Me Martin-Ménard à Droit-Inc.

Il explique que son cabinet a mis sur pied un système téléphonique de garde pour que les dossiers soient étudiés dès leur réception, soit parfois en plein milieu de la nuit.

« Nous voyons l’être humain derrière la cause et c’est ce qui renforce nos convictions » conclut-il.
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