J'adore Paris! Prise 2

Isabelle Laflèche
2013-04-05 14:15:00

« Tu as des bureaux magnifiques », dit Rikash en balayant du regard la salle de réunion dépouillée, de style moderniste. « Ils te ressemblent beaucoup. » Je sais qu’il est tout simplement poli : le blanc, le chrome et le tapis à poil long ne sont pas son style.
Elle accepte le compliment avec grâce.
« Merci, Rikash. C’est très gentil de ta part. J’ai beaucoup travaillé pour que ça ait de la gueule. Je suis contente que tu aimes. » Elle renvoie ses cheveux vers l’arrière en s’assoyant. « C’est bon de vous voir tous les deux ici, même si vous n’êtes pas dans la bonne équipe. Ce qui est dommage pour Dior. »
Je m’aperçois que nous aurons peut-être une tâche pénible devant nous. Bonnie et Harry sont des poids lourds. Il n’était pas facile de travailler avec Bonnie, mais c’est une pointure du droit commercial, et Harry, un ex-militaire, est un plaideur formidable avec l’attitude de celui qui ne fait pas de quartier : il aime gagner chaque fois.
« Oui, nous avons eu la surprise de découvrir que vous êtes de l’autre côté. Ce sera un vrai défi », dis-je en m’efforçant d’avoir le visage impassible.
« Que le meilleur client gagne », ajoute Harry en rentrant dans la pièce, tenant une pile de dossiers d’une main et une tasse de café de l’autre. Il en a déjà répandu quelques gouttes sur sa chemise. Bonnie secoue la tête d’un air dégoûté.

Je hoche la tête, attendant qu’il continue, mais il n’y a que le silence.
N’y tenant plus, je lui lance la question qu’il attend.
« Que voulez-vous dire ? »
« Écoute, ma puce, eShop ne va pas se laisser faire. C’est la plus grande maison d’enchères du monde. On n’aura pas de mal à faire valoir que cette poursuite, c’est un geste d’intimidation de votre compagnie afin d’acquérir toujours plus de contrôle sur les canaux de distribution, aux dépens des honnêtes gens. Ce n’est pas dans l’intérêt de l’une ou l’autre partie de laisser cette poursuite prendre des proportions démesurées. » Il finit son café d’un trait.
J’encaisse ce qu’il vient de dire. Malgré son apparence grossière et ses manières vulgaires, Harry est un petit malin, et il essaie clairement de m’amener à convaincre Sandrine de régler l’affaire à l’amiable. Mais d’après le briefing qu’elle nous a servi, il n’en est pas question.
« Je comprends votre position, maître Traum, dis-je lentement, mais Dior ne reculera pas. On ne peut pas laisser des vendeurs de contrefaçons continuer à inonder le marché. Nous n’allons pas résoudre cela hors cour, à moins que votre client soit prêt à signer un gros chèque. »
Bonnie affiche un petit sourire affecté, puis envoie un coup de pied à la jambe de Harry sous la table, tandis que Rikash regarde dans ma direction avec un air qui me dit qu’il croit aussi que nous avons fait un pas dans la bonne direction. J’avoue ressentir une certaine satisfaction ; pour la première fois dans notre relation professionnelle, j’ai la main haute.
« D’accord, comme tu voudras, mais ne venez pas pleurer devant ce bon vieux Harry quand on ira en appel sur la décision du magistrat français et que ça vous coûtera la peau des fesses en frais juridiques. »
En écoutant son baratin, je m’imagine en train de tirer sur l’une de ses bretelles et la laisser claquer sur son gros ventre. J’avoue que ce n’est pas la première fois que me vient cette pensée. « Bien sûr que non. Nous ne sommes pas à l’école primaire, maître Traum ; il faut savoir assumer la conséquence de ses actes. »
Les périls de la mode, entre le chic et le toc
Isabelle Laflèche
Traduit de l’anglais par Caroline LaRue et Michel Saint-Germain
En librairie le 10 avril
Disponible en version numérique dès le 26 mars
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