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KPMG, des juges et des cocktails

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Radio -Canada

2017-03-06 10:15:00

Les grands cabinets d’avocats commanditent des réceptions et des juges y assistent. Y a-t-il un risque d’apparence de conflit d’intérêts?
Le juge Denis Pelletier de la Cour d'appel fédérale
Le juge Denis Pelletier de la Cour d'appel fédérale
L’automne dernier, des experts en fiscalité du monde entier ont mis le cap sur Madrid pour la conférence de l’Association de fiscalité internationale. Elle attire des comptables, des avocats, des professeurs et des fonctionnaires qui discutent de jour des enjeux fiscaux à l’échelle de la planète.

Le soir, c’est la fête. Le congrès, dont KPMG est l’un des principaux commanditaires, a organisé des soirées dans les hauts lieux de la capitale espagnole. Même le somptueux musée du Prado a été réservé pour une soirée culturelle.

Lors de cette soirée, nous avons aperçu un des participants canadiens : le juge Denis Pelletier de la Cour d’appel fédérale. Son tribunal entend les causes de la Cour canadienne de l’impôt portées en appel.

Questionnée quant à la présence du juge à un tel événement, sa porte-parole nous a d’abord affirmé qu’il n’avait assisté à aucune de ces soirées, y compris celle au Prado, car son épouse était trop indisposée pour sortir.

Nous l’avons pourtant bien vu accompagné de son épouse lors de cette soirée et lors d’une autre soirée.

Après avoir révélé au juge Pelletier que nous avions tourné des images, sa porte-parole a admis qu’il était présent et que tout ça n’était qu’une erreur de communication.

Soirées promotionnelles

Randall Bocock de la Cour canadienne de l’impôt
Randall Bocock de la Cour canadienne de l’impôt
Deux jours plus tard, un cocktail était organisé par le cabinet d’avocat Dentons à l’intention des participants du congrès. La soirée se déroulait sur l’une des terrasses les plus exclusives de Madrid, The Roof.

« On n’organise pas des grandes soirées juste pour le plaisir. Habituellement, c’est pour des outils de marketing, faire la promotion de son cabinet », explique Marwah Rizqy, professeure de droit fiscal à l’Université de Sherbrooke, qui a elle-même participé au congrès, mais pas au cocktail.

En 1999, le cabinet Dentons, anciennement Fraser Milner, a fourni à KPMG un avis juridique pour valider son stratagème de l’île de Man.

Parmi les participants qui ont assisté à la soirée de Dentons, nous avons aperçu un autre juge canadien : Randall Bocock de la Cour canadienne de l’impôt.

M. Bocock est le juge de gestion de la cause concernant le stratagème de KPMG et la famille Cooper de Victoria. Les autorités fiscales leur ont imposé 6 millions de dollars en pénalités pour avoir utilisé le stratagème de KPMG à l’île de Man. Les Cooper en appellent devant la Cour canadienne de l’impôt.

« Lorsque vous savez qu'il y a un dossier qui est en cour, vous devez éviter absolument de vous placer dans une situation où la confiance du public pourrait être sapée », dit Marwah Rizqy.

André Lareau, professeur en fiscalité à l’Université Laval, est d’accord avec sa collègue. « Même si on peut croire que le juge n’a eu aucune conversation dans ce cocktail [...], il ne doit pas se placer dans une situation où il risque d’être soumis à une influence ou même à une apparence d’influence », dit-il.

Le professeur Lareau estime d’ailleurs que le juge en chef de la Cour de l’impôt, Eugene Rossiter, devrait rappeler ses juges à l’ordre.

De la pizza, du vin... et des juges

Eugene Rossiter, juge en chef de la Cour de l’impôt
Eugene Rossiter, juge en chef de la Cour de l’impôt
Le juge en chef n’est cependant pas du même avis. Par courriel, le juge Rossiter répond que « le juge Bocock ne s’est pas placé en situation de conflit d’intérêts en assistant brièvement à une réception ouverte à tous les participants de la conférence ».

Lors d’une conférence sur la fiscalité à Calgary en novembre dernier, loin de condamner la pratique, le juge en chef l’a même encouragée. Il a dit qu’il allait lui-même continuer à assister à des réceptions.

« Nous mangerons de la pizza. Nous boirons du vin et nous en boirons beaucoup », a-t-il dit, suivi d’applaudissements.

Ce genre de comportement ne mérite aucun applaudissement, selon Marwah Rizqy. « C'est troublant les paroles qui ont été prononcées par ce juge, je pense que le Conseil de la magistrature devrait se pencher sur cette question. »

Nous avons fait part des propos du juge Rossiter au Conseil canadien de la magistrature.

« On s’attend à ce que les juges en chef soient encore plus réservés dans les propos qu’ils tiennent. Tous les juges ont un devoir de réserve, mais particulièrement les juges en chef », a répondu Johanna Laporte, porte-parole du Conseil de la magistrature.
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