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Incitation implicite à la contrefaçon de brevet

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Alain Y. Dussault

2024-01-18 11:15:27

Alain Y. Dussault, l'auteur de cet article.

Peut-on violer un brevet même si l’on ne fabrique ni n’assemble le produit breveté et que l’on n’utilise pas l’invention?

Effectivement, il est possible d’être en contravention d’un brevet même si l’on ne fabrique ni n’assemble le produit breveté et que l’on n’utilise pas l’invention. Il s’agit de la théorie d’incitation à la contrefaçon. Évidemment, les actes d’« incitation » sont soumis à certaines conditions avant de conclure à une contrefaçon indirecte. Ces conditions ont récemment été précisées par la Cour d’appel fédérale.

Qu’est-ce que l’incitation à la contrefaçon et le test applicable?

À titre d’exemple, si l’invention brevetée est une solution contenant les éléments A, B et C à boire, et si l’élément C est de l’eau, il est probable que si je vends au consommateur les éléments A et B en lui disant d’ajouter une certaine quantité d’eau, de bien mélanger et de boire, je l’incite à contrefaire ce brevet.

Afin de déterminer s’il y a incitation à la contrefaçon, les cours appliquent un test en trois parties :

Premièrement, l’acte de contrefaçon doit avoir été réalisé par le contrefacteur lui-même. Dans l’exemple précédent, il s’agit du consommateur. On comprend qu’il ne peut y avoir incitation à la contrefaçon s’il n’y a pas eu de contrefaçon directe.

Deuxièmement, l’exécution de l’acte de contrefaçon doit avoir été influencée par les actions du présumé incitateur, de sorte que, sans cette influence, la contrefaçon directe n’aurait pas eu lieu (par exemple, en lui vendant le matériel et en lui fournissant des instructions).

Troisièmement, il est nécessaire que l’influence ait été exercée sciemment par le présumé incitateur, c’est-à-dire que le vendeur doit être conscient que son influence entraînera l’exécution de l’acte de contrefaçon.

La cause en Cour fédérale

Maintenant, revenons à la décision de la Cour d’appel. Dans cette affaire, Janssen poursuivait Apotex pour incitation à la contrefaçon d’un brevet. À noter que le brevet qui portait sur le médicament était expiré. Cependant, Janssen prétendait qu’Apotex inciterait les médecins à prescrire ce médicament en combinaison avec un inhibiteur particulier pour traiter une maladie rare appelée hypertension artérielle pulmonaire (« HTAP »). Le brevet de Janssen porte donc sur la combinaison du médicament et de l’inhibiteur particulier pour le traitement de l’HTAP.

Apotex n’aurait vendu que le médicament, sans inclure l’inhibiteur ni la combinaison, si son médicament avait été autorisé par Santé Canada. Nulle part dans la monographie du médicament il n’est suggéré d’utiliser le médicament avec l’inhibiteur particulier. Cependant, le médicament était prescrit pour traiter l’HTAP.

Les parties ont convenu que le premier volet du test était satisfait, c’est-à-dire que le médicament serait vraisemblablement prescrit avec l’inhibiteur particulier pour traiter l’HTAP. La question portait davantage sur les volets 2 et 3, est-ce qu’Apotex peut inciter à la contrefaçon alors qu’il n’y a aucune suggestion dans la monographie du médicament?

La Cour fédérale a conclu que le deuxième et le troisième volets du test de l’incitation à la contrefaçon étaient satisfaits. La Cour a jugé que la monographie du médicament exercerait une influence suffisante sur les médecins pour qu’ils prescrivent le médicament en combinaison avec l’inhibiteur, et qu’Apotex était conscient que la mise sur le marché du médicament combiné à la monographie inciterait les médecins à le prescrire avec cet inhibiteur.

Ce raisonnement repose principalement sur une étude citée dans la monographie et qui démontre que le médicament, qu’il soit prescrit seul ou avec l’inhibiteur, était sûr et efficace.

La décision de la Cour d’appel fédérale

La Cour d’appel a confirmé la décision de la Cour fédérale et a ajouté que l’influence n’a pas besoin d’être explicite. Ainsi, la Cour a affirmé qu’une absence d’instruction explicite et d'intention de provoquer une contrefaçon directe ne signifie pas nécessairement une absence d'influence suffisante pour satisfaire au deuxième volet du test.

Par conséquent, bien que l’instruction explicite et l’intention puissent être pertinentes pour évaluer l’influence, elles ne sont requises.

La Cour d’appel a déclaré : « Même en l’absence de référence explicite à un traitement combiné, la Cour fédérale était en droit de conclure que la monographie du produit Apo-Macitentan influencerait l’utilisation du macitentan de cette manière. »

Concernant le troisième volet, la Cour d’appel rappelle que l’incitateur doit être conscient que ses actions ou son influence conduiront une autre partie à s’engager dans des activités spécifiques, sans qu’il soit nécessaire de prouver qu’il sait que ces activités constitueront une contrefaçon du brevet.

La Cour d’appel maintient la conclusion selon laquelle, dans les circonstances, Apotex savait ou aurait dû savoir que la monographie de son médicament inciterait les médecins à le prescrire en combinaison avec l’inhibiteur pour traiter l’HTAP.

Conclusion

Ainsi, une influence implicite peut conduire à des conclusions de contrefaçon de brevet lorsque l’influenceur aurait dû être conscient des conséquences de ses actes. Cette décision confirme que les tribunaux canadiens disposent d’un outil juridique flexible pour protéger les inventions.

À propos de l’auteur

Alain Y. Dussault est associé, avocat et agent de marques de commerce au sein du groupe de propriété intellectuelle de Lavery. Il pratique principalement en litige de propriété intellectuelle et possède une grande expérience tant en litige de brevets, qu’en marques de commerce, en droits d’auteur ou en dessins industriels.

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