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L’employeur ne peut pas déduire les indemnités d’invalidité de l’assureur d’une indemnité de fin d’emploi

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Marjolaine Lessard-Jean Et Thomas Stelmazuk-Côté

2023-01-16 11:15:00

Focus sur une récente décision de la Cour d’appel du Québec concernant les prestations d’invalidité reçues par un employé…
Mes Marjolaine Lessard-Jean et Thomas Stelmazuk-Côté, les auteurs de cet article. Source: Langlois
Mes Marjolaine Lessard-Jean et Thomas Stelmazuk-Côté, les auteurs de cet article. Source: Langlois
Le 1er septembre 2022, la Cour d’appel du Québec a rendu un arrêt important dans l’affaire Caisse populaire Desjardins de Saint-Raymond–Sainte-Catherine c. Girard.

Dans un jugement unanime, la Cour a conclu que les prestations d’invalidité reçues par un employé et versées par un assureur ne peuvent pas être déduites de l’indemnité tenant lieu de délai de congé, et ce, sans égard au fait que l’employeur paie, en tout ou en partie, le coût des primes d’assurance.

Contexte

L’employée débute un emploi de gestionnaire à la Caisse populaire de Saint-Raymond–Sainte-Catherine (la « Caisse ») en avril 2013. Le 17 avril 2014, en raison d’une situation qui est attribuée à son style de gestion autoritaire, elle est renvoyée chez elle sur-le-champ pour réfléchir à une proposition de modalités pour encadrer son départ.

Elle sombre alors dans une grave dépression et reçoit des prestations d’invalidité prévues par son régime d’assurance collective du 22 avril 2014 au 22 août 2016. Entre-temps, le 16 février 2015, elle est informée que la Caisse met fin à son emploi. Elle compte alors plus de 30 années d’ancienneté au sein du Mouvement Desjardins, dont 20 à titre de gestionnaire.

En première instance, le juge donne droit en partie aux réclamations de l’employée. Il condamne notamment la Caisse à lui payer un délai de congé de 24 mois, mais déduit de cette indemnité la proportion des prestations d’invalidité reçues par l’employée pendant le délai de congé qui ont été financées par la Caisse.

En se fondant notamment sur un arrêt de la Cour suprême du Canada, il conclut que lorsque l’employeur contribue au régime d’assurance collective dans une certaine proportion, il convient de déduire de l’indemnité de fin d’emploi le montant des prestations reçues par l’employé, en proportion de la contribution de l’employeur.

L’arrêt

Cet arrêt est surtout important quant à savoir si les prestations d’invalidité reçues par l’employée auraient dû être déduites de l’indemnité de délai de congé. Qu’il suffise de noter que la plupart des motifs d’appel des deux parties sont rejetés.

Sur la question de la déduction des prestations d’invalidité, la Cour d’appel souligne d’abord que le débat concerne l’application de l’article 1608 C.c.Q., lequel stipule que « (l)’obligation du débiteur de payer des dommages-intérêts au créancier n’est ni atténuée ni modifiée par le fait que le créancier reçoive une prestation d’un tiers, par suite du préjudice qu’il a subi, sauf dans la mesure où le tiers est subrogé aux droits du créancier ».

Au terme de son analyse, elle conclut que l’article 1608 C.c.Q. doit s’appliquer « chaque fois qu’un salarié reçoit des prestations d’invalidité d’un assureur, indépendamment du fait que l’employeur paie, en tout ou en partie, le coût des primes d’assurance » et qu’une conclusion contraire aurait pour effet de transformer l’assurance invalidité au bénéfice de l’employé en une sorte d’assurance « qui garantirait l’employeur contre les conséquences pécuniaires de son obligation de donner un délai de congé raisonnable ».

Or, affirme la Cour, l’intention du législateur est précisément de ne pas décharger l’employeur de son obligation de réparer le préjudice subi par l’employé lorsque le congédiement est fait sans motif sérieux et que le délai de congé est insuffisant.

Par ailleurs, la Cour précise que l’article 1608 C.c.Q. n’est pas inapplicable du seul fait que la cause du préjudice subi par l’employé (en l’espèce, un délai de congé insuffisant) diffère de la cause pour laquelle il reçoit des prestations d’invalidité (en l’espèce, une invalidité).

En effet, l’intention du législateur est d’appliquer l’article 1608 C.c.Q. même lorsque les prestations reçues par l’employé poursuivent un objectif autre que la réparation du préjudice subi. Par conséquent, la Cour infirme en partie le jugement de première instance, jugeant qu’il n’y avait pas lieu de déduire les prestations d’invalidité versées par l’assureur à l’employée.

Il est important de souligner que la Cour reconnaît que la situation serait tout autre si l’employeur, au lieu de payer des primes d’assurance, versait à l’employé du salaire ou une partie du salaire en cas d’invalidité. En effet, l’employé ne recevrait alors pas de prestations d’un tiers, ce qui rendrait inapplicable l’article 1608 C.c.Q.

Conclusion

Cet arrêt de la Cour d’appel marque un tournant jurisprudentiel majeur en droit du travail au Québec. En cas de cessation d’emploi, les employeurs qui contribuent en tout ou en partie à un régime d’assurance-invalidité au bénéfice de leurs employés doivent désormais être conscients que les prestations reçues par l’employé au titre de ce régime ne seront pas déduites de l’indemnité de délai de congé qui pourrait devoir être versée. Dans certains cas, les montants impliqués pourraient être significatifs.

Toutefois, une réserve quant à la portée de cet arrêt s’impose. En effet, nous nous questionnons à savoir si le même raisonnement saurait être appliqué dans les cas de congédiements administratifs pour absentéisme excessif qui surviennent au terme d’une longue invalidité. Dans une telle éventualité, il nous apparaît qu’il y aurait des arguments à faire valoir pour distinguer cette situation de celle qui a été soumise à la Cour d’appel.

À propos des auteurs

Me Marjolaine Lessard-Jean est avocate au bureau de Langlois Avocats à Montréal et concentre sa pratique principalement dans le domaine du droit du travail et de l’emploi.

Dans le cadre de ses fonctions, elle appuie une clientèle très variée, allant d’entreprises familiales à des sociétés d’envergure en passant par des PME issues de tous les secteurs et industries.

Me Thomas Stelmazuk-Côté est avocat au bureau de Langlois Avocats à Montréal. Il exerce principalement dans le domaine du droit du travail et de l’emploi.

Il s’intéresse plus particulièrement aux questions juridiques ayant trait aux normes du travail et aux droits et libertés de la personne. Il a également un intérêt pour le litige et le droit public.

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4 commentaires
  1. A
    A
    Vous pouvez facilement jauger de la compétence individuelle d'un avocat si il faut qu'ils se mettent à deux pour faire un simple résumé de jurisprudence...

  2. A
    A
    Vous pouvez facilement jauger de la compétence individuelle d'un avocat s'il confond le terme "jurisprudence" avec une seule décision rendue par un tribunal...

    Merci à ces deux avocats pour l'excellent article.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a un an
      Peut-être sont-ils syndiqués ?
      La convention collective exige peut-être 2 avocats: un pour écrire, et l'autre pour émettre des commentaires (un peu comme chez les ouvrier de la STM, où il y en a un qui réparer l'escalier mobile, pendant que l'autre qui éclaire la zone de travail).

    • A
      A
      Un résumé de jurisprudence signifie, en termes clairs, le résumé d'une décision.
      J'ai bien dit un résumé "de" jurisprudence et non un résumé "de la" jurisprudence.

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