Propos sur la Jvstice

Techniques d’enquête et consultation

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Alain-Robert Nadeau

2009-06-25 14:00:00

La semaine dernière le gouvernement proposait d’actualiser les techniques d’enquête policières. Ces propositions sont-elles constitutionnelles ?
La 18 juin dernier, le ministre de la Justice et procureur général du Canada, Rob Nicholson, le ministre de la Sécurité publique, Peter Van Loan et le député de Charlesbourg - Haute-Saint-Charles, secrétaire parlementaire du ministre de la Justice, M. Daniel Petit, ont déposé à la Chambre des communes deux projets de lois accroissant les pouvoirs d’enquête des organismes d'application de la loi et de sécurité nationale. Selon le communiqué de presse gouvernemental, largement repris par les grands médias d’information, ces nouvelles techniques d’enquête visent à combattre le crime du 21e siècle.

Le premier projet de loi, intitulé ''Loi sur les pouvoirs d’enquête du 21e siècle'' (C-46), modifie le ''Code criminel'' et plusieurs autres lois alors que le second, intitulé ''Loi sur l'assistance au contrôle d'application des lois au 21e siècle'' (C-47), vise à obliger les fournisseurs de services de télécommunication (FST) à intégrer à leurs réseaux une capacité d'interception et à divulguer, sur demande, des renseignements sur les abonnés. Cette obligation de divulgation qui est faite au FST entraine l’obligation corrélative que ceux-ci sauvegardent et ne suppriment pas ses données relatives à une communication ou à un abonné donné dans les cas où la police estime que les données l'aideront à mener son enquête. Une autre proposition de modification au Code criminel rendrait illégale la possession d'un virus informatique en vue de commettre une infraction.

Plus de pouvoir aux policiers, moins au juges

Si l’on ne peut que se réjouir de l’objectif de cette initiative gouvernementale, soit de combattre le crime du 21e siècle, l’on peut toutefois se questionner sur les moyens que l’on compte prendre pour réaliser cet objectif. Examinant attentivement les deux projets de lois, il y a trois éléments qui attirent immédiatement l’attention : l’atténuation du degré de preuve, l’accroissement des pouvoirs accordés aux policiers et aux fonctionnaires (le pouvoir exécutif), au détriment des juge de paix et des juges (le pouvoir judiciaire), dans le processus d’obtention des éléments de preuve ainsi que la possibilité d’obtenir de éléments de preuve par géolocalisation.

À titre d’illustration, l’article 487.012 proposé au ''Code criminel'' permettrait à un « agent de la paix ou fonctionnaire public d’ordonner à toute personne de préserver des données informatiques qui sont en sa possession ou à sa disposition au moment où l’ordre lui est donné ». On remarquera certes le choix des termes qui laisse peu de place à l’interprétation, mais aussi et, surtout peut-être, le choix de la personne qui est susceptible de donner cet ordre. Bien que cette procédure ait été qualifiée « d’ordonnance de préservation », il demeure que la disposition projetée confère ce pouvoir à un policier ou un fonctionnaire, lesquels ressortissent du pouvoir exécutif, alors que la Cour suprême du Canada a clairement établi dans l’arrêt Hunter c. Southam (1984) – incontestablement l’un des arrêts les plus importants de la Cour suprême du Canada depuis l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés – que toute immixtion de l’État dans la vie privée des individus est à première vue illégale et qu’il faut un mandat émis par une personne capable d’agir judiciairement pour en justifier la légalité.

Aussi, l’article 491.1 proposé au ''Code criminel'', en plus d’utiliser une norme de preuve atténuée – on utilise cette notion hérétique de « motifs raisonnables de soupçonner parfois évoquée par des juges dissidents de la Cour suprême du Canada –, permettrait à un policier de requérir un mandat lorsqu’il « a des motifs raisonnables de soupçonner qu’une infraction a été ou sera commise et que la localisation du lieu ou des déplacements d’une chose, notamment un véhicule, sera utile … » Suivant l’utilisation des termes de cette disposition, m’est avis que rares seront les cas où la géolocalisation ne sera pas utile lorsque que l’on soupçonne qu’une infraction risque d’être commise.

Contraire à la Charte?

Or cette technique d’enquête contrevient directement au principe judiciaire établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wise (1992), dans lequel la cour s’est prononcée sur la question de savoir si les policiers pouvaient placer une balise électronique sur un véhicule automobile afin de suivre ses mouvements. Il est vrai que dans ce dernier cas, contrairement à la proposition législative, la balise avait été placée sans une autorisation judiciaire préalable. Dans cet arrêt, le juge Laforest a toutefois jugé que cette pratique, fondée sur de simples soupçons, déconsidérerait l’administration de la justice. Ainsi s’exprimait –il : « Dans une société libre, on ne saurait permettre à la police d'effectuer une fouille ou perquisition envahissante comme celle effectuée en l'espèce sur la foi d'un simple soupçon, et même d'un fort soupçon. Cela est clairement inadmissible dans une société libre et est, à mon avis, susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. »

Dans une enquête d’opinion publique publiée en 1993, intitulée ''La vie privée exposée, le sondage canadien sur le respect de la vie privée'', réalisée par la firme Ekos, démontrait que 92 p. cent des Canadiens se disaient préoccupés par la protection de leur droit à vie privée. Pis encore, une enquête d’opinion publique publiée au mois de mars 2009, aussi réalisée par la firme Ekos pour le compte de la commissaire à la vie privée du Canada, révèle que 62 p. cent des Canadiens estiment que la protection de la vie privée constitue le défi le plus important de la prochaine décennie.

Or s’il ne saurait faire de doute que les techniques d’enquêtes des policiers doivent être actualisées, il demeure que celles-ci doivent être conformes à la ''Charte canadienne des droits et libertés'' ainsi qu’aux principes judiciaires établis par la Cour suprême du Canada. En l’espèce, en plus de soulever des doutes sérieux quant à leur conformité constitutionnelle, plusieurs des mesures proposées sont susceptibles de porter atteinte au droit au droit à la vie privée des Canadiens. C’est pourquoi, j’estime que le gouvernement devrait lancer un vaste débat public plutôt que de déposer deux projets de lois à la fin d’une session parlementaire. À vrai dire, si le gouvernement entend prendre les mesures nécessaires pour combattre le crime au 21e siècle, il faudrait néanmoins s’assurer de ne pas utiliser des mesures ayant caractérisées le 19e siècle.

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1 commentaire
  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 15 ans
    Le chat et la souris constitutionelle
    Les conservateurs se foutent que ça soit éventuellement déclaré inconstitutionnel.

    Avec le temps que ça prend pour déclarer une disposition invalide, les policiers ont le temps de s'en servir, et après ils édicteront une nouvelle loi du même genre.

    Le procédé a parfaitement fait ses preuves aux USA, avec les lois anti-terrorismes.

    Les conservateurs n'ont aucun scrupules à entretenir ce genre de manège puisque, dans leur esprit, les jugements invalidant des dispositions du code criminel sont l'oeuvre de juges libéraux dégénérés.

    Pour enlever ce genre d'incitatif, il faudrait invalider les jugements où la déclaration de culpabilité reposait de façon déterminante sur les dispositions jugées inconstitutionnelles. Et ça, ça ne risque pas d'arriver, pour des raisons d'efficacité économique.

    Ensuite on se demande pourquoi les gens sont cyniques envers le processus législatif et le système judiciaire...

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