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Droits trans : une victoire qui crée un « précédent important »

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Camille Laurin-Desjardins

2021-02-05 14:30:00

Après sept ans de labeur en pro bono, deux avocats se réjouissent d’un jugement qui invalide certains articles du Code civil discriminatoires pour les personnes trans…
Mes Audrey Boctor et François Goyer. Photos : Site web de IMK
Mes Audrey Boctor et François Goyer. Photos : Site web de IMK
Dans une décision très attendue, le juge Gregory Moore a invalidé la semaine dernière cinq articles du Code civil du Québec qui violaient le droit à la dignité et à l’égalité des personnes trans et non binaires.

Il s’agit d’une grosse victoire pour IMK, qui représentait sur une base pro bono (tous comme les quatre autres grands cabinets qui représentaient des intervenants dans le dossier) le Centre de lutte contre l’oppression des genres, à l’origine de ce recours.

« Ce sont des constatations de fait très importantes qui pourront servir dans d'autres dossiers », croit Me Audrey Boctor, associée chez IMK, qui parle d’un « précédent important ».

Même son de cloche chez Dalia Tourki, ancienne porte-parole du Centre de lutte contre l’oppression des genres, qui s’est découvert une passion pour le droit en travaillant sur ce dossier, et qui est maintenant étudiante en droit à l’Université McGill.

« C’est un jugement qui reocnnaît que la population trans et non binaire vit beaucoup de violence et de discrimination, opine-t-elle. Les six articles du code civil qui ont été invalidés contribuent à l’exposition de ces personnes à cette violence et à cette discrimination. Ça perpétue en quelque sorte les désavantages économiques que vivent ces personnes. »

Me Audrey Boctor est dans le dossier depuis le début, en 2014. C’est son ancien associé Mathieu Bouchard qui pilotait le dossier, au début, et elle l’a repris en 2015 après son départ. Elle est assistée de son collègue Me François Goyer.

Désormais, les personnes non citoyennes auront le droit de changer leur nom et leur mention de sexe, ce qu’ils ne pouvaient pas faire avant. Les personnes non binaires pourront également choisir une option « autre » sur leurs documents officiels – les détails seront à déterminer dans la réforme législative qui viendra, précise Me Boctor.

Les parents trans qui ont fait une transition après la naissance de leur enfant auront le droit de changer la désignation parentale sur le certificat de naissance de leur enfant de « mère » à « père », ou l’inverse, et les parents non binaires pourront choisir l’option « parent ».

Et finalement, les jeunes personnes trans n’auront plus l'obligation d’obtenir une attestation d’un professionnel de la santé qui confirme que leur démarche est justifiée.

« Le principal enjeu, c'était de convaincre le juge qu'il y a un lien entre le droit à la dignité, à la vie et à la liberté des personnes trans, et le fait d'obtenir des documents d'identité qui reflètent leur vraie identité de genre, explique Me Goyer. Ce n'était pas gagné d'avance. Le Procureur général du Québec ne l'admettait pas, il ne voyait pas de lien de causalité entre ces deux questions factuelles… Mais le juge nous a finalement donné raison là-dessus. »

« Et les constatations de faits dans le jugement font vraiment état de la situation de vulnérabilité que les gens trans et non binaires vivent, surtout lorsqu'ils n'ont pas des documents d'identité qui concordent avec leur identité de genre », ajoute Me Boctor.

Douze témoins et cinq experts ont témoigné pendant le procès qui s’est échelonné sur deux mois, « pour que la Cour comprenne à quel point cette situation-là est difficile », précise l’avocate.

La dépression, l'anxiété, et les taux de suicide sont extrêmement élevés chez les personnes trans, rappelle-t-elle.

« Pour nous, (cette décision) voulait dire beaucoup, mais jamais autant que pour (nos clients), à quel point ça impacte réellement leur vie », insiste son collègue, Me Goyer.

Parce que pour les personnes trans et non binaires, le simple fait que ces options n’existent pas dans les documents de l’état civil revenait à nier carrément leur existence, rappelle Me Boctor.

La modification de ces articles du Code civil représente donc beaucoup plus que des formalités dans de la paperasse, imagent les deux collègues.

François Goyer donne en exemple la réalité des personnes qui ne sont pas citoyennes canadiennes, qui ne pouvaient pas changer la mention d’identité de genre inscrite dans les registres de l’État.

« La première réaction qu'on pourrait avoir, quand on ne connaît pas la communauté, c'est : “combien y a-t-il de personnes trans non citoyennes au Québec?” Mais la vérité, c'est qu'il y a beaucoup de gens qui fuient certains pays pour venir en Amérique du Nord, et au Québec entre autres, parce que carrément, ils ne se font pas lapider dans la rue, ici... On a eu un témoignage à cet égard-là! »

«C'est loin d'être artificiel et une vue de l'esprit. Il y a vraiment un nombre important de personnes qui étaient affectées par cette règle-là », ajoute-t-il.

Deux demandes du Centre de lutte contre l'oppression des genres n’ont pas été accordées par le tribunal.

« Il reste encore la possibilité pour un parent de s'objecter au changement de nom de son adolescent, décrit Me Boctor. Il reste encore le fait de désigner dans les 30 jours le sexe d'un bébé, après sa naissance... Mais ce que la décision dit, c'est que plus tard, on aura le droit de changer cette désignation pour une désignation non binaire. »

Cela est très problématique selon Dalia Tourki, en particulier pour les bébés intersexes, qui naissent avec des caractéristiques sexuelles et biologiques qui n’entrent pas dans la définition traditionnelle de « mâle » ou « femelle ». Selon elle, il faudra absolument s’attaquer à cette question.

Un dossier pro bono

IMK, tout comme les quatre autres cabinets qui défendaient des intervenants dans cette affaire – Davies Ward Philips & Vineberg, Narang et associés, Norton Rose Fulbright et Juripop – a pris le dossier en pro bono.

« Je ne peux pas parler pour eux, mais je pense que c'est un aspect qui peut nous rendre fiers de la profession, qu'il y ait eu tant d’heures pro bono », affirme Me Boctor.

Elle affirme que son cabinet n’a pas hésité une seconde, quand le Centre de lutte contre l’oppression des genres l’a approché.

« Tout le monde était d’avis que c'étaient des questions importantes, qui risquaient de ne pas pouvoir être débattues sans un appui pro bono de la communauté juridique, détaille-t-elle. Le Centre de lutte contre l’oppression des genres, c'est une entité de l'Université Concordia, entièrement financée par des contributions des étudiants… Sa mission nous a beaucoup rejoints. »
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