Trouver du sens en Colombie

Céline Gobert
2015-08-31 15:00:00

La voix de Me Stelsie Angers nous arrive sur Skype d’un lointain Bogota, capitale de la Colombie située à plus de 4500 kms du Québec et qui atteindra bientôt les 8 millions d’habitants.
« Chaque fois que je change de pays ou de communauté, je vois des styles de vie différents et j’en apprends énormément tant au niveau professionnel que personnel », lâche l’avocate passionnée de 29 ans, qui a déjà pratiqué en République démocratique du Congo, au Nicaragua, et qui se trouve maintenant en Colombie, au coeur d’un peuple qu’elle décrit comme « ouvert, joyeux, généreux et facile d’approche.»
Depuis mars dernier, celle qui est originaire de La Tuque en Mauricie collabore avec Avocats Sans Frontières Canada (AFSC) à titre de conseillère juridique dans le cadre d’un projet appelé « Promotion et renforcement de l'application du Statut de Rome en Colombie ».
Naviguer, s’impliquer

Son travail consiste à les assister lors des audiences, ou dans le cadre d’autres actions judiciaires, afin de leur offrir un support international et d’observer les processus judiciaires. Elle travaille à la documentation des différents procès pénaux et analyse les mécanismes d’impunité et l’efficacité du système judiciaire colombien en ce qui concerne les crimes contre l’humanité et le respect des droits des victimes.
« Nous appuyons également les initiatives visant la protection des avocats colombiens qui sont menacés afin de dénoncer ces pratiques contraires aux normes internationales. »
Très impliquée, elle s’occupe aussi de l'organisation du premier Concours universitaire de droit pénal international organisé dans la région par l’ASFC en collaboration avec un groupe d'avocats de Bucaramanga.
S’adapter au système judiciaire colombien

Ce nouveau processus ressemble au processus pénal canadien avec procureur, juge, défense et procès oral. Cependant, deux autres parties peuvent être représentées lors des procès: le Ministère public et les victimes qui sont une partie et non pas seulement des témoins.
Il y a de toute façon des dossiers très complexes en Colombie tels les cas d'exécutions extrajudiciaires appelés « falsos positivos », qui sont considérés comme des crimes contre l'humanité car ce sont des civils qui ont été exécutés dans le cadre du conflit et présentés comme « morts au combat.» Ces dossiers n’en sont à peine qu’à l'étape de l'audience préliminaire malgré que les faits remontent à plus de 10 ans, explique l’avocate.
La piqûre du voyage

Après un baccalauréat en droit à l’Université de Sherbrooke en 2008, direction la République Démocratique du Congo (RDC) avec Oxfam Québec où elle a travaillé au sein des ONGs locales offrant de l’appui juridique aux femmes victimes de violences sexuelles dans le cadre du conflit armé.
Entre 2011 et 2013, elle effectue deux contrats de conseillère juridique pour la même organisation dans différentes régions de l’Est de la RDC. Elle revient au Québec pour passer quelques cours de maîtrise en droit international à l’Université de Montréal, avant de repartir aussi sec pendant un an au Costa Rica en appui a une organisation régionale qui lutte pour la défense des droits des migrants dans la région d’Amérique centrale, principalement les femmes et les enfants victimes de traite des personnes et de trafic illicite de migrants.
Elle termine actuellement son mémoire sur la protection du droit international pour les enfants issus de viol en République Démocratique du Congo
Un choix à assumer
Pour l’instant, l’amatrice de musiques colombiennes et de salsa ne prévoit pas de rentrer au Québec. « J’ai l’intention de rester en Colombie ou d’aller ailleurs ! » Pourtant, sa vie est loin de ressembler au conte de fées que l’on pourrait s’imaginer.
Loin de sa famille, de ses amis, les choses sont parfois difficiles. « Mais c’est un choix, et il faut l’assumer », ajoute-t-elle d’un ton déterminé. « Je mentirais si je disais que je fais ce travail pour les autres, dit Me Angers. C’est un travail valorisant. »
D’autant plus que les avocats qui pratiquent hors de la province ne sont que « très peu appuyés par le Barreau du Québec. » Leur travail n’est pas « facilité » : aucune diminution de la cotisation, aucun accès aux services du Barreau, tels que les formations continue en ligne disponibles aux sujets « limités», jamais en lien avec sa pratique, comme le droit humanitaire ou le droit du développement, regrette-t-elle.
« On gagne très peu d’argent en travaillant dans les ONGs. Je ne peux faire ce travail que grâce à l’appui de ma famille, tant au plan personnel que financier, notamment en ce qui concerne les cotisations du Barreau et les prêts étudiants.»
Elle trouve une consolation auprès des gens qu’elle aide, et des familles des victimes. En tant qu'avocate étrangère, les personnes avec qui ou pour qui elle travaille la perçoivent d'une manière positive, confie l’avocate. La plupart du temps, aux audiences, les familles des victimes remercient les avocats d'être présents, d'appuyer leur lutte pour la reconnaissance de leurs droits ou la mémoire des personnes qu'ils ont perdues.
« Je dirais que c'est une des raisons pour laquelle je continue à faire ce travail... ça ne change pas le monde mais la reconnaissance de ces personnes pour moi vaut de l'or et donne un sens à mon boulot. »