Cinéma

Séance ciné : contes cruels

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Céline Gobert

2012-06-08 17:00:00

Vous ne pensez qu’à vous évader de votre quotidien ? Ces deux contes modernes, fantaisistes et fantastiques, tombent à pic !
P comme Poulet

Source d’inspiration pour les avocat(e)s: ne jamais tourner le dos à ses passions

Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud. Le duo gagnant de Persépolis.

Leur adaptation à quatre mains de la BD de Satrapi, Poulet aux prunes, prix du meilleur album 2005 au Festival d’Angoulême, promettait de belles choses. Ils tiennent parole.

Mieux : ils dépassent les attentes, passant du 9ème au 7ème art avec une facilité déconcertante.

Abandonnant les animations qui faisaient tout le charme de leur premier long-métrage, l’illustratrice franco-iranienne et son complice donnent chair à des personnages de papier, en apesanteur, quelque part entre un conte très Mille et une nuit (pour la couleur orientale) et la cruauté de ton imposée par la vie.

Dès lors, l’histoire tragique de ce violoniste suicidaire, qui se remémore souvenirs, ratés et moments de bonheur à l’aube d’une mort certaine, touche au sublime.

Grâce à un casting exceptionnel (Mathieu Amalric en artiste tourmenté, Jamel Debbouze en marchand fourbe, et Edouard Baer en ange de la mort), le film jongle avec les espaces temps, les réalités, mêlant tout azimut présent fantasmé, anticipation mélancolique et nostalgie du passé.

Au-delà d’une histoire magnifique, contée avec tout autant de férocité que de douceur, Satrapi & Paronnaud font preuve, sur le plan formel, d’une inventivité jubilatoire et courageuse.

Ellipses, sauts dans le temps, immersion du fantastique : ils installent un visuel singulier, piquant, profond.

On entre dans leur univers doucement, envoûté, bluffé, bercé par des sentiments contradictoires. L’envie de croire et d’aimer d’un côté, la conscience lucide des éphémères de l’autre.

Les deux bédéistes s’interrogent : sommes-nous seulement les jouets impuissants du destin ? Des marionnettes conditionnées par notre entourage ? Leur Poulet aux prunes, mi tragédie grecque, mi fantaisie burlesque, se révèle alors tout aussi amer que délicieux, optimiste que méchant.

Désillusionné sur les choses, gens, et mystères de l’existence. Mais encore tout plein d’un amour (de l’art, surtout) à donner.

P comme Pomme

Source d’inspiration pour les avocat(e)s: tirer profit de ses échecs

Blanche-Neige et le Chasseur. Dans le titre, déjà, une dichotomie. L’innocence, et le bellicisme. L’apaisement, la guerre. Le bien, le mal.

Un titre qui représente plutôt bien, in fine, l’ensemble d’un film un peu bancal, situé entre le conte et l’épopée,
sorte de spectacle fantasy dark à l’esthétique hybride, semi-pub, semi-référencée (Burton, notamment), qui ne cesse de retenir ses folles envies trash.

Rupert Sanders, réalisateur issu de la pub (et cela se voit), propose davantage un film pour ados qu’une œuvre d’adulte, surchargeant la forme et édulcorant le fond, misant tout sur l’apparence, au détriment de plusieurs pistes un peu dingues et tordues esquissées par la modernisation du conte.

On pense notamment à la bande des sept nains, vaguement subversifs, ou à la sexualisation à peine effleurée de l’histoire d’amour naissante entre l’ivrogne veuf (Chris Thor Hemsworth, aux faux airs de Brad Pitt) et la pure orpheline.

Quant à la relation entre la méchante Reine et la gentille Blanche-Neige, qui articule le récit, on reste dans un respect quasi-total des codes du genre, dans la vampirisation soft, l’imagerie chaste. Dommage.

Pourtant, tout n’est pas à jeter dans le film. Au contraire.

Charlize Theron particulièrement, étonne par sa manière déjantée d’incarner un protagoniste dont on pensait tout connaître.

Sa Reine est charismatique, touchante, vénéneuse, portée par un souffle dramaturgique galvanisant. En un mot, elle est épatante. Ce qui n’est pas vraiment le cas de Kristen Stewart, déconnectée, comme ailleurs, peut-être trop frêle pour porter l’armure.

Les deux héroïnes, pourtant, partagent un même passé noir, une même souffrance, dont l’une se sert mieux que l’autre.

Même lors d’un final intéressant, où s’opère un beau renversement de manichéisme (lueur d’humanité chez la Reine, éclair de cruauté chez Blanche-Neige), c’est encore Charlize qui prend le dessus. A croire que les meilleurs personnages de cinéma sont toujours les méchants.

Finalement, c’est ce que l’on aura préféré dans le film de Sanders : ce côté obscur, sombre, agonisant.

La forêt des ténèbres et la Reine sanguinaire, aux propositions un peu bébêtes de l’imagerie naïve (les animaux féériques, les jeux de lumière) côté Blanche-Neige.
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