Séance ciné : sexe, drogues et tempêtes intérieures

Céline Gobert
2012-04-20 17:00:00
Pour les avocat(e)s inconditionnel(le)s de la québécoise Marie-Josée Croze
A comme Abandon

Le préambule, banal sur le papier, sent bon le film d’action classique, où, ivre de vengeance, la flic endeuillée prend en chasse le meurtrier (Ignacio Rogers) de son défunt époux. C’est faux. Et c’est ce qu’il y a de plus intéressant dans ce deuxième film de Santiago Amigorena (après Quelques jours en septembre): cette volonté de remodeler les codes du revenge movie de base pour offrir un résultat inattendu.
Soit une quête intérieure très atmosphérique, dans les décors naturels de l’Argentine, et, un portrait de femme, mutique, sensible, qui fait l’économie de moyens et de mots.
Pas de pathos donc dans ces Deux silences-là, mais une aridité de chaque instant, qui utilise judicieusement l’espace. Le désert, les couleurs jaunâtres, le vent et la chaleur deviennent autant d’éléments-miroir dans lequel peut se lover le deuil de l’héroïne.
Amigorena (également scénariste pour Klapisch et auteur du récent « 1978 ») préfère signifier que dire, quitte à perdre des spectateurs en route, quitte à refuser toute amabilité. Le personnage (belle interprétation de Marie-Josée Croze) demeure recroquevillé sur lui-même, gardant sous clé colère et chagrin.
Pour autant, le film parvient à rendre compte de l’intériorisation du sentiment et du deuil par le biais du spectacle d’une nature, figée mais vivante, impitoyable mais salvatrice.
Au vidéo club
Pour les avocat(e)s amateurs d’œuvres-chocs
A comme Addiction
Lorsqu’il ne fouette pas ses patientes chez Cronenberg, Michael Fassbender tourne avec l’un des disciples du réalisateur canadien: l’anglais Steve McQueen. L’acteur fétiche du cinéaste, qui avait déjà embrasé la pellicule de son premier long-métrage Hunger, est Brandon, véritable métronome humain, dont la vie semble parfaitement réglée.
Bel appart, bon job, charisme fou, physique avantageux. D’emblée, McQueen dévoile le grain de sable qui vient enrayer la machine : le

Dans les couloirs aseptisés de son bureau, dans une rame de métro cradingue, dans des bars luxueux mais glacés. Partout, il ne pense qu’à ça.
Transformant la ville de New-York en étau froid et triste, McQueen flirte avec le huis clos : psychologiquement étouffant, et sans issue. L’espace, tout en angles, blancs, et symétries renvoient le mal-être d’un homme ultra moderne, traquant l’acte sexuel tel un prédateur, s’infligeant du plaisir comme une punition, surconsommant la chair à l’instar d’une société sans valeur ni morale. A la dérive. Seul. Reflet d’une époque malade et déviante.
A l’incroyable Fassbender, livrant la plus belle performance de sa carrière, Carey Mulligan vient donner la réplique : sœur et pendant féminin du mâle. En miroir inversé, sa quête aveugle d’amour, qui ne trouve pas de réponse, est tout aussi glauque que les vices du frangin.
Unis par on ne sait quelle sorte de traumas, les deux trouvent dans leur masochisme matière à s’autodétruire, se mépriser. Elle, en s’abandonnant à des hommes mariés. Lui, à ses désirs incontrôlés. S’interdisant d’aimer et de s’aimer, l’humain n’est plus qu’animal, esclave d’instincts sexuels primitifs et mécaniques.
La jouissance, chez Brendon, a des allures de grimaces. Il n’y a pas de désir, juste une souffrance colossale. Le film, lui, est un véritable chef d’œuvre, sombre, pessimiste, cru et cruel, dont la brutalité et l’impudeur filent les larmes aux yeux.
McQueen parle de solitude et de mépris de soi comme personne ; tranchant, dans le vif, les âmes, les veines, et les cœurs. Ne restent plus que des corps, froids comme des cadavres, des êtres déjà morts, piétinés, aliénés par les maux contemporains : individualisme, consumérisme, artificialité.