Allaiter au bureau : «Je me fous de ce que les gens pensent!»

Quand elle décroche son téléphone pour nous répondre, Me Chanel Alepin est en train d’allaiter Donatella, sa petite fille de trois mois.

«Je veux le faire, je peux le faire, alors je le fais!, déclare à Droit-inc la jeune maman de 29 ans. Si ma fille a faim et que je peux allaiter, je m’en fous de ce que les gens pensent!»

Bien sûr, l’avocate possède un foulard d’allaitement, mais si jamais elle l’avait oublié, dit-elle, elle allaiterait tout de même avec plaisir. «Ma mère aussi nous a allaités avec mon frère, parfois au bureau, à l’époque les congés étaient réduits!»

Cela dit, l’avocate estime que sa situation est particulière puisqu’elle a souhaité retourner très tôt au travail après son accouchement. Mais le cabinet encourage généralement les avocates à prendre un an de congé, poursuit-elle.

«Il ne faut pas oublier que je travaille pour une entreprise familiale avec ma mère, mon père et mon frère. En ce qui me concerne, je veux être présente au bureau, prendre des appels et rester impliquée».

La juriste dit espérer que cela se passe aussi comme cela dans les autres cabinets. «Ce n’est pas la fin du monde, c’est naturel, et en bout de ligne même si la carrière est très importante, y’a-t-il quelque chose de plus important que nos enfants?»

Bénéfique pour sa pratique

Aussi, Me Alepin n’hésite pas lorsqu’elle parle avec des clients en conférence téléphonique, à mettre la conversation sur pause si sa fille veut du lait.

«Les gens sont compréhensifs, à date je n’ai reçu aucun commentaire négatif, que des encouragements.»

Devenir maman a même eu un effet bénéfique sur sa pratique, confie-t-elle au bout du fil.

«On dirait que je comprends davantage les débats sur les gardes par exemple. Quand tu n’as pas d’enfants, tu ne peux pas vraiment comprendre le lien d’attachement d’un parent envers son enfant. Ça m’a rendue plus sensible dans le cadre de réorganisations ou face à des couples qui ont des difficultés quant à la garde. Avant pour moi, c’était juste théorique.»

Quant au cabinet familial Alepin Gauthier, il vient tout juste d’investir dans une entreprise qui vise les femmes enceintes et les jeunes familles!

Une négo tourne mal alors qu’elle allaite!

Une drôle d’aventure est d’ailleurs arrivée à l’avocate en litige fiscal ce mois-ci.

Alors qu’elle se trouve en salle de conférence, en train d’allaiter sa fille, accompagnée de Me Lucie Boileau et d’une seconde avocate qui leur réfère des clients, elle entend «des bruits de fou» provenant de la salle d’à côté.

«C’était de la grosse chicane! Des gens qui se bagarrent! Là je me dis : «Mon Dieu qu’est-ce qui se passe?». Une négociation violente nous oblige à appeler la police pour séparer les gens. C’était cocasse pour moi de vivre ça alors que j’étais en train d’allaiter ma fille!»

Connaît-elle d’autres professionnelles dans le monde juridique qui ont allaité en public sur leur lieu de travail? «Non, ça en dit beaucoup!», lance-t-elle, en riant.

Pro-allaitement

Me Pascale Pageau du cabinet Delegatus nous a aussi confié avoir allaité ses enfants au cabinet. Encore une fois, il ne s’agit pas d’un gros bureau, et elle en est la fondatrice…

Pour autant, celle qui dit avoir toujours été «une femme pro-allaitement» affirme que s’il avait été dans une plus grande structure elle aurait allaité sans aucune gêne. C’est d’ailleurs arrivé une fois chez BCF, lors d’une réunion du Jeune Barreau de Montréal, à laquelle elle a été convoquée pendant son congé de maternité.

« En fait, quand j’ai eu mes enfants, qui ont maintenant 8, 10, 13 et 15, je les amenais régulièrement au bureau (les plus jeunes) et je les allaitais sans problème. Parmi nos avocates, une vient d’accoucher en janvier. Lors de certaines réunions, elle amène sa petite cocotte avec elle, mais ce n’était pas un bébé allaité.»

Pour elle, il n’y a rien de plus naturel, donc elle ne se verrait pas dire à ses amies, à ses filles de se cacher pour allaiter. «On peut allaiter avec une certaine pudeur. Après, veut-on allier allaitement et travail?».

Et dans les gros cabinets?

Interrogés par Droit-inc sur cette question, de plus gros cabinets comme Lavery, Fasken, Langlois, Cain Lamarre ou encore McCarthy indiquent ne pas être concernés par cette réalité, vraisemblement parce qu’ils mettent en place des congés de maternités plus longs au sein de leurs cabinets (un an).

Toutefois, une professionnelle du milieu juridique qui préfère rester anonyme confie avoir tiré son lait sur l’heure du lunch dans son bureau, mais jamais devant les autres, et toujours la porte fermée.

«Peut-être y a-t-il encore un ou deux sacs de lait oubliés dans le congélo..., dit-elle. J’allaitais de ma voiture dans le stationnement dès que bébé arrivait à 17h. Je le faisais alors que tout le monde était parti.»

Et vous, avez-vous des consoeurs qui allaitent au bureau?