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Il faut revoir le processus de nomination des juges par Ottawa

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Claude Provencher

2016-04-15 11:15:00

Au fédéral, le processus de nomination mériterait d’être clair et ancré dans les lois adoptées par les représentants du peuple, affirme cet ancien DG du Barreau…
Me Claude Provencher
Me Claude Provencher
Suite à la récente démission de la Cour suprême du juge Cromwell, un juriste exceptionnel et bilingue, le gouvernement fédéral devra sous peu procéder à une nomination à la plus haute cour du pays.

Également, c’est le gouvernement fédéral qui a la responsabilité de nommer des juges dits de nomination fédérale dans toutes les provinces et territoires : les juges de la Cour d’appel du Québec, de la Cour supérieure du Québec ainsi que leurs équivalents ailleurs au pays. À cela s’ajoute la nomination des juges des Cours fédérales et de la Cour canadienne de l’impôt. Il s’agit d’un nombre très important de nominations au sein du pouvoir judiciaire, ce pilier fondamental de notre démocratie.

Tel que le rapportait récemment le Globe and Mail, depuis son élection en octobre dernier le nouveau gouvernement n’a procédé à aucune nomination, se questionnant notamment sur le processus actuel de sélection et de nomination des juges.

S’il n’est pas idéal de remettre en cause régulièrement ce processus, cela doit être fait lorsque les attentes de la société le commandent. Ces attentes, que ce soit depuis la commission Gomery, la commission Bastarache, la commission Charbonneau, l’affaire Duffy, etc. sont d’avoir davantage d’imputabilité, de transparence, d’éthique et de représentativité de la diversité canadienne.

Ce que l’on a vu sous l’ère du gouvernement Harper aura été essentiellement l’ajout de représentants des forces de l’ordre sur les comités de sélection puis, en ce qui concerne la Cour suprême, l’établissement d’un processus transparent qui a été rapidement mis au rencart…

Critères du juge Bastarache

Au fédéral, le processus de nomination ne se retrouve dans aucune loi ni aucun règlement. Or, un tel processus de sélection et de nomination mériterait d’être clair et ancré dans les lois adoptées par les représentants du peuple.

Ne devrait-on pas y prévoir expressément que les nominations des juges par le gouvernement fédéral satisfassent au moins aux critères mis de l’avant par le juge Bastarache dans son rapport de janvier 2011 :

- Qu’elles soient fondées exclusivement sur le mérite;
- Qu’elles soient sujettes à une imputabilité politique;
- Que la discrétion de leur nomination soit encadrée;
- Que l’on s’assure d’une représentativité de tous les groupes sociaux

Si ces critères sont valables pour les juges nommés par le Québec, ils devraient l’être aussi pour les juges de nomination fédérale. Quant à la Cour suprême j’ajouterais, ce qui semble pourtant une évidence, que le bilinguisme ne soit pas être requis uniquement des juges francophones.

C’est à la fois une question de principe de démontrer que le français est une des deux langues officielles et non pas la seconde. C’est aussi un enjeu de substance : il faut être capable de bien comprendre les textes de lois dans leurs deux versions, de même que les témoignages et les plaidoiries sans avoir à passer par le filtre d’un interprète qui, nécessairement, offre sa propre interprétation.

On ne procède à aucune entrevue

L’examen des candidatures mérite aussi d’être revu. Le choix des personnes qui font les recommandations est très important de même que celui de la personne qui les choisit. Actuellement, pour les juges de nomination fédérale, huit personnes sont appelées à analyser les candidatures : une personne est désignée par le juge en chef de la province, une personne désignée par le ministre de la justice de la province, une personne désignée par le barreau de la province, une personne désignée par le barreau canadien, une personne désignée par les forces policières (oui, les forces policières!) et TROIS PERSONNES sont désignées par le ministre fédéral de la justice.

Ces huit personnes font leurs recommandations de nomination sans avoir, ne serait-ce qu’une seule fois, rencontré les candidats qu’elles évaluent. Sans procéder à aucune entrevue, elles se fient au dossier et à la prise de références. Sommes-nous satisfaits que cela corresponde aux attentes actuelles de la société? La question se pose.

Un grand nombre de candidatures est alors proposé au ministre qui proposera son choix au gouverneur en conseil. Dans le cas particulier de la Cour suprême et des juges en chef de toutes les Cours fédérales, c’est le premier ministre lui-même qui fera son choix. Sommes-nous satisfaits que cela corresponde aux attentes actuelles de la société, notamment quant à des risques que des «considérations autres» soient prises compte au moment d’exercer le choix final? La question se pose là aussi.

Enfin, en 2016, est-il démocratiquement sain de n’avoir pas accès à des rapports et statistiques suffisamment détaillés quant à l’ensemble du processus : combien de candidats, combien de nominations, combien des divers groupes sociaux composant la société canadienne.

D’aucune façon les remarques ci-dessus ne doivent être interprétées comme remettant en cause la compétence, la probité et l’autorité des membres de la magistrature. Je suis toutefois d’opinion que nous devons toujours tendre à préserver, rehausser le niveau de confiance envers cette institution fondamentale.

La confiance qui, comme le répète régulièrement la Cour suprême, est le fondement même de l’indépendance de la magistrature. Pour ce faire il faut parfois, et c’est le bon moment maintenant, se questionner sainement et améliorer ce qui peut l’être pour satisfaire aux attentes de l’heure. Parce qu’elle est fondamentale dans une société démocratique, la magistrature mérite qu’on se prête à cet exercice.
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5 commentaires
  1. Un fonctionnaire
    Un fonctionnaire
    il y a 8 ans
    Fonfon
    Est-ce que m. Provencher, titulaire du poste de directeur du bureau régional du Quebec de Justice Canada, et payé par les contribuables jusqu'au 5 mai 2016, pourrait se rappeler son devoir de réserve pendant qu'il occupe toujours ces fonctions? Rehausser le niveau de confiance dans les services publics ne devrait-il pas etre considérer par ce dernier?

    • Un autre
      Un autre
      il y a 8 ans
      Propos troublants
      La magistrature et Justice fonctionnent de manière indépendante l'une de l'autre. Ce sont des branches différentes.

      Me Provencher est l'ancien commissaire à la magistrature fédérale (un poste équivalent à sous-ministre fédéral). Le Barreau du Québec, qu'il a dirigé également comme directeur, pas comme majorette, est un des organismes qui participe au processus de nomination des juges. Ainsi, son opinion sur la question est extrêmement pertinente et appropriée. C’est probablement une des rares personnes qualifiées à parler de ce sujet.

      Par ailleurs, il n'est mentionné nulle part qu'il travaille pour Justice ou qu’il parle en tant que directeur chez Justice. C'est vous qui le soulignez. Il ne s’appuie aucunement sur son titre et son expérience avec Justice de ce que comprend de ses propos. Bref, il n’y a aucune apparence de conflit à mon avis et je ne vois pas en quoi le public perdrait confiance en Justice parce qu’un de ses cadres a des opinions informés sur un sujet qu’il maîtrise.

      « (...) payé par les contribuables jusqu'au 5 mai 2016, (...) pendant qu'il occupe toujours ces fonctions? »

      Qu’est-ce que vous insinuez au juste? Qu’il part à la retraite? Qu’il change de poste? Qu’il va se faire renvoyer? Qu’il quitte Justice?

      Je ne sais pas d'où vous sortez cette information. Si elle est exacte, je doute qu’elle soit publique. J’espère pour vous qu’elle n’est pas exacte. Car si c’est le cas vous venez de divulguer de l'information confidentielle (Protégé B; référez-vous à votre manuel cher collègue) sur un site public dans le but de dénigrer un de vos collègues.

      Chapeau.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 8 ans
    Estomaqué
    Merci, Me Provencher. Éclairant comme article.

    Estomaqué d'apprendre qu'une personne désignée par les forces policières fasse partie du comité. Incroyable! Si au moins, pour équilibrer les choses, il y avait aussi un représentant du secteur des droits et libertés de la personne.

    Je note aussi qu'il y aucun représentant du côté des facultés de droit.

    Question: je présume que l'idée d'une personne désignée par les forces policières était une initiative de Harper?

    Merci

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 8 ans
      re: Estomaqué
      "un représentant du secteur des droits et libertés de la personne"

      C'est quoi au juste? Mais arrêtez-vous pas là, demandez un membre d'un comité de détenu!

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 8 ans
      Confus
      En quoi les membres des facultés de droit sont bien placé pour déterminer les meilleurs juristes pratiques?


      Loin de moi l'idée de manquer de respect à plusieurs de mes professeurs mais je doute sincèrement qu'ils soient les mieux placés pour déterminer les meilleurs juristes aptes à interpréter les lois du législateur.

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